International

Israël face à son miroir : mémoire brisée, alliances perdues

Socio-anthropologue

Comment se revendiquer, aujourd’hui, d’une mémoire juive ? L’État d’Israël, fondé au nom de la mémoire de l’exil et de la Shoah, et désormais engagé dans des alliances avec des régimes autoritaires et nationalistes. Les dérives du sionisme, devenu idéologie d’État, appellent avec urgence à une refondation éthique et politique du projet israélien, à la lumière de l’universalisme juif – non pour justifier l’impunité, mais pour rouvrir l’espace du dialogue, de la justice, et de la cohabitation.

Il y a, dans le spectacle géopolitique qu’offre aujourd’hui Israël, quelque chose de si profondément troublant qu’il en devient presque insoutenable. Né de l’exil, de l’errance et du refus de l’humiliation, cet État multiplie désormais les alliances avec les régimes les plus réactionnaires de la planète.

publicité

L’abri des rescapés de l’histoire pactise dorénavant avec ceux‑là mêmes qui la falsifient et, trop souvent, se nourrissent d’un antisémitisme réinventé. Viktor Orbán en Hongrie, chantre de la « démocratie illibérale » ; Narendra Modi en Inde, instigateur d’une citoyenneté à deux vitesses ; Jair Bolsonaro au Brésil, nostalgique assumé de la dictature militaire ; Donald Trump aux États‑Unis, briseur de garde‑fous institutionnels : autant de figures d’un autoritarisme mondialisé que l’on croyait aux antipodes de l’expérience juive moderne. Pourtant, c’est avec eux qu’Israël s’aligne, y trouvant couverture stratégique, soutien diplomatique et reconnaissance symbolique. Et c’est peut‑être là que se love un autre scandale : non pas seulement dans les violences perpétrées, mais dans la célébration de ces complicités, dans les reniements consentis, dans la fabrication d’un miroir où la mémoire se trahit elle‑même.

Il y a dans les alliances actuelles d’Israël quelque chose de vertigineux. Quand un Viktor Orbán, qui célèbre les régimes autoritaires et pourfend les Juifs libéraux via le mythe Soros, est accueilli avec solennité à Jérusalem ; quand Narendra Modi, artisan de la marginalisation des musulmans indiens, reçoit le soutien stratégique d’Israël ; quand Jair Bolsonaro ou Donald Trump,  tous deux porteurs d’un projet de désarticulation démocratique, sont traités comme des partenaires naturels – ce n’est plus seulement de la diplomatie cynique, c’est une inversion des repères.

Ces dirigeants ne soutiennent pas Israël parce qu’ils aiment les Juifs ; ils le soutiennent parce qu’ils voient en lui un modèle d’État‑sécurité, une puissance ethno‑nationale efficace, te


Bernard Kalaora

Socio-anthropologue, Chercheur à l'IIAC (CNRS, EHESS), ancien président de l’association LITTOCEAN

Mots-clés

DémocratieMémoire