Enseignement supérieur

De l’absence de pluralisme dans les licences d’économie-gestion

Économiste, Économiste, Économiste

Des critiques de longue date pointent une certaine perte de contact de la discipline économique et de ses formations avec la réalité : des thématiques telles que la transition écologique, la santé, la protection sociale ou les inégalités sont relativement absentes de la plupart des enseignements. Un examen exhaustif des formations souligne la faiblesse de l’ouverture disciplinaire et la prise de contrôle par les économistes néoclassiques des instances de régulation de la discipline.

L’enseignement de l’économie à l’université est l’objet de nombreuses inquiétudes et critiques dans le monde entier depuis de nombreuses années. Robert Kuttner écrit déjà en 1985, par exemple, qu’aux États-Unis, « les départements d’économie forment une génération d’idiots savants[1] brillants en mathématiques ésotériques, mais ignorants en matière de réalité économique. » (Kuttner, 1985, 77[2]).

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Deux années plus tard, une enquête est réalisée par David Colander et Arjo Klamer auprès des étudiant·e·s de master et de doctorat des six programmes les mieux classés aux États-Unis – Chicago, Columbia, Harvard, MIT, Stanford, Yale. Elle suggère que, pour la majorité des répondant·e·s de ces universités prestigieuses, pour réussir comme économiste, il est alors décisif d’exceller en mathématiques et pour la résolution de problèmes, mais pas du tout d’avoir une connaissance approfondie de l’économie[3] (Colander et Klamer, 1987, 100[4]). Cette perte de contact de la discipline et de ses formations avec la réalité est le fruit de l’évolution du champ disciplinaire, puisque, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les économistes néoclassiques[5] ont progressivement pris le contrôle des instances de régulation de la discipline aux États-Unis, en particulier des revues académiques, et, partant, des standards de recrutement et du contenu des formations universitaires.

À partir du début des années 1990, alors que l’hégémonie du courant néoclassique est en passe d’homogénéiser le champ disciplinaire dans le monde entier, en particulier en Europe et au Japon, la critique se métamorphose en revendication en faveur du pluralisme[6]. Ainsi, est publié en 1992 dans l’American Economic Review, un encart publicitaire en fin de numéro intitulé « Appel pour une science économique pluraliste et rigoureuse », rédigé par Geoffrey Hodgson (Royaume-Uni), Uskali Mäki (Finlande) et Donald McCloskey (États-Unis) et signé par quarante-quatre autres économistes réputés, y compris ort


[1] Le propos est semble-t-il emprunté à John Kenneth Galbraith.

[2] Robert Kuttner, « The Poverty of Economics », The Atlantic Monthly, Février 1985, p. 74–84.

[3] L’échantillon contient 212 réponses (sur une population estimée à 600-800 étudiant·e·s) bien réparties sur les années : 24,5 % en 1re année, 20,8 % en 2e, 21,7 % en 3e, 14,2 % en 4e et 18,9 % en 5e ou plus.

[4] David Colander, Arjo Klamer, « The making of an economist », Journal of Economic Perspectives, 1(2), 1987, p. 95-111. [6 top-ranking graduate economics pgms]

[5] La théorie néoclassique est fondamentalement abstraite, mathématisée et hypothético-déductive.

[6] Robert Garnett (2005, 8) parle de « tournant pluralisme ». Voir : Robert F. Garnet, « Whither Heterodoxy? », Post-autistic economics review, 34, 2005, p. 2-21.

[7] Parmi lesquels Franco Modigliani, Paul Samuelson, Herbert Simon, Jan Tinbergen (tous les quatre, lauréats du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel), mais aussi John Kenneth Galbraith, Nicholas Georgescu-Roegen, Albert Hirschman, Janos Kornai, Luigi Pasinetti ou encore Roy Weintraub.

[8] Geoffrey Hodgson Geoffrey, Donald Mäki Uskali McCloskey et alii, « A plea for a pluralistic and rigorous economics », American Economic Review, 82 (2), mai 1992, p. 25.

[9] Cette lettre fut signée « par près d’un millier d’étudiants et plusieurs dizaines d’enseignants en seulement un mois » précise le site d’autisme-économie.

[10] Gilles Raveaud, « Le mouvement “Autisme-économie” (2000-2001) : victoire intellectuelle, défaite politique », Éducation et sociétés, 35, 2015, p. 103-118.

[11] Edward Fullbrook (ed.), The Crisis in Economics. The post-autistic economics movement: the first 600 days, Routledge, 2003.

[12] Les premiers numéros de la Post-Autistic Economics Review (devenue Real World Economics Review) sont des newsletters très instructives sur le début de ce mouvement.

[13] Michael C. Jensen, « Some anomalous evidence regarding market efficiency », Jour

Sophie Jallais

Économiste, Maîtresse de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Florence Jany-Catrice

Économiste, professeure d’économie à l’université de Lille et chercheuse au CLERSE

Arthur Jatteau

Économiste, Maître de conférences en économie et en sociologie à l'Université de Lille

Notes

[1] Le propos est semble-t-il emprunté à John Kenneth Galbraith.

[2] Robert Kuttner, « The Poverty of Economics », The Atlantic Monthly, Février 1985, p. 74–84.

[3] L’échantillon contient 212 réponses (sur une population estimée à 600-800 étudiant·e·s) bien réparties sur les années : 24,5 % en 1re année, 20,8 % en 2e, 21,7 % en 3e, 14,2 % en 4e et 18,9 % en 5e ou plus.

[4] David Colander, Arjo Klamer, « The making of an economist », Journal of Economic Perspectives, 1(2), 1987, p. 95-111. [6 top-ranking graduate economics pgms]

[5] La théorie néoclassique est fondamentalement abstraite, mathématisée et hypothético-déductive.

[6] Robert Garnett (2005, 8) parle de « tournant pluralisme ». Voir : Robert F. Garnet, « Whither Heterodoxy? », Post-autistic economics review, 34, 2005, p. 2-21.

[7] Parmi lesquels Franco Modigliani, Paul Samuelson, Herbert Simon, Jan Tinbergen (tous les quatre, lauréats du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel), mais aussi John Kenneth Galbraith, Nicholas Georgescu-Roegen, Albert Hirschman, Janos Kornai, Luigi Pasinetti ou encore Roy Weintraub.

[8] Geoffrey Hodgson Geoffrey, Donald Mäki Uskali McCloskey et alii, « A plea for a pluralistic and rigorous economics », American Economic Review, 82 (2), mai 1992, p. 25.

[9] Cette lettre fut signée « par près d’un millier d’étudiants et plusieurs dizaines d’enseignants en seulement un mois » précise le site d’autisme-économie.

[10] Gilles Raveaud, « Le mouvement “Autisme-économie” (2000-2001) : victoire intellectuelle, défaite politique », Éducation et sociétés, 35, 2015, p. 103-118.

[11] Edward Fullbrook (ed.), The Crisis in Economics. The post-autistic economics movement: the first 600 days, Routledge, 2003.

[12] Les premiers numéros de la Post-Autistic Economics Review (devenue Real World Economics Review) sont des newsletters très instructives sur le début de ce mouvement.

[13] Michael C. Jensen, « Some anomalous evidence regarding market efficiency », Jour