Culture

Les jeunes aiment-ils réellement moins lire ?

Conservateur en chef des bibliothèques

Loin des déclarations alarmistes d’après lesquelles les jeunes, accros à leurs écrans, ne liraient plus, une observation des différentes enquêtes sur les pratiques culturelles et de lecture des jeunes et sur leur évolution au cours des cinquante dernières années permet d’effectuer un constat bien plus nuancé que les a priori de générations qui ne lisaient pas forcément plus que les jeunes d’aujourd’hui. Quelques raisons de se réjouir alors que se tient la 40e édition du Salon du livre de jeunesse à Montreuil.

Publiée le 9 avril dernier et régulièrement reprise depuis, la dernière enquête du Centre national du livre (CNL) sur les pratiques de lecture laisse à penser que la pratique de la lecture des jeunes, notamment de livres, est de plus en plus effacée par les pratiques numériques. Pourtant, la réalité des pratiques culturelles et de lecture des jeunes est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Il faut remettre l’enquête du CNL dans une profondeur historique plus grande et pondérer son interprétation parfois alarmiste au regard de l’ensemble des pratiques de lecture et culturelles.

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Le recoupement des sources peut cependant s’avérer complexe. D’une part, les différentes enquêtes peuvent porter sur des tranches d’âge parfois légèrement différentes. D’autre part, la définition, dans celles-là, de la pratique de la lecture est variable : mesure-t-on par rapport au temps consacré ? au nombre de livres lus ? sur quelle période (par mois ou par trimestre) ? s’agit-il de lectures livresques uniquement ? y inclut-on les bandes dessinées et mangas ?

Je me suis principalement appuyé dans cet article sur les enquêtes du CNL Les Jeunes Français et la lecture de 2024, 2022 et 2016 et j’ai tâché d’étendre le panorama de l’évolution des pratiques de lecture avec l’enquête « À la recherche de la lecture perdue ? Les adolescents et la lecture en France aujourd’hui » menée par la sociologue Christine Détrez en 2010[1].

Par ailleurs, je suis remonté jusqu’au début des années 1990 avec cet article publié au début de la décennie par les sociologues François de Singly, Claude Thélot et Françoise Dumontier : « La lecture moins attractive qu’il y a vingt ans », portant sur l’évolution des pratiques de lecture et la concurrence d’autres loisirs. Il s’agit d’une époque lointaine avec peu de consoles de jeu, pas de smartphones, mais c’est l’époque du Club Dorothée, d’Hugo Délire et de bien d’autres loisirs télévisuels pour la jeunesse. Enfin, cette grande étude par la sociologue Nicole Ro


[1] Christine Détrez, « À la recherche de la lecture perdue ? Les adolescents et la lecture en France aujourd’hui », in Art et société. Recherches récentes et regards croisés (Brésil/France) (dir. Alain Quemin et Glaucia Villas Bôas), OpenEdition, 2016. Cette enquête est consacrée aux pré-adolescents et aux adolescents ; il y manque également deux aspects pour saisir pleinement le rapport aux livres de ceux-ci : les achats et la fréquentation des bibliothèques.

[2] Il est également intéressant, je trouve, de garder en tête de manière taquine, tout au long de la lecture de ces documents, que les enfants des années 1960 sont les grands-parents d’aujourd’hui et ceux des années 1980, les parents de maintenant.

[3] Ce constat est également effectué dans le rapport de la « commission écrans » (p. 39-40) puisqu’un ensemble d’études ne parviennent pas à démontrer que le temps passé devant la télévision ou les jeux vidéo a une réelle incidence sur les performances de lecture et scolaires.

[4] La méthodologie est détaillée dans l’article de Christophe Evans, « Portraits de jeunes lecteurs et lectrices saisis en bibliothèque » (La Revue des livres pour enfants, n° 335, 2024).

[5] Frank Huysmans et Marjolein Oomes, « Mesurer la valeur sociétale de la bibliothèque publique : définitions et méthodes », traduit par Anne Robatel, in Évaluer la bibliothèque par les mesures d’impacts (dir. Cécile Touitou), Presses de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, 2016.

[6] Quelques sources pour mesurer l’évolution de la littérature jeunesse : Nic Diament, Histoire des livres pour les enfants. Du Petit Chaperon rouge à Harry Potter, Bayard, 2008 ; Sophie van der Linden, Tout sur la littérature jeunesse. De la petite enfance aux jeunes adultes, Gallimard, 2022 ; La Revue des livres pour enfants, n° 218 (« L’Édition pour la jeunesse en France de 1945 à 1980 »).

Romain Gaillard

Conservateur en chef des bibliothèques, Responsable du Centre national de la littérature pour la jeunesse (CNLJ) à la Bibliothèque nationale de France (BNF)

Notes

[1] Christine Détrez, « À la recherche de la lecture perdue ? Les adolescents et la lecture en France aujourd’hui », in Art et société. Recherches récentes et regards croisés (Brésil/France) (dir. Alain Quemin et Glaucia Villas Bôas), OpenEdition, 2016. Cette enquête est consacrée aux pré-adolescents et aux adolescents ; il y manque également deux aspects pour saisir pleinement le rapport aux livres de ceux-ci : les achats et la fréquentation des bibliothèques.

[2] Il est également intéressant, je trouve, de garder en tête de manière taquine, tout au long de la lecture de ces documents, que les enfants des années 1960 sont les grands-parents d’aujourd’hui et ceux des années 1980, les parents de maintenant.

[3] Ce constat est également effectué dans le rapport de la « commission écrans » (p. 39-40) puisqu’un ensemble d’études ne parviennent pas à démontrer que le temps passé devant la télévision ou les jeux vidéo a une réelle incidence sur les performances de lecture et scolaires.

[4] La méthodologie est détaillée dans l’article de Christophe Evans, « Portraits de jeunes lecteurs et lectrices saisis en bibliothèque » (La Revue des livres pour enfants, n° 335, 2024).

[5] Frank Huysmans et Marjolein Oomes, « Mesurer la valeur sociétale de la bibliothèque publique : définitions et méthodes », traduit par Anne Robatel, in Évaluer la bibliothèque par les mesures d’impacts (dir. Cécile Touitou), Presses de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, 2016.

[6] Quelques sources pour mesurer l’évolution de la littérature jeunesse : Nic Diament, Histoire des livres pour les enfants. Du Petit Chaperon rouge à Harry Potter, Bayard, 2008 ; Sophie van der Linden, Tout sur la littérature jeunesse. De la petite enfance aux jeunes adultes, Gallimard, 2022 ; La Revue des livres pour enfants, n° 218 (« L’Édition pour la jeunesse en France de 1945 à 1980 »).