International

Donald Trump gèle l’aide publique au développement, l’Europe doit prendre le relai

Haut fonctionnaire

Donald Trump a annoncé une suspension de 90 jours de l’aide américaine au développement pour évaluer son alignement avec les « intérêts » américains, une aide déjà limitée. L’Europe sera-t-elle capable de trouver 23 milliards pour aider des pays en difficultés à garantir le minimum nécessaire à la survie de leurs populations et à la restauration d’un peu de stabilité ? Le rôle de solidarité internationale qui lui revient, et qu’elle prétend jouer, lui en incombe.

Donald Trump a suspendu le 31 janvier tous les programmes d’aide publique au développement financés par les États-Unis.

publicité

Les commentateurs européens, habitués à ce que les responsables politiques de notre vieux continent ne fassent pas ce qu’ils promettent de faire pour être élus, voire même agissent à l’inverse de ce qu’ils avaient promis, n’en reviennent pas que Donald Trump mette à exécution, en quelques jours, ce qu’il avait dit pendant la campagne qui a permis sa réélection. Le journal Le Monde est sidéré et pense que le monde entier l’est avec lui.

Il serait temps, pourtant, que l’Europe sorte de sa sidération et abandonne son comportement d’enfant immature, protestant contre une autorité, celle des États-Unis, dont elle est incapable de s’émanciper.

Donald Trump a justifié sa décision par sa volonté de soumettre tous les programmes d’aide internationale à examen, dans un délai de 90 jours, afin de vérifier qu’ils sont alignés avec les intérêts américains et qu’ils sont conformes aux « valeurs des États-Unis » (ces valeurs restent un mystère, Donald Trump n’ayant à la bouche que la défense des « intérêts » américains). Seuls les programmes en faveur de l’Égypte et d’Israël sont épargnés par cette décision à caractère général. Jusqu’à nouvel ordre. En effet, l’administration Trump a déjà dû faire machine arrière sur un autre décret gelant tous les concours aux agences fédérales, qui avait eu pour effet de mettre à l’arrêt les services ayant pour mission de verser les aides des programmes « Medicare » et « Medicaid » qui constituent les piliers du système social américain ; il en résultat immédiatement un grand tumulte dans le pays.

Trump agit comme à l’accoutumée avec brutalité et sans nuances. Comme il n’est jamais gêné par des changements de cap brutaux, toujours présentés comme des décisions parfaitement cohérentes avec les précédentes, il n’est pas exclu que, s’agissant de l’aide publique au développement, de nouveaux rebondissements interviennent dans les semaines qui viennent.

Pour le moment, il considère que l’aide publique au développement est en grande partie un gaspillage d’argent public que les États-Unis doivent s’épargner, d’autant qu’il est employé, selon lui, pour contribuer à la diffusion dans le monde de l’idéologie woke qu’il combat.

Bref retour sur l’histoire de l’aide publique au développement

Ce n’est pas la première fois que l’aide publique au développement est mise en accusation.

Elle s’est développée au lendemain de la deuxième guerre mondiale autour d’un objectif qui s’énonçait assez simplement : lutter contre la pauvreté et permettre aux pays, alors qualifiés de sous-développés, de développer leur économie pour la faire converger progressivement avec celle des pays capitalistes développés.

L’aide au développement fut un instrument, parmi d’autres, de la guerre froide, chaque bloc cherchant à conforter son influence géopolitique par ces financements. Ce contexte n’incitait pas à être trop regardant sur l’utilisation des fonds qui étaient transférés, et le rôle de l’aide au développement dans la corruption a été très tôt dénoncé.

Puis sont venues des critiques sur la contribution de cette aide publique au développement des pays récipiendaires. Certains économistes considéraient que ces flux financiers étaient sans impact sur la croissance économique des pays bénéficiaires de l’APD, d’autres ont même défendu qu’ils constituaient un obstacle à un développement économique endogène plus équilibré. Enfin, il fut reproché aux pays développés d’imposer aux pays en voie de développement des politiques commerciales qui les ruinaient, en même temps qu’ils prétendaient les aider .

La chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique se sont accompagnés d’une baisse considérable de l’aide au développement, comme si la fin d’histoire théorisée par Francis Fukuyama avait mis fin au sous-développement. Les « dividendes de la paix » devaient avant tout permettre le retour de la prospérité dans les pays qui l’avaient connue, puis perdue après les trente glorieuses. L’APD des États-Unis, du Royaume-Uni ou de la France par exemple, diminua de moitié entre 1990 et 1997.

La grande question pour les pays riches n’était plus celle de l’aide au développement des pays en voie de développement, mais la restructuration de leur dette, dans le cadre de programmes élaborés par le Fonds monétaire international, programmes de mise en coupe réglée de ce qui restait de leur économie, à coups de privatisations forcées au bénéfice d’investisseurs étrangers des pays développés, condition de la restructuration de leur dette. Les conséquences désastreuses de ces programmes imposés par le FMI sont maintenant largement reconnues.

En même temps que l’aide publique était réduite à la portion congrue, les années 90 ont été celles du développement de la charité privée, par le développement de fondations et d’ONG diverses, dont l’action fut encouragée par des régimes fiscaux très favorables qui font supporter, au bout du compte, par les États, au travers des exemptions d’impôts, les actions privées qu’ils ne contrôlent plus. La fondation de Melinda et Bill Gates est l’une des plus connues, même si elle est loin d’être la seule. Elle permet à l’intéressé d’agir comme un chef d’État dans un certain nombre de pays, et de faire la leçon aux organisations multilatérales qui agissent dans un cadre autrement plus contraint que celui du milliardaire.

Au début des années 2000, les États-Unis ont redécouvert de la manière la plus brutale les pays en voie de développement, avec l’attentat du 11 septembre 2001 qui a réduit en cendres les tours du World Trade Center, tué 2 977 Américains et blessé plus de 6 000 d’entre eux. La France, la Belgique et d’autres pays n’ont pas été épargnés non plus par la montée du terrorisme. Les pays développés ont également redécouvert le caractère mondial des épidémies, bien avant celle du COVID-19 en 2020, notamment avec le VIH ou le virus Ébola.

Enfin, puisque le nouvel horizon fixé par les États-Unis était celui de la mondialisation de l’économie, il fallait bien s’intéresser à la place des pays en développement dans cette mondialisation qui a permis à la Chine de passer de la situation de pays en développement à celle de première puissance économique mondiale en trois décennies.

Un sommet des Nations unies réuni en 2000 a défini les « objectifs du millénaire pour le développement ». Ils étaient au nombre de huit : élimination de l’extrême pauvreté et de la faim, en réduisant de moitié la part des individus vivant avec moins d’un dollar par jour et dans la même proportion celle des individus souffrant de la faim ; assurer l’éducation primaire pour tous ; promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ; réduire la mortalité infantile ; améliorer la santé maternelle ; combattre le sida et le paludisme ; assurer un environnement durable ; mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

Un autre sommet des Nations unies, réuni en 2015, a constaté que ces objectifs n’étaient pas atteints et en a fixé d’autres plus ambitieux, au lieu d’identifier les raisons de cet échec. Cette fois, ce sont 17 objectifs de développement durable et 169 cibles qui sont devenus la feuille de route des Nations unies en matière de développement, jusqu’en 2030. On ne voit pas bien comment il pourrait être plus facile d’atteindre 17 objectifs plutôt que 8. Ce sont là les mystères de la décision politique.

Le phénomène le plus spectaculaire depuis le début des années 2000 est la multiplication des organismes publics et privés intervenant dans l’aide au développement.

L’agence française de développement (AFD), qui est le principal organisme public dans ce domaine, indique sur son site : « Avec 186 milliards de dollars, tels qu’exprimés par les règles très spécifiques du CAD (comité de l’aide au développement) de l’OCDE en 2021, l’aide publique au développement constitue une grande partie des financements publics internationaux à destination des pays en développement, qui sont d’un ordre de grandeur de 300 milliards de dollars en versements bruts, sans compter les financements extérieurs chinois. À côté de ces financements d’origine publique, il existe des financements internationaux de nature privée qui arrivent dans les pays en développement : investissements privés, actions des fondations et des ONG, transferts d’argent des citoyens expatriés aux familles restées au pays – ces derniers représenteraient à eux seuls 626 milliards de dollars à l’échelle mondiale en 2022, selon une estimation de la Banque mondiale. »

Un effort de solidarité avec les plus pauvres qui reste limité

Entre 2010 et 2023, l’aide publique mondiale au développement est passée de 0,31 % du revenu national brut des pays donateurs à 0,37 %. Pourtant, ceux-ci s’étaient engagés, lors du sommet du millénaire des Nations unies, à y consacrer 0,7 % de leur revenu national brut (RNB = PIB + revenus perçus de l’extérieur). Cinq pays seulement ont respecté cet objectif en 2023 : la Norvège, le Luxembourg, La Suède, L’Allemagne et le Danemark.

Le Conseil européen a adopté un rapport indiquant qu’en 2023, l’aide publique des institutions de l’Union européenne et de ses États-membres à atteint 95,9 milliards d’euros, après 93,3 milliards en 2022 et 71,6 milliards en 2021. L’Union européenne et ses États-membres sont donc les principaux financeurs de l’aide publique au développement dans le monde. Leur contribution représente 42 % de l’aide publique mondiale au développement. Elle représentait, en 2023, 0,57 % du revenu national brut de l’Union européenne.

La contribution des États-Unis à l’aide publique mondiale au développement est très inférieure à celle de l’Union européenne. Elle n’était que de 64,7 milliards de dollars en 2023 et ne représente que 0,24 % du revenu national brut du pays. L’effort consenti par les États-Unis en faveur des pays en développement, rapporté à sa richesse, le place au 26e rang des pays donateurs, derrière la plupart des pays de l’Union européenne.

Le discours de Donald Trump présentant les États-Unis comme les financeurs généreux du reste du monde mérite donc d’être sérieusement nuancé.

La situation de la France dans ce tableau d’ensemble ne lui permet guère de se présenter en donneuse de leçons. En effet, son effort d’aide publique au développement est en réduction depuis 2020. De plus, le gouvernement français a transformé l’aide au développement en outil de négociation avec les pays bénéficiaires pour les obliger à coopérer à la politique d’immigration voulue par la France.

En 2023, le budget de l’APD de la France était inférieur à celui de 2020, à 4,4 milliards d’euros. Ce montant a été réduit encore de 742 millions d’euros en 2024. Le projet de budget 2025 prévoit de réduire de plus de 2 milliards d’euros ce budget, une baisse sans précédent en rupture avec toutes les déclarations de l’exécutif depuis 2020.

L’UE doit respecter ses engagements, se substituer aux USA défaillants et choisir la solidarité pour éloigner les risques de guerre

L’Union européenne comme les autres pays riches membres des Nations unies, s’est engagée à consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l’aide au développement. Il faudrait pour cela que l’Europe porte les dépenses qu’elle réalise à ce titre de 96 milliards d’euros à 119 milliards d’euros, soit une augmentation de 23 milliards d’euros qui représente un peu plus de 0,1 % du PIB de l’Union européenne en 2023 (16 970 milliards d’euros).

C’est loin d’être négligeable si l’on compare cette somme au budget annuel de l’Union européenne (186 milliards d’euros d’engagements et 170 milliards d’euros de paiements en 2024, à comparer à 640 milliards d’euros de dépenses de l’État français la même année).

Mais cette contribution supplémentaire représente un effort modeste pour les 27 pays de l’Union européenne. Un effort qui permettrait à l’Europe de se présenter comme l’ensemble politique qui refuse de laisser les pays pauvres se débrouiller avec leurs difficultés, dont une partie résulte d’ailleurs des politiques conduites par les pays les plus riches.

Les dépenses militaires de l’Union européenne représentent aujourd’hui 1,9 % du PIB européen. Personne ne semble récuser en Europe la nécessité d’augmenter les dépenses consacrées à la défense et à l’armement. Certains des pays membres de l’UE l’ont d’ailleurs déjà fait de façon considérable. La Pologne n’est plus très loin des 4 % de PIB consacrés au budget de la défense, réclamés à grands cris par Donald Trump.

Pour porter son budget de défense simplement à 3 % du PIB, l’Union européenne devrait trouver 187 milliards d’euros de ressources supplémentaires. Cette perspective ne semble plus contestée par personne tant la menace russe sur la sécurité européenne, d’une part, et la menace de Donald Trump de laisser l’Europe se débrouiller pour assurer sa propre sécurité, d’autre part, ont modifié les esprits.

Serons-nous capables de trouver des centaines de milliards nécessaires pour nous préparer au chaos d’un éventuel affrontement militaire sur le sol européen et incapables de trouver 23 milliards pour aider des pays en difficultés à assurer le minimum permettant à leur population de survivre et à retrouver un peu de stabilité ?

Si elle répondait comme il convient à cette question, c’est-à-dire en occupant la place laissée libre par les États-Unis auprès des 150 États à revenu faible ou intermédiaires bénéficiaires de l’aide publique au développement, l’Union européenne assumerait le rôle de solidarité internationale qui lui revient et qu’elle prétend jouer, et contribuerait également de façon certaine à limiter les risques de conflits militaires de plus en plus inquiétants auxquels nous sommes confrontés.


Jean-François Collin

Haut fonctionnaire