Tout contre l’IA, osons défendre la société !
« Osez l’IA ![1] » : tel est le mot d’ordre qui donne son nom au plan national lancé le 1er juillet par le gouvernement français, visant à promouvoir la diffusion de l’IA dans les entreprises; sans surprise, l’argument avancé est celui de la compétitivité.

En plus de nous promettre l’augmentation et l’immortalité, l’IA nous assure aussi des gains de productivité. Il s’agit donc de « faire de l’IA un outil accessible, concret et utile pour toutes les entreprises », à travers des opérations de sensibilisation, de formation et d’accompagnement, spécifiquement destinées à celles qui n’auraient pas encore « osé ».
Oser l’IA ou oser penser ?
Un tel slogan promotionnel ne manque pas de résonner avec une certaine devise philosophique, souvent associée à la modernité. « Sapere aude ! », « Ose savoir ! », « telle est la devise des Lumières », écrivait Emmanuel Kant en 1784, dans sa célèbre « Réponse à la question “Qu’est-ce que les Lumières ?”[2] ». Pour le philosophe allemand, « oser savoir » signifie « avoir le courage de se servir de son propre entendement », « penser par soi-même », « sans la direction d’autrui ». Kant enjoint alors les citoyens à exercer leur jugement par eux-mêmes, à ne pas se contenter des préjugés et d’un état de tutelle. Il insiste sur la nécessité de ne pas déléguer l’activité de la pensée, qui implique toujours un effort difficile et courageux : « Si j’ai un livre pour me tenir lieu d’entendement, un directeur pour ma conscience, un médecin pour mon régime… Je n’ai pas besoin de me fatiguer moi-même. Je n’ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront à ma place de ce travail fastidieux. »
Pour Kant, cette délégation de la pensée au livre, au prêtre ou au médecin enferme les individus dans un état de minorité : à l’inverse, le citoyen majeur exerce son esprit critique, il ne confie pas au support technique que constitue le livre la tâche de penser à sa place. Le passage à la majorité se caractérise justement
