Hommage

Transmission et deuil de l’analyste : anti-nécrologie de Gérard Pommier (1941-2023)

Psychanalyste

Quel régime particulier du deuil rencontrent les psychanalystes lorsque leur analyste meurt ? En rendant hommage à Gérard Pommier, mort en août et dont elle fut l’analysante, Silvia Lippi interroge le deuil qu’on fait de son analyste qui est mort, et le deuil qu’on fait en tant qu’analyste. Deuil particulier quand c’est celui d’un analyste avec qui on a fini son analyse, car c’est en somme un second deuil, un deuil ultime.

Simone de Beauvoir disait qu’elle avait eu une belle vie car elle avait réalisé presque tous ses désirs d’enfant. Pour ce qui me concerne, je n’ai accompli aucun de mes désirs d’enfant. Ai-je à mes propres yeux une vie laide ? Non.

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Si je n’ai pas l’impression d’avoir raté ma vie, je le dois, il me semble, à ma rencontre avec Gérard Pommier, qui a été mon analyste pendant de longues années. Au cours de cette analyse, j’ai découvert que ces désirs étaient inconsciemment construits pour rester insatisfaits – et j’ai appris à en inventer d’autres, dont celui de devenir moi-même analyste. Une vie psychanalytique est peut-être une vie dont la beauté se confond avec le deuil de ses désirs d’enfants : Gérard Pommier m’a rendue à la beauté de ma vie.

Gérard Pommier est mort le 1er août 2023. Pour moi, comme pour beaucoup d’autres personnes du monde psychanalytique, c’est une perte inestimable. Ses écrits et ses enseignements ont été très influents dans notre milieu. Il fut sans doute un des psychanalystes les plus lus de sa génération, peut-être le plus traduit. Il est l’un des premiers à avoir rompu avec le langage mimétique du milieu lacanien, pour renouer avec une langue certes pleine de mystères, mais de mystères qui ne sont pas différents de ceux des contes, des légendes, des mythes et des terreurs d’enfance – une langue qui n’avait pas peur de la poésie – une langue qui n’a pas besoin du non-sens pour faire mystère, mais qui est mystérieuse par son sens même. Il a contribué à faire naître des nombreux espaces institutionnels, au sein desquels beaucoup d’entre nous ont acquis la culture théorique dont on a besoin pour être analyste, créer ces liens de travail et d’amitié qui font une communauté, et appris en somme ce qu’on pouvait de ce métier.

Mais un ou une psychanalyste n’est pas seulement un.e écrivain.e, un chercheur ou une enseignante dont l’apport et la valeur de transmission pourraient être saisies par les livres qui restent ou les propos qu’on conserv


[1] J. Lacan, Le séminaire, Livre VIII, Le transfert, Paris, Seuil, 1991, pp. 462-463.

[2] S.Freud, « Constructions dans l’analyse », in Résultats, idées, problèmes, tome II, 1921-1938, Paris, PUF, 1985.

[3] Dans la psychanalyse lacanienne, le phallus est le signifiant de l’insignifiabilité du désir : personne ne l’a et personne n’en connait le sens. Dans sa connotation imaginaire, il symbolise l’instance du pouvoir qui dans le monde hétéropatriarcal est rigoureusement masculin, comme le montre sa référence au membre en érection. Jacques Lacan, « La signification du Phallus », in Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 685-695. Le phallus dans son sens freudien est d’abord l’objet du désir de la mère et l’objet que l’enfant craint de ne pas avoir ou de perdre, c’est-à-dire encore l’objet de la castration.

[4] S. Freud, « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort », in Essais de psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1981, p. 33.

[5] S. Freud, « Deuil et mélancolie », in Métapsychologie, Paris, Folio, 1968, p. 147.

[6] J. Lacan, Le séminaire, Livre VIII, Le transfert, op. cit., p. 463.

[7] S. Freud, Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1999, p. 76.

[8] Je reprends ici à ma manière le petit dialogue comique que Patrice Maniglier avait produit pour évoquer la mort de Claude Lanzmann dans son texte : « Lanzmann, Claude », in AOC (Analyse Opinion Critique), 27 décembre 2018.

[9] J. Lacan, « Radiophonie », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 447. Les autres discours sont, le discours de l’université, le discours de l’hystérique et le discours de l’analyste, auxquels il en ajoutera un cinquième, le discours capitaliste.

[10] Gérard Pommier se battait aussi, depuis sa participation à l’UNEF (il terminait à l’époque ses études en médecine), contre ce que Lacan appelait le « discours capitaliste » : récemment, il avait rejoint les groupes révolutionnaires des gilets jaunes, expérience décrite dans l’un de ses ouvrages les plus originaux. G. Pommier,

Silvia Lippi

Psychanalyste

Notes

[1] J. Lacan, Le séminaire, Livre VIII, Le transfert, Paris, Seuil, 1991, pp. 462-463.

[2] S.Freud, « Constructions dans l’analyse », in Résultats, idées, problèmes, tome II, 1921-1938, Paris, PUF, 1985.

[3] Dans la psychanalyse lacanienne, le phallus est le signifiant de l’insignifiabilité du désir : personne ne l’a et personne n’en connait le sens. Dans sa connotation imaginaire, il symbolise l’instance du pouvoir qui dans le monde hétéropatriarcal est rigoureusement masculin, comme le montre sa référence au membre en érection. Jacques Lacan, « La signification du Phallus », in Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 685-695. Le phallus dans son sens freudien est d’abord l’objet du désir de la mère et l’objet que l’enfant craint de ne pas avoir ou de perdre, c’est-à-dire encore l’objet de la castration.

[4] S. Freud, « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort », in Essais de psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1981, p. 33.

[5] S. Freud, « Deuil et mélancolie », in Métapsychologie, Paris, Folio, 1968, p. 147.

[6] J. Lacan, Le séminaire, Livre VIII, Le transfert, op. cit., p. 463.

[7] S. Freud, Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1999, p. 76.

[8] Je reprends ici à ma manière le petit dialogue comique que Patrice Maniglier avait produit pour évoquer la mort de Claude Lanzmann dans son texte : « Lanzmann, Claude », in AOC (Analyse Opinion Critique), 27 décembre 2018.

[9] J. Lacan, « Radiophonie », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 447. Les autres discours sont, le discours de l’université, le discours de l’hystérique et le discours de l’analyste, auxquels il en ajoutera un cinquième, le discours capitaliste.

[10] Gérard Pommier se battait aussi, depuis sa participation à l’UNEF (il terminait à l’époque ses études en médecine), contre ce que Lacan appelait le « discours capitaliste » : récemment, il avait rejoint les groupes révolutionnaires des gilets jaunes, expérience décrite dans l’un de ses ouvrages les plus originaux. G. Pommier,