Médias

Complots, sondages et okapis

Philosophe

Selon un récent sondage, 80 % « des français » croient désormais aux « théories du complot ». Et s’il s’agissait d’une « fake news » ? Les réseaux sociaux rendent peut-être con, il n’est pas dit qu’ils rendent complotiste.

« Huit français sur dix sont complotistes ! » C’est avec des titres de cet acabit que la majeure partie des média a spectaculairement rendu compte d’un sondage commandé par la Fondation Jean Jaurès à propos des « théories du complot » et récemment rendu public. Les résultats de cette enquête – des réponses à de nombreux questionnaires minutieusement analysés par des méthodes statistiques qui croisent des descripteurs sociaux ou subjectifs (niveau d’étude, âge, opinions politiques, sentiment de reconnaissance ou de légitimité) avec des opinions concernant un petit ensemble de « théories du complot » – occupent une centaine de pages, présentées avec les précautions d’usage quant à la méthodologie (intervalles de confiance, etc.). Mais, comme d‘habitude, ces précautions n’ont pas empêché la couverture médiatique de se limiter aux chiffres bruts les plus spectaculaires à propos « des français » : pour les plus tatillons des journalistes ce ne sont pas, à la louche, 8 sur 10 mais très exactement 79% « des français » qui croient à des théories du complot, etc.

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A l’heure où le gouvernement envisage de légiférer sur les « fake news », et où le si réjouissant président américain tweete sur son statut de nobélisable, on comprend qu’une telle enquête consacrée à des croyances farfelues interpelle. Néanmoins, sa diffusion, et, au-delà sa conception même, prêtent à des critiques qu’il nous semble important de formuler publiquement. La déformation d’un gros document empli de tableaux subtils en unes de journaux racoleuses n’a certes rien de nouveau : au confluent de l’ignorance d’à peu près tout le monde en maniement de données statistiques, et de l’actuelle concurrence médiatique pour attirer le lecteur ou le cliqueur, les titres sensationnalistes sur le complotisme français étaient prévisibles. La méthodologie elle-même appelle toutefois certaines critiques. On a relevé que les questions mélangeaient des choses difficilement identifiables, comme théorie de la « terre


Philippe Huneman

Philosophe, Directeur de recherche à l’IHPST (CNRS/Paris-I)