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Quand la science est attaquée, la démocratie vacille

Politiste

Depuis son arrivée au pouvoir, l’administration Trump II poursuit une croisade anti-scientifique sans précédent et multiplie les coupes budgétaires, interdictions et répressions. Une menace qui pèse lourdement sur la recherche américaine et fait écho aux restrictions des libertés académiques à l’échelle internationale : en réaction, la communauté scientifique s’organise ce 7 mars au sein du mouvement « Stand Up for Science », visant à défendre le rôle essentiel de la recherche.

La déferlante de l’obscurantisme MAGA continue de s’abattre sur la nation américaine.

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Depuis la réélection du président Trump, les institutions scientifiques et académiques sont la cible d’attaques sans précédent, menaçant les fondements mêmes de la liberté et de la démocratie.​

L’administration Trump a licencié des milliers de chercheurs au sein des agences de recherche telles que les National Institutes of Health (NIH), la National Science Foundation (NSF) et la NASA. Des financements fédéraux essentiels à la recherche ont été gelés, notamment 1,5 milliard de dollars destinés à la recherche médicale. Les programmes scientifiques menés par les agences fédérales sont paralysés. Une liste de concepts interdits, pourtant indispensables à la prévention des risques, a été publiée, tels que « femme », « handicap », « personnes âgées », « genre », « biais », « discrimination », « inclusion », « victime ». Cette censure digne de la Chine maoïste vise à effacer des pans entiers de la connaissance et à inciter à l’autocensure parmi les chercheurs. Des milliers de pages web contenant des données scientifiques cruciales ont été supprimées des sites des agences fédérales, notamment celles traitant du changement climatique et des questions de genre.

Ce sont maintenant les universités qui sont la cible d’actions d’intimidation et de discours violents, mêlant condamnations morales, chantages financiers, menaces de répression policière. Dans un message posté le 4 mars sur le réseau Truth Social, le président Trump déclarait qu’en cas de manifestations sur les campus universitaires, « les agitateurs seront emprisonnés ou renvoyés définitivement dans leur pays d’origine. Les étudiants américains seront expulsés définitivement ou, selon le délit, arrêtés ». Il menaçait de couper les financements fédéraux aux établissements autorisant ces « protestations illégales ». Dans la foulée, la secrétaire à l’Éducation, Linda McMahon, a engagé un bras de fer avec les universités d’élite, lançant une revue complète des fonds fédéraux qui leur sont alloués. L’administration Trump a explicitement ciblé l’Université Columbia, menaçant de suspendre 51 millions de dollars de contrats fédéraux.

Cette offensive n’est pas surprenante. Elle est préparée de longue date. Les universités d’élite, considérées comme les temples de la pensée « woke » et des bastions de la reproduction des élites libérales, constituent depuis longtemps la bête noire de la base nationale-conservatrice. JD Vance est l’un des idéologues virulents alimentant la guerre culturelle contre les universités. Dès 2021, lors de la National Conservatism Conference, il appelait à une offensive radicale contre le milieu universitaire, accusé de propager tromperies et mensonges. Il exhortait à « attaquer honnêtement et agressivement les universités de ce pays », avant de conclure, citant Nixon : « les professeurs sont l’ennemi ».

Ainsi, la colère du camp trumpiste accompagne une vague sans précédent d’attaques contre les universités, alimentée par les nombreux séides de l’extrême-droite américaine, comme Charles Kirk, Steve Bannon, Laura Loomer ou Ron DeSantis. Leur objectif assumé est la destruction des institutions qui ont accompagné et nourri intellectuellement le mouvement de libéralisation culturelle de la société américaine depuis les années 60, contre les valeurs traditionnelles de la société américaine, blanche, patriarcale et religieuse.

Conséquence de ces attaques brutales, la peur a envahi les esprits sur les campus universitaires. Si la gauche démocrate semble tétanisée, la société tente néanmoins de répliquer. Le mouvement « Stand Up for Science 2025 », lancé par un petit groupe de doctorants, appelle les citoyens américains à manifester leur soutien à la science contre les mensonges et mystifications véhiculées par le nouveau président. ​

La science est un enjeu existentiel des sociétés démocratiques. Elle permet aux citoyens de débattre sur la base de faits et de prendre des décisions éclairées. Elle libère des opinions préconçues, des mythes et des théories bidons véhiculées par les apôtres du complot. Mais admettons-le : elle fait aussi l’objet d’une défiance croissante dans une partie de la population, sensible à la rhétorique populiste du « bon sens », terreau fertile pour propager l’anti-intellectualisme, diffuser des idées extrêmes et attiser les peurs.

Défendre la science n’est pas l’affaire des seuls chercheurs. Cela concerne les institutions culturelles, les médias, les plateformes numériques, les responsables politiques et même les acteurs économiques. Tous ont un rôle à jouer pour défendre l’esprit critique et renforcer la confiance dans les connaissances validées. Le combat pour la science est une question politique. Il doit être mené dans l’espace public. Il engage tous les citoyens.

Face à l’autoritarisme qui s’abat sur les États-Unis, les pays européens ont une occasion unique de constituer un espace de défense des sciences. Nos universités doivent demeurer des lieux dédiés à la production du savoir et protégés des pressions politiques croissantes. Elles ont désormais l’opportunité de renforcer leur attractivité pour les chercheurs du monde entier.

Cela suppose d’être conscient des risques qui pèsent sur nos institutions académiques et de recherche, et d’agir en conséquence :

Protéger la liberté académique : Les universités doivent se mobiliser pour défendre leur autonomie, essentielle pour le maintien de l’esprit critique et le progrès des connaissances.

Renforcer les moyens des universités : Il est crucial d’accroître les financements pour développer une science de qualité et attirer les plus grands chercheurs, à l’opposé des politiques de réduction des budgets observées ces dernières années.

Accueillir les scientifiques menacés : L’Europe doit lancer un programme d’accueil des scientifiques souhaitant quitter les États-Unis en raison des pressions politiques, renforçant ainsi son rôle de refuge pour la liberté académique.

Combattre le populisme anti-scientifique : Il est urgent de lutter contre les discours des partis extrémistes qui cherchent à instaurer un anti-élitisme d’atmosphère, s’inspirant du modèle MAGA pour dénigrer les sciences, attaquer les universités, pour mieux promouvoir une vision autoritaire de notre société.

La science est aujourd’hui en danger. Elle doit être protégée et défendue. Elle est la condition d’une société libre, prospère et démocratique.


Olivier Nay

Politiste, Professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne