Appréhender l’information comme une marchandise fictive
Nous vivons une époque formidable. Formidable au sens de paradoxale, alors que l’humanité est au bord de l’extinction écologique, elle se prépare à se faire la guerre. Alors qu’il faudrait songer à inventer des solutions durables passant par la définition de politiques et d’institutions mondiales, nous assistons à un repli nationaliste et identitaire généralisé. L’Union européenne n’échappe pas au paradoxe, loin de développer des politiques publiques écologiques massives, elle cède aux sirènes de l’industrie agroalimentaire, elle s’autorise au déficit public non pour financer l’Europe verte mais pour relancer l’industrie de l’armement. Tout cela sur un fond de crise démocratique très profonde : Brexit, montée de l’extrême droite, développement de l’abstentionnisme, etc.
Cette marche funeste vers la guerre et la montée de l’extrême droite que l’Europe a déjà connu dans les années 30 a fait l’objet d’une analyse qui nous semble toujours éclairante par Karl Polanyi, dans son œuvre majeure, La grande transformation. Cette grille de lecture polanyienne et ses concepts s’avèrent à la fois pertinente et insuffisante pour comprendre l’époque actuelle. L’avènement d’un capitalisme cognitif passe en effet par la marchandisation de l’information, et c’est notamment de ce point de vue qu’une relecture de Polanyi permet de déceler les évolutions probables (mais non souhaitables) et possibles (mais non probables) de la société européenne.

Polanyi et la Grande transformation
En 1944, Karl Polanyi écrit un ouvrage qui cherche à comprendre les raisons profondes qui ont conduit au développement du totalitarisme et à la seconde guerre mondiale. Pour lui, ces raisons sont à trouver dans l’utopie libérale du XVIIIe qui débouche au XIXe siècle sur ce qu’il appelle une « société de marché » où l’homme, la terre et la monnaie sont traitées comme des marchandises, ce qui revient à : « subordonner aux lois du marché la substance de la société elle-même[1] ». Pour l’auteur, cette no
