S’il ne veut pas se démettre, Macron doit se soumettre au Nouveau Front Populaire
Ces derniers jours, j’ai beaucoup de mal à comprendre les prises de position publiques de certaines des personnes dont je me sens, depuis très longtemps, le plus proche politiquement, et avec lesquelles d’habitude, au-delà des principes et des causes, je partage les analyses des situations historiques que nous traversons. Ce que ne je comprends pas c’est qu’elles puissent imaginer et appeler de leurs vœux la formation d’un gouvernement qui irait des Écologistes aux Républicains en passant par un supposé « bloc central ». Et qu’elles le fassent en raison d’un objectif premier, que je partage entièrement : l’urgence absolue qu’il y a de barrer la route du pouvoir au RN.
Je ne le comprends pas parce qu’il me semble au contraire que c’est la meilleure manière de rendre possible cette victoire de l’extrême droite. Principalement pour trois raisons.
D’abord parce que c’est accepter ce que souhaite désormais le plus ardemment Emmanuel Macron : faire exploser le Nouveau Front Populaire. Or cette alliance est, entre autres choses et depuis le premier jour, la meilleure camisole que la gauche a inventée pour empêcher Jean-Luc Mélenchon d’être candidat à la prochaine élection présidentielle (qu’elle se tienne en 2027 ou plus tôt). Sans doute, le leader de LFI essayera-t-il, comme il a déjà tenté plusieurs fois, d’instrumentaliser le NFP à son profit mais si les différentes composantes demeurent unies, il n’y parviendra jamais.
Il suffit de regarder ce qui s’est passé lors des dernières législatives pour comprendre en quoi le NFP peut ressembler au Programme Commun des années 1970, ingénieux stratagème qui avait permis au petit (le PS de Mitterrand) d’inverser par une prise de judo le rapport de force avec le gros (le PCF de Marchais). Casser le NFP ce n’est pas seulement faire un immense plaisir à Macron, c’est ouvrir la voie à une candidature présidentielle certaine de Mélenchon et donc les portes de l’Élysée à Le Pen ou Bardella, tant l’ancien sénateur PS est, plus qu’à juste titre, détesté par une immense majorité d’électeurs et d’électrices.
Si l’idée d’un gouvernement qui irait des Écologistes aux Républicains en passant par le soi-disant « bloc central » est le plus sûr chemin vers une victoire du RN c’est aussi parce que cela conforte le positionnement que le FN puis le RN n’ont eu de cesse de construire en dénonçant l’« UMPS » ou « l’establishment », le « système ». On sait depuis longtemps que face à cette stratégie, le clivage droite-gauche a toujours constitué le meilleur rempart face à l’extrême droite. Et loin d’être contradictoire avec le front républicain nécessaire lors des seconds tours d’élection, il s’avère en fait le socle légitime sur lequel construire chaque fois ce barrage, qui n’est en aucun cas un accord de coalition.
En revanche, que la gauche gouverne avec la droite reviendrait à détruire la nature républicaine de ce barrage électoral qui doit demeurer de circonstance. L’inexorable progression du RN depuis 2017 offre la meilleure preuve que le clivage droite-gauche est le plus sûr rempart contre l’extrême droite : en tentant de dynamiter le clivage droite-gauche sans bien sûr y parvenir, en proposant de le substituer par un clivage entre le RN et lui, Emmanuel Macron ne sera parvenu qu’à produire la tripartition politique que nous connaissons désormais. Une tripartition qu’il tente même d’institutionnaliser depuis qu’il a décidé de renvoyer dos à dos « les extrêmes », pour mieux régner sur ce fameux « bloc central ».
Et c’est ce fantasme autour du « bloc central » qui constitue la troisième explication du caractère éminemment dangereux de la stratégie proposée par celles et ceux qui appellent de leur vœux un gouvernement en forme d’arc qui irait des Écologistes aux Républicains.
Raisonner ainsi c’est en effet demeurer prisonnier d’une représentation géométrique linéaire et totalement erronée de la politique. De la même manière qu’il tente en renvoyant dos à dos les extrêmes d’apparaître magiquement au milieu (comme autrefois Bayrou), l’artificier prestidigitateur Macron voudrait nous faire croire qu’il existerait donc un « bloc central ». Il suffit de regarder comment les macronistes se sont comportés à l’Assemblée nationale ces dernières semaines, sabordant les tentatives fiscales du gouvernement Barnier visant à faire payer davantage d’impôts aux plus riches ou aux entreprises, ou à trouver des compromis sur la réforme des retraites pour saisir qu’ils ne sont pas plus proches de la gauche sur un illusoire axe politique linéaire que Les Républicains ou Horizons.
J’ai pu faire récemment, sur le plateau de l’excellente « C ce soir » sur France 5, la même expérience face à un député Renaissance qui, visiblement, prenait un malin plaisir à agiter dans le débat les habituels chiffons rouges de l’extrême droite (l’identité, la laïcité, etc.) là où les représentants de la droite classique invités de l’émission s’en abstenaient.
Il suffit encore de penser à la politique réactionnaire menée par Gabriel Attal à l’Éducation nationale pour se convaincre qu’il n’existe pas de « bloc central », que la politique aujourd’hui se découpe en trois camps, la gauche, la droite et l’extrême droite, et que l’Assemblée nationale est divisée selon ces lignes de partage en trois groupes sensiblement de même poids, et que puisque le président de la République ne veut pas démissionner (ce dont par ailleurs il convient de se réjouir car s’il le faisait aujourd’hui, Marine Le Pen serait élue) alors la seule solution réside dans l’organisation dès que possible, à l’été, de nouvelles législatives, seule manière pour la gauche de gagner, si toutefois elle a su jusque-là préserver ce qu’elle a de plus précieux : le Nouveau Front Populaire.
Il ne reste donc plus qu’une solution : un gouvernement de gauche, qui pourrait tenir grâce à un pacte de non-censure d’une partie au moins de la droite (i.e. les macronistes).
Si cette alliance, construite en quelques jours en vue des législatives, demeure le meilleur investissement d’avenir pour la gauche, la composition politique inédite de l’Assemblée en fait dès aujourd’hui non seulement la coalition la plus importante mais aussi la plus puissante. Il ne lui manque qu’une chose : que ses leaders s’en rendent vraiment compte (ils semblent l’avoir fait enfin ce matin avant d’aller à l’Elysée), l’assument (c’est semble-t-il en bonne voie) et placent Emmanuel Macron devant ses responsabilités.
D’abord en lui signifiant, comme l’a fait Olivier Faure avant d’entrer à l’Elysée aujourd’hui, qu’il sort du rôle imparti à un président par la Constitution lorsqu’il entend jouer les arbitres des élégances et construire lui-même la base sur laquelle pourrait reposer un gouvernement.
Ensuite, en lui rappelant qu’il aurait dû en juillet respecter les usages républicains et donc nommer à Matignon la personne proposée par le Nouveau Front Populaire, Lucie Castets.
Puis, en prenant acte avec lui que le choix qu’il a préféré à ce moment-là, celui de nommer Michel Barnier en faisant le pari que son gouvernement de droite tiendrait grâce à un accord implicite et informel de non-censure de la part du Rassemblement national, s’est soldé par un échec très rapide.
Enfin, en lui démontrant que, dans cette Assemblée partagée en trois tiers, il ne reste donc plus qu’une solution : un gouvernement de gauche, qui pourrait tenir grâce à un pacte de non-censure d’une partie au moins de la droite (i.e. les macronistes).
Si la gauche se déprésidentialisait davantage, si elle cessait d’être obnubilée par l’élection présidentielle, elle se rendrait en effet vite compte que le rapport de force lui est dès maintenant favorable et elle arrêterait de laisser Macron organiser les choses en son palais. Elle exigerait au contraire de lui que les députés Ensemble pour la République s’engagent à ne pas censurer un gouvernement NFP, au lieu de quoi la situation deviendrait bloquée et l’obligerait à démissionner quoi qu’il en veuille avant la fin de son mandat.
En fait c’est purement mathématique. L’Assemblée est divisée en trois tiers. Pour obtenir une majorité, pas besoin de l’addition de deux tiers mais simplement d’un tiers avec les deux tiers d’un autre tiers. Macron essaye de fracturer le tiers de gauche pour faire l’appoint alors que c’est à la gauche d’exiger des députés macronistes qu’il fassent l’appoint nécessaire à la gauche pour gouverner en leur expliquant que s’ils ne le font pas alors leur chef sera contraint, tel Mac Mahon, à la démission.