Sortir du culte de la haute cuisine
Mes carnets de notes sont encombrés de réactions enthousiastes à mon sujet de thèse. Celle-ci s’intéresse au quotidien de travail – et à ses contradictions – dans des restaurants étoilés revendiquant une approche durable. Ces réactions sont toujours en décalage avec son véritable objet.
« Tu as vraiment de la chance ! »
« Faudra que tu nous dises où aller bien manger alors. »

Parfois, ces réactions diffèrent. Selon les classes sociales, bien sûr. Dans le monde académique – hautement socialisé à la gastronomie et ayant les moyens d’y accéder – on ne tarde pas à m’indiquer les « belles tables » ou les « expériences inoubliables chez Troisgros ». Les ami⋅es qui habitent des fractions de classes plus populaires me coupent pour me parler de la médiatisation de la haute cuisine. Invariablement, je réponds :
« Oui, The Bear, c’est une super série. »
« Je regarde plus Top Chef, j’ai peur d’avoir à prendre des notes. »
L’alimentation nous concerne toutes et tous. Et tout le monde a un avis sur la « bouffe ». C’est une bonne chose. Les formes légitimes et sacralisées de nos pratiques culinaires – la haute cuisine, la gastronomie[1] – sont cependant exposées à plus qu’une curiosité bénigne. Ce supplément d’âme, c’est un regard particulier : celui des classes dominantes à qui s’adresse cette cuisine ; l’Histoire des Grands Hommes plutôt que celles des cuisinier⋅ères ordinaires[2]. Quand je tente – quand même – d’expliquer de quoi retourne ma thèse, je coupe court et dis que tout ceci, c’est « un peu du client gaze ». Les variations et la popularité du concept de « male gaze » jouent en ma faveur. On comprend vite cette idée compliquée, qui cache des nœuds politiques et sociaux tout aussi tordus. Mais c’est une facilité : le regard ne fait pas tout, et surtout, il n’est jamais individuel. Il se trame quelque chose de structurel ici.
Le 19 mai 2025, la veille de la parution du massif et excellent Violences en cuisine, une omerta à la française de Nora Bouazzouni, un nou
