Société

Pseudo-archéologie et complotisme

Historien

II y a 12 800 ans, un cataclysme mondial mettait fin à une grande civilisation, unique, dont la présence nous est confirmée par divers sites archéologiques, pyramides en tête, de l’Indonésie à l’Amérique du Sud. C’est, en substance, le récit délivré par À L’aube de notre histoire, nouvelle série Netflix dont le succès n’a d’égal que l’absurdité scientifique de ses hypothèses. Un succès qui interroge : pourquoi la firme américaine investit-elle tant d’argent dans une série à l’évidente fibre complotiste ?

Sortie le 11 novembre 2022, la nouvelle série Netflix À l’aube de notre histoire (Ancient Apocalypse en anglais) cartonne et se situe parmi les dix meilleures audiences de cette entreprise de production et de distribution – donc pas très loin de l’incontournable The Crown. De quoi s’agit-il ? Un auteur à sensation, le Britannique Graham Hancock explique, dans ce phénomène de société en huit épisodes, que la Terre a connu jadis une grande civilisation unique, à laquelle on doit de grands monuments un peu partout dans le monde, pyramides notamment, mais qui fut irrémédiablement détruite par un cataclysme il y a exactement 12 800 ans.

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Avec un montage et une musique efficaces, des reconstitutions 3D de qualité et de belles prises de vue aériennes, la série est sur le plan technique très réussie. Quant aux « preuves », elles vont de l’Indonésie (le site mégalithique de Gunung Padang à Java) au Mexique (la grande pyramide de Cholula), des temples néolithiques de Malte à la « chaussée » sous-marine de Bimini au large des Bahamas, des constructions néolithiques de Göbekli Tepe en Turquie au site amérindien de Poverty Point en Louisiane, et de la cité souterraine de Derinkuyu, en Turquie également, aux spectaculaires formations géologiques, sculptées par l’érosion, des Channeled Scablands dans l’État de Washington aux États-Unis, preuve du cataclysme ultime et soudain.

Qu’est-ce qui relie tous ces sites ? À chaque fois, des archéologues (voire des géologues) aussi institutionnels qu’incompétents leur attribuent une date récente, la plupart du temps dans les premiers siècles de notre ère. Ce sont les « archéologues mainstream » (Mainstream Archaeologists) accrochés à leurs certitudes, incapables de se remettre en cause et prêts à faire taire l’héroïque Graham Hancock.

Pour ces esprits chagrins, Gunung Padang est une colline naturelle, où se trouve par ailleurs un site mégalithique récent, comme il en existe d’autres en Asie du Sud-Est ; les états les plus anciens de


Jean-Paul Demoule

Historien, professeur émérite à l'Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne