Savoirs

La Chute du ciel, un animisme de combat

Philosophe

La question que se pose une anthropologie animiste n’est pas celle fondatrice de l’anthropologie occidentale : « Qu’est-ce que l’homme ? » Elle s’interroge plutôt sur la manière dont les diverses espèces d’humains actualisent leur différentiel d’humanité, avec quelle dangerosité pour les autres, humains et non-humains. Le constat, avec le différentiel d’humanité occidental, est cinglant : il n’y a pas un être qui ne soit pas en danger.

Ce mercredi 5 février sortira, dans les salles françaises, le film de Gabriela Carneiro da Cunha et d’Eryk Rocha, La Chute du ciel (NDLR : un entretien avec les réalisateurs a été publié samedi dans AOC) Intégralement tourné dans la communauté de Watoriki, où vit le grand chaman brésilien yanomami Davi Kopenawa, le film porte le même titre, et la même parole, que le manifeste autochtone La Chute du ciel. Paroles d’un chaman yanomami, paru en français aux éditions Plon, en 2010, et traduit, depuis, dans toutes les langues de la modernité coloniale européenne : l’allemand, l’anglais, l’espagnol, le portugais et l’italien.

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Une somme de plus de mille pages coécrite par Kopenawa et son ami anthropologue Bruce Albert, engagé à ses côtés depuis les années 1970 dans la lutte pour la démarcation du territoire yanomami et la défense de ses habitants contre les maux que leur inflige l’expansion du système-monde capitaliste : l’orpaillage, la pollution des eaux, la déforestation agricole, les épidémies, les viols et les meurtres, le trafic des armes, l’alcool et, d’une manière générale, la subversion des esprits par le fétichisme de la Valeur.

Dans une sorte d’admonestation prodiguée au principal lieu de leur intelligence collective, à savoir dans un livre imprimé, Kopenawa prévenait les Blancs du risque d’une « chute du ciel » auquel les expose leur voracité extractiviste. La menace était claire. Elle se comprenait aussi bien dans la cosmovision yanomamie que dans l’imaginaire du Livre choisi par les Blancs pour servir de fondement au modèle civilisationnel auquel ils ont coutume de s’identifier.

Aucun lecteur francophone, anglophone, germanophone, italophone, hispanophone ou lusophone, c’est-à-dire dont la pensée a été plus ou moins formée par le canon scripturaire euro-chrétien, de La Chute du ciel ne pouvait l’ignorer : la chute du ciel, c’est la chute du ciel sur la terre, la pure et simple annulation de la Genèse qui, aux origines du monde et de l’humanité, aura


[1] Terme utilisé par David Graeber et Marshall Sahlins dans Sur les rois (2017), traduit de l’anglais par Marcus Heide et Antoine Savona, La Tempête, 2023, en référence aux travaux d’Eduardo Viveiros de Castro, pour traduire le terme araweté , qui désigne les êtres responsables et propriétaires anthropomorphiques d’une ressource ou d’un domaine.

[2] Voir Jean-Christophe Goddard, Ce sont d’autres gens. Contre-anthropologies décoloniales du monde blanc, Wildproject, 2024.

[3] Guillaume Blanc, L’Invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, Flammarion, 2022 [1ère éd. 2020].

[4] David Graeber et Marshall Sahlins, Sur les rois, op. cit.

[5] Voir Achille Mbembé, « La Palabre de l’indépendance : les ordres du discours nationaliste au Cameroun (1948-1958) », Revue française de science politique, vol. 35, 1985/3, p. 459-487.

[6] Voir Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, La Guerre du Cameroun. L’invention de la Françafrique (1948-1971), La Découverte, 2016.

Jean-Christophe Goddard

Philosophe, Professeur à l’université Toulouse II Jean Jaurès, membre de l’équipe de recherche sur les Rationalités philosophiques et les Savoirs (ERRAPHIS, université Toulouse II) et chercheur associé à l’université nationale de Séoul (Corée du Sud)

Notes

[1] Terme utilisé par David Graeber et Marshall Sahlins dans Sur les rois (2017), traduit de l’anglais par Marcus Heide et Antoine Savona, La Tempête, 2023, en référence aux travaux d’Eduardo Viveiros de Castro, pour traduire le terme araweté , qui désigne les êtres responsables et propriétaires anthropomorphiques d’une ressource ou d’un domaine.

[2] Voir Jean-Christophe Goddard, Ce sont d’autres gens. Contre-anthropologies décoloniales du monde blanc, Wildproject, 2024.

[3] Guillaume Blanc, L’Invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, Flammarion, 2022 [1ère éd. 2020].

[4] David Graeber et Marshall Sahlins, Sur les rois, op. cit.

[5] Voir Achille Mbembé, « La Palabre de l’indépendance : les ordres du discours nationaliste au Cameroun (1948-1958) », Revue française de science politique, vol. 35, 1985/3, p. 459-487.

[6] Voir Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, La Guerre du Cameroun. L’invention de la Françafrique (1948-1971), La Découverte, 2016.