Politique

La confiance démocratique à l’épreuve des chiffres

Analyste de données en santé publique , Politiste

Face à la propagation de « faits alternatifs » nourrissant la désinformation, les données chiffrées sont un rempart essentiel, à condition de se prémunir contre la transformation des statistiques en outil de domination technocratique. Pour que les études quantitatives soient alliées à la délibération démocratique, il semble indispensable d’amorcer un dialogue interdisciplinaire, de même qu’une révision de leur diffusion médiatique.

À l’ère du numérique, la donnée s’impose comme un levier incontournable des politiques publiques. Entre l’infobésité et la tentation d’une technocratie de la quantification, l’usage des statistiques se trouve à la fois être un outil d’éclaircissement des réalités complexes et une source de dérives potentiellement dangereuses pour la légitimité démocratique.

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Nous proposons ici une lecture critique originale de la place qu’occupent les données et les chiffres dans la gouvernance[1], tout en appelant fortement à une réflexion éthique et philosophique sur le lien que la démocratie doit entretenir avec les données. La démocratie suppose la possibilité de contester, de débattre, de proposer. Si la rationalité chiffrée devient incontestable, elle n’est quant à elle plus démocratique.

Saturation informationnelle

La surabondance informationnelle constitue une réalité bien documentée. Dans nos sociétés contemporaines, la collecte massive de données s’inscrit à la fois dans la sphère personnelle et professionnelle. Les administrations publiques et les entreprises se dotent d’équipes d’experts en science des données pour traiter ce flux incessant d’informations. Pourtant, cette course effrénée à l’accumulation et à la quantification pose des questions de fond quant à l’utilisation des données, leur traitement, leur potentielle manipulation et l’enjeu en démocratie de conserver un débat public de qualité. L’IA, le big data et l’open data[2] rendent également et possiblement les données accessibles aux experts comme aux non-experts. Un tel contexte n’est pas sans soulever de nouvelles problématiques, en particulier quant à l’exercice du recul critique et aux approches méthodologiques adoptées. Le monde numérique change l’accès, le regard et la diffusion des données et des informations construites sur ces données.

L’objectivation du monde par les statistiques participe à une dynamique de légitimation des politiques publiques. À l’instar de la « science de l’État » évoqué


[1] Nous nous situons à un niveau plutôt généraliste concernant notre propos en ne le précisant pas encore aux différentes échelles locale, nationale ou internationale.

[2] L’open data est néanmoins une réelle avancée démocratique en cela qu’elle renforce la transparence, le contrôle citoyen et la participation à la vie publique en rendant les informations publiques librement accessibles à tous. L’enjeu résidera davantage dans l’utilisation et l’analyse faites sur la base des données récoltées.

[3] Selon Desrosières, « l’image d’un outil mathématique hautement formalisé et donc supposé inaccessible aux chercheurs non formés pour cela, ont de fait contrarié, sinon interdit, l’interpénétration fine entre ces deux approches ».

[4] L’Union européenne et la Grande Bretagne tendent néanmoins à assouplir les règles et obligations pour rester compétitifs (face aux usines chinoises ou aux startups américaines) et simplifier la vie des entreprises.

[5] Le biais de confirmation est une tendance cognitive qui pousse un individu à favoriser les informations qui confirment ses croyances préexistantes, tout en ignorant ou dévalorisant celles qui les contredisent. En résumé, nous préférons les informations qui confirment nos propres croyances. Voir Gilles Bellevaut et Pascal Wagner-Egger, Méfiez-vous de votre cerveau, EPFL Press, 2022.

[6] Le biais de publication désigne le fait que les études aux résultats « intéressants » (souvent statistiquement significatifs) sont plus susceptibles d’être publiées, ce qui peut créer une vision biaisée d’un domaine de recherche. Quant à la chasse à la p-valeur, une fixation sur des seuils arbitraires pousse certains chercheurs à manipuler leurs analyses pour atteindre des résultats significatifs. Si les données collectées ne sont pas représentatives de la population étudiée, les conclusions peuvent être erronées. Il s’agit d’un biais d’échantillonnage.

[7] Un débat intéressant sur la significativité des résultats est important pour la société et

Eva-Francesca Jourdan

Analyste de données en santé publique , Statisticienne aux Hôpitaux Universitaires de Genève et enseignante à la Haute école de gestion de Genève

Guillaume Mathelier

Politiste, Docteur en sciences politiques

Notes

[1] Nous nous situons à un niveau plutôt généraliste concernant notre propos en ne le précisant pas encore aux différentes échelles locale, nationale ou internationale.

[2] L’open data est néanmoins une réelle avancée démocratique en cela qu’elle renforce la transparence, le contrôle citoyen et la participation à la vie publique en rendant les informations publiques librement accessibles à tous. L’enjeu résidera davantage dans l’utilisation et l’analyse faites sur la base des données récoltées.

[3] Selon Desrosières, « l’image d’un outil mathématique hautement formalisé et donc supposé inaccessible aux chercheurs non formés pour cela, ont de fait contrarié, sinon interdit, l’interpénétration fine entre ces deux approches ».

[4] L’Union européenne et la Grande Bretagne tendent néanmoins à assouplir les règles et obligations pour rester compétitifs (face aux usines chinoises ou aux startups américaines) et simplifier la vie des entreprises.

[5] Le biais de confirmation est une tendance cognitive qui pousse un individu à favoriser les informations qui confirment ses croyances préexistantes, tout en ignorant ou dévalorisant celles qui les contredisent. En résumé, nous préférons les informations qui confirment nos propres croyances. Voir Gilles Bellevaut et Pascal Wagner-Egger, Méfiez-vous de votre cerveau, EPFL Press, 2022.

[6] Le biais de publication désigne le fait que les études aux résultats « intéressants » (souvent statistiquement significatifs) sont plus susceptibles d’être publiées, ce qui peut créer une vision biaisée d’un domaine de recherche. Quant à la chasse à la p-valeur, une fixation sur des seuils arbitraires pousse certains chercheurs à manipuler leurs analyses pour atteindre des résultats significatifs. Si les données collectées ne sont pas représentatives de la population étudiée, les conclusions peuvent être erronées. Il s’agit d’un biais d’échantillonnage.

[7] Un débat intéressant sur la significativité des résultats est important pour la société et