International

Nier la presse à Gaza – sur un propos de Raphaël Enthoven

Philosophe

« Au rythme où les journalistes sont tués à Gaza par l’armée israélienne, il n’y aura bientôt plus personne pour vous informer », alertent des centaines de médias ce lundi 1er septembre, dans le cadre de la campagne de mobilisation internationale à l’initiative de RSF et Avaaz. Dans ce contexte, il nous apparaît nécessaire de remettre en question les discours qui disqualifient la parole des Palestiniens et contribuent à faire disparaître leur mémoire du débat public.

Par un message posté sur le réseau X le 15 août 2025, dans le contexte de l’indignation internationale suscitée par le meurtre du journaliste de la chaîne Al-Jazeera Anas Al-Sharif, ciblé avec quatre de ses collègues par une frappe israélienne, Raphaël Enthoven déclarait :

« Il n’y a AUCUN journaliste à Gaza. Uniquement des tueurs, des combattants ou des preneurs d’otages avec une carte de presse. »

Sur les réseaux sociaux, l’usage des majuscules vient souvent appuyer la véhémence d’un propos en permettant au scripteur de hausser la voix. Ici toutefois, ce choix semble dicté par un autre motif : à ces deux phrases dont, chaque fois, le point donne l’allure d’un rappel indiscutable, l’adverbe « AUCUN » ajoute le poids de la nécessité. Il invite à comprendre qu’aux yeux de l’auteur, les journalistes ne sont pas simplement absents de Gaza, comme s’il se trouvait juste qu’il n’y en avait pas ; sous le feu croisé des adverbes « aucun » et « uniquement », ce n’est pas une absence de fait, mais bien une impossibilité de droit et de principe qui se trouve posée comme par construction. Dans cet enchâssement adverbial, l’expression « journaliste à Gaza » apparaît comme une contradiction in adjecto, un improbable « cercle carré », une illusion langagière dont il convient de démasquer la consistance apparente. Aussi est-ce rappeler à la raison que de dissiper une telle chimère en rétablissant une description exempte d’ambiguïté : tueurs, combattants, preneurs d’otages.

Les plus âgés, dont je suis, se souviennent que Raphaël Enthoven conduisit un temps une émission de philosophie de bonne tenue où il était loisible d’échanger autre chose que des invectives. Peut-être l’ancien animateur sait-il encore assez de philosophie pour se souvenir de l’ouvrage publié en 1983 aux Éditions de Minuit par Jean-François Lyotard et intitulé Le Différend. Lyotard s’y efforçait de caractériser à travers la notion de « différend » une figure contentieuse très particulière, différente des litiges


[1] A l’heure même où j’écrivais ces lignes, le quotidien Le Monde publiait en ligne un reportage de Luc Bronner intitulé : « “Il n’y a pas de famine à Gaza” : des influenceurs au service de la propagande israélienne », article qui vit quelques heures plus tard son titre expurgé de cette formule choquante – dans le souci, en effet louable, de ne pas accréditer ce type de négation de la réalité en la faisant figurer dans l’en-tête, même entre guillemets et au titre de citation.

Notes

[1] A l’heure même où j’écrivais ces lignes, le quotidien Le Monde publiait en ligne un reportage de Luc Bronner intitulé : « “Il n’y a pas de famine à Gaza” : des influenceurs au service de la propagande israélienne », article qui vit quelques heures plus tard son titre expurgé de cette formule choquante – dans le souci, en effet louable, de ne pas accréditer ce type de négation de la réalité en la faisant figurer dans l’en-tête, même entre guillemets et au titre de citation.