Dreyfus à la Santé – à propos du Journal d’un prisonnier de Nicolas Sarkozy
La communication de Nicolas Sarkozy autour des vingt-et-un jours qu’il a passés à la prison de la Santé était si écœurante que je m’étais promis de ne pas regarder le livre qu’il a publié chez Fayard un mois après sa sortie. Je me suis étonné que mes quotidiens – Le Monde et Libération – relayent la campagne du Journal du dimanche et du Figaro en diffusant ses bonnes pages avec des commentaires plus ou moins neutres. Et puis un détail a attiré mon attention d’historien des sciences sociales.

Dans son Journal d’un prisonnier, Nicolas Sarkozy écrit : « Dreyfus fut emprisonné à la Santé. Un endroit que je connais bien désormais. Certes je n’ai pas été relégué à l’île du Diable dans la lointaine Guyane. Sur ce point, j’ai eu bien davantage de chance que lui. » En lisant ce passage, je me suis demandé comment Fayard – autrefois un des meilleurs éditeurs en sciences humaines – n’a pas corrigé cette grossière erreur historique. Dreyfus a été emprisonné en décembre 1894 rue du Cherche-Midi, et cette prison a été détruite en 1966. C’est ce que rappelle une exposition permanente à l’École des hautes études en sciences sociales, boulevard Raspail, non loin de là. Un endroit que Nicolas Sarkozy connaît peu, apparemment.
Qu’y a-t-il d’indécent dans l’identification de Sarkozy à Dreyfus ? De quoi Dreyfus est-il le nom, pour reprendre une question posée par Alain Badiou lorsque Sarkozy fut élu président de la République[1] ? Dreyfus n’est pas seulement un nom de plus dans la liste des figures de la gauche que Sarkozy a cherché à récupérer : Jean Jaurès, Guy Môquet… En disant qu’il se sent comme Dreyfus mais un peu plus chanceux – il a réussi sa vie à cinquante ans, lui… – Sarkozy vide un peu plus la répétition de l’affaire Dreyfus comme une matrice mythologique de toutes les affaires judiciaires en France.
Luc Boltanski et Elisabeth Claverie ont bien analysé cette structure mythologique qui s’est reproduite en France à travers la multiplication des « affaires ». « D’une
