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Pour un débat sur les effets des technologies sur les transformations du travail

Économiste

L’intelligence artificielle va-t-elle faire de nous des travailleurs sans travail ? En réalité, les technologies remplacent rarement des métiers entiers ; elles automatisent certaines tâches tout en en générant de nouvelles. On observe également que dans un contexte d’automatisation du travail, même les tâches qui ne peuvent pas être automatisées sont rendues plus standardisées : les technologies ne rendent donc pas forcément le travail moins pénible.

Les récentes avancées spectaculaires de l’intelligence artificielle dite « générative » (IAG) dans le domaine du langage ont relancé un débat économique ancien : la possibilité du remplacement du travail humain par des machines. Cette question fait l’objet d’un débat animé, où s’affrontent deux points de vue diamétralement opposés. D’un côté, on redoute une vague massive de chômage due aux progrès technologiques, ainsi que des conséquences économiques catastrophiques. De l’autre, on espère voir disparaître l’aliénation liée au travail, grâce à ces mêmes avancées.

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Ces deux visions ne sont pas nouvelles. Depuis l’industrialisation, de nombreux économistes se sont interrogés sur les effets du remplacement du travail par les machines. L’histoire économique regorge d’épisodes illustrant ce phénomène, comme les luttes des luddites face aux métiers à tisser. Les économistes et sociologues de chaque époque ont su analyser les dynamiques en cours, mais ont souvent échoué à prévoir l’évolution de la relation entre travail et technologie. Les craintes récurrentes de la « fin du travail » se sont ainsi révélées infondées, en raison notamment de la difficulté à anticiper l’avenir des technologies.

Le mécanisme de déversement : une réalité empirique qui modère le chômage technologique

Les économistes classiques – tels qu’Adam Smith ou Karl Marx – ont mis en évidence l’importance du capital et de la division du travail, des analyses restées plus pertinentes que leurs anticipations sur la productivité future. Keynes, dans les années 1930, prévoyait une réduction massive du temps de travail pour la fin du XXe siècle ; cette prédiction ne s’est réalisée qu’à la marge. Schumpeter, avec son concept de « destruction créatrice », a sans doute fourni la vision la plus féconde pour comprendre les dynamiques observées depuis la première industrialisation.

L’histoire économique empirique illustre des mécanismes de déversement entre secteurs et entre entreprises. Les gains de produc


[1] Henry Braverman, « Labor and Monopoly Capital », Monthly Review, 26(3), 1974.

[2] Richard Edwards, « Contested Terrain: The Transformation of the Workplace in the Twentieth Century », Capital & Class, 5(2), 1981, p. 151‑155

[3] Richard R. Nelson, Sydney G. Winter, An Evolutionary Theory of Economic Change, Harvard University Press, 1982.

[4] Voir Juan Sebastián Carbonell, Le Futur du travail, Éditions Amsterdam, 2022 ; Jérôme Gautié, Karen Jaehrling, Coralie Perez, « Neo-Taylorism in the Digital Age : Workplace Transformations in French and German Retail Warehouses », Relations Industrielles / Industrial Relations, 75(4), 2020, p. 774‑795 ; ou Lucas Tranchant, « L’intérim de masse comme vecteur de disqualification professionnelle », Travail et Emploi, 2018 ; p. 155‑156.

[5] Ouvrage collectif, Que sait-on du travail ? Presses de Sciences Po, 2023.

[6] Thomas Coutrot, Coralie Perez, Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire, Seuil, 2022

[7] Mariana Mazzucato, The Entrepreneurial State : Debunking Public vs. Private Sector Myths, Anthem Press, 2013.

Malo Mofakhami 

Économiste, Chercheur en sciences économiques, maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris) et affilié au Centre d’étude de l’emploi et du travail (CEET) du CNAM

Mots-clés

IA

Notes

[1] Henry Braverman, « Labor and Monopoly Capital », Monthly Review, 26(3), 1974.

[2] Richard Edwards, « Contested Terrain: The Transformation of the Workplace in the Twentieth Century », Capital & Class, 5(2), 1981, p. 151‑155

[3] Richard R. Nelson, Sydney G. Winter, An Evolutionary Theory of Economic Change, Harvard University Press, 1982.

[4] Voir Juan Sebastián Carbonell, Le Futur du travail, Éditions Amsterdam, 2022 ; Jérôme Gautié, Karen Jaehrling, Coralie Perez, « Neo-Taylorism in the Digital Age : Workplace Transformations in French and German Retail Warehouses », Relations Industrielles / Industrial Relations, 75(4), 2020, p. 774‑795 ; ou Lucas Tranchant, « L’intérim de masse comme vecteur de disqualification professionnelle », Travail et Emploi, 2018 ; p. 155‑156.

[5] Ouvrage collectif, Que sait-on du travail ? Presses de Sciences Po, 2023.

[6] Thomas Coutrot, Coralie Perez, Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire, Seuil, 2022

[7] Mariana Mazzucato, The Entrepreneurial State : Debunking Public vs. Private Sector Myths, Anthem Press, 2013.