Numérique

Chiralités : après la vérité

Artiste

Comment vivre et coexister dans cette avalanche de fausses nouvelles qui semblent faire abstraction du sens commun ? Comment rendre compte du bouleversement des régimes de vérité sans tomber dans la restauration d’un passé mythique ? À l’ère de la réversibilité des discours, le concept de chiralité s’impose pour penser cette réalité fracturée, se libérer du mythe d’une IA autonome, ou d’une contre-réalité qui serait simplement fausse.

Comment décrire la tonalité de notre époque qui traverse des phénomènes contradictoires, sans que les modalités de cette description n’imposent d’avance une perspective prétendant évaluer comme du dehors ce que nous arrive ? Comment rendre compte du bouleversement dans les régimes de vérité sans instaurer en sous-main un passé mythique où ceux-ci auraient été stables, fiables et partagés ? Comment éviter l’ambivalence de « l’enthousiasme conjuratoire »[1] où la critique met en scène l’immensité d’un ennemi pour s’accorder un crédit d’égale importance et où l’exaltation cache mal l’impossibilité de l’avenir ?

publicité

C’est sans doute que l’ensemble des mots que nous utilisons charrient avec eux certains présupposés quant à ce qui délimite ce qui est vrai et ce qui est réel, et qu’il est difficile, sans doute impossible, de s’en libérer entièrement. Il faudra donc endurer l’imperfection de nos déterminations et de nos conceptualisations, leur caractère désajusté par rapport à ce qu’il faudrait nommer.

Car est-il même possible d’approcher cette avalanche de discours réversibles qui dissolvent aujourd’hui toute position significative ? Tout se passe comme si tout ce qui se passait portait une signification s’inversant, palpitant dans le clignotement de sa valeur de vérité : le malentendu se généralise. Ainsi, le geste d’Elon Musk a été interprété de multiples façons. Chaque argumentation, associée à une liste de caractérisations, semblant mener à une argumentation contraire et à une autre liste détaillée jusqu’à l’absurde, chacun devenant historien ou neurologue, alors même qu’il y a quelques années, peut-être quelques mois, sa référentialité nazie n’aurait pas fait débat.

S’agit-il d’un cauchemar où le pire arrive toujours comme dans Fire Walk With Me (1992), Laura Palmer, fixant le vide et apathique, raconte qu’elle rêve de tomber, de plus en plus vite, jusqu’à prendre feu ? Ou bien est-ce plus ambivalent, parce que même dans le cas où nous avions cru échapper, ému,


[1] Jacques Derrida, Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993.

[2] Jean-François Lyotard, Le Différend, Paris, Éditions de Minuit, 1984.

[3] Anna Longo, Le jeu de l’induction : automatisation de la connaissance et réflexion philosophique, Paris, Éditions Mimesis, 2022.

[4] Gilles Deleuze, Le Pli : Leibniz et le Baroque, Éditions de minuit, Paris, 1988.

[5] Quentin Meillassoux, « Deuil à venir, dieu à venir ». Critique, 2006/1 n° 704-705, 2006, p.105-115.

[6] Mark Fisher, Par-delà étrange et familier, Paris, Sans soleil, 2024.

Gregory Chatonsky

Artiste, Enseignant au sein de l'EUR Artec

Mots-clés

IA

Notes

[1] Jacques Derrida, Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993.

[2] Jean-François Lyotard, Le Différend, Paris, Éditions de Minuit, 1984.

[3] Anna Longo, Le jeu de l’induction : automatisation de la connaissance et réflexion philosophique, Paris, Éditions Mimesis, 2022.

[4] Gilles Deleuze, Le Pli : Leibniz et le Baroque, Éditions de minuit, Paris, 1988.

[5] Quentin Meillassoux, « Deuil à venir, dieu à venir ». Critique, 2006/1 n° 704-705, 2006, p.105-115.

[6] Mark Fisher, Par-delà étrange et familier, Paris, Sans soleil, 2024.