International

L’union internationale des sentinelles est-elle possible ?

Anthropologue

La sentinelle est ce qui, au sein de la vie d’une nation, en capte les signaux d’alerte pour les transmettre à travers une chaîne d’acteurs jusqu’à un espace public où elle se traduit de façon institutionnelle. La solidarité des sentinelles consiste à construire cet espace, pour atteindre une santé planétaire démocratique. Tel pourrait être le bloc antagoniste à la loi du plus fort du triumvirat États-Unis-Chine-Russie.

Depuis la réélection de Donald Trump, qui consacre la mise en place d’un triumvirat autoritaire à la tête des trois États les plus puissants du monde (États-Unis, Chine et Russie), de nombreuses interrogations ont porté sur la coordination possible d’un bloc antagoniste qui soutiendrait la liberté et la démocratie. Je voudrais contribuer à cette réflexion à partir de mes recherches sur ce que j’ai appelé les sentinelles des pandémies.

publicité

Peut-on élargir ce terme de l’usage que j’en ai fait pour décrire Hong Kong, Taïwan et Singapour, territoires qui se préparaient à une pandémie causée par un virus de grippe aviaire ou un coronavirus de chauve-souris venu de Chine, à d’autres territoires comme la Californie, le Canada, le Sénégal, l’Afrique du Sud ou l’Europe, qui se préparent à une guerre mondiale causée par le triumvirat ? En quoi une union internationale des sentinelles nous ferait-elle comprendre autrement nos concepts de nation et de souveraineté, au moment où ces termes sont employés par des pouvoirs autoritaires et dominateurs ?

Les techniques de préparation aux pandémies ont mis à l’épreuve les États modernes dans leur dimension biopolitique. Michel Foucault a bien montré que la biopolitique réorganise la souveraineté des États héritée de l’âge classique en dissociant les techniques de pouvoir en deux dimensions : des techniques de discipline des individus (dont le contrôle des citoyens par les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle est la forme la plus récente) et des techniques de gouvernement des populations (que les mesures de santé publique visant à confiner ou laisser circuler des individus en fonction de leur caractère essentiel à l’économie ont poussé à leur maximum).

Foucault a ainsi laissé de côté une autre dimension de l’État à l’âge classique, qui s’est transformée avec la modernité : la logique extractive par laquelle un État s’approprie des ressources sur un autre territoire en dominant ses habitants et en les traitant comme des


[1] Cf. Grégoire Chamayou, Les Chasses à l’homme, Paris, La fabrique, 2010 ; Achille Mbembe, Critique de la raison nègre, Paris, La découverte, 2013.

[2] Cf. Frédéric Keck, Les sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine, Paris, Seuil, 2021 ; Politique des zoonoses. Vivre avec les animaux au temps des virus pandémiques, Paris, La Découverte, 2024.

[3] Sur l’articulation nécessaire pour l’anthropologie entre une analyse ontologique, située au niveau des modes d’identification, et une analyse politique, située au niveau des modes de relation, je renvoie au livre fondamental de Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

[4] Si je partage avec Pierre Charbonnier le diagnostic d’une « écologie de guerre », c’est-à-dire d’une opportunité pour l’écologie d’avancer dans un contexte de guerre globale, je ne propose pas de conseiller aux grandes puissances de faire les réformes écologiques nécessaires pour limiter les effets du réchauffement climatiques, mais de constituer un contre-front qui se prépare aux catastrophes environnementales en partageant les signaux d’alerte. Il ne s’agit pas de redonner sa chance au naturalisme, selon la reprise que fait Pierre Charbonnier du concept forgé par Philippe Descola, mais de constater l’échec de ce dernier à formuler une conception de la souveraineté répondant aux défis écologiques. Il s’agit ainsi, pour reprendre d’autres concepts à Philippe Descola, de faire une alliance entre l’animisme et l’analogisme, c’est-à-dire entre des groupes sociaux qui perçoivent les signaux d’alerte précoce des catastrophes environnementales et d’autres qui construisent des collectifs stables dans la gestion des crises. Cf. Pierre Charbonnier, Vers l’écologie de guerre. Une histoire environnementale de la paix, Paris, La Découverte, 2024 ; « Le naturalisme a-t-il un avenir ? », in G. Delaplace et S. d’Onofrio (dir.), Philippe Descola, Paris, L’Herne, 2024, p. 132-135.

[5]

Frédéric Keck

Anthropologue, Directeur de recherche au CNRS

Notes

[1] Cf. Grégoire Chamayou, Les Chasses à l’homme, Paris, La fabrique, 2010 ; Achille Mbembe, Critique de la raison nègre, Paris, La découverte, 2013.

[2] Cf. Frédéric Keck, Les sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine, Paris, Seuil, 2021 ; Politique des zoonoses. Vivre avec les animaux au temps des virus pandémiques, Paris, La Découverte, 2024.

[3] Sur l’articulation nécessaire pour l’anthropologie entre une analyse ontologique, située au niveau des modes d’identification, et une analyse politique, située au niveau des modes de relation, je renvoie au livre fondamental de Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

[4] Si je partage avec Pierre Charbonnier le diagnostic d’une « écologie de guerre », c’est-à-dire d’une opportunité pour l’écologie d’avancer dans un contexte de guerre globale, je ne propose pas de conseiller aux grandes puissances de faire les réformes écologiques nécessaires pour limiter les effets du réchauffement climatiques, mais de constituer un contre-front qui se prépare aux catastrophes environnementales en partageant les signaux d’alerte. Il ne s’agit pas de redonner sa chance au naturalisme, selon la reprise que fait Pierre Charbonnier du concept forgé par Philippe Descola, mais de constater l’échec de ce dernier à formuler une conception de la souveraineté répondant aux défis écologiques. Il s’agit ainsi, pour reprendre d’autres concepts à Philippe Descola, de faire une alliance entre l’animisme et l’analogisme, c’est-à-dire entre des groupes sociaux qui perçoivent les signaux d’alerte précoce des catastrophes environnementales et d’autres qui construisent des collectifs stables dans la gestion des crises. Cf. Pierre Charbonnier, Vers l’écologie de guerre. Une histoire environnementale de la paix, Paris, La Découverte, 2024 ; « Le naturalisme a-t-il un avenir ? », in G. Delaplace et S. d’Onofrio (dir.), Philippe Descola, Paris, L’Herne, 2024, p. 132-135.

[5]