Le spectre de la guerre civile
« Le verbe est maintenant un virus. (…) L’homme moderne a perdu l’option du silence. Essayez de stopper votre parole sous-vocale. Essayez d’obtenir ne serait-ce que dix secondes de silence intérieur. Vous rencontrerez un organisme résistant qui vous force à parler. Cet organisme, c’est le verbe. »
William S. Burroughs, Le Ticket qui explosa
A-t-on bien entendu ? On aimerait parfois pouvoir se frotter les oreilles comme on se frotte les yeux, pour vérifier qu’on ne rêve pas. « La réponse de l’extrême droite en matière d’insécurité, parce qu’elle renvoie les gens ou à une religion ou à une origine, divise et pousse à la guerre civile. » Ces mots ont été prononcés par Emmanuel Macron dans le podcast « Génération Do It Yourself » diffusé le 24 juin 2024, à six jours du premier tour de l’élection législative qu’il a provoquée.

Ils ont aussitôt suscité de vives réactions, chaque opposition accusant le chef de l’État d’être lui-même responsable de la situation d’antagonisme bipolaire qu’il dénonce, de jeter de l’huile sur le feu qu’il a lui-même allumé. Même dans son propre camp, personne n’a repris les mots de « guerre civile » pendant la campagne électorale.
Les mots, en général, ne sont pas que des étiquettes qui désignent des choses extérieures à eux, ce sont par eux-mêmes des choses, qui ont un poids et agissent sur nos consciences. Ils ne font pas que dénoter, ils signifient. Comme l’a souligné Burroughs, les mots sont des virus ; ils ne sont pas sous notre contrôle, ils nous échappent, se diffusent, contaminent. Ils sont parfois toxiques, nous possèdent, nous empoisonnent. Dans cette période d’incertitude politique, nous avons eu un autre exemple frappant du pouvoir inconscient des mots : suite aux déclarations télévisées décomplexées du député RN Roger Chudeau sur les citoyens binationaux[1], le 27 juin, le président Macron a répliqué en disant qu’on ne pouvait en arriver à pouvoir dire cela qu’en raison d’une « dissolution des esprits et des consciences