L’inquisition préfectorale – l’affaire du lycée musulman Averroès (3/5)
Que dit donc le rapport de l’inspection générale, dont je rappelle qu’il n’a été accessible pour l’association que cinq jours seulement avant la réunion de la commission ? Il indique d’abord explicitement que le non-versement par la Région du forfait d’externat dû au lycée est illégal et qu’il est de la responsabilité du préfet de le relever et de le sanctionner au principe que cette décision « met ainsi illégalement en danger le bon fonctionnement de l’établissement et engage sa responsabilité ».
L’association Averroès agira par cinq fois devant le tribunal administratif de Lille entre 2021 et 2022 et obtiendra deux jugements de fond en sa faveur en 2022 et 2023 ainsi qu’un arrêt du Conseil d’État. La préfecture, de son côté, n’agira jamais ni directement contre le Conseil régional, ni devant le tribunal administratif, alors qu’il est notoire que la Région ne respecte pas la loi.
Les inspecteurs généraux reviennent également dans leur texte sur le dossier du financement qatari, financement dont on se souvient qu’il constitue en réalité le motif principal de l’évolution de l’attitude des pouvoirs publics à l’endroit d’Averroès.
Nous les citons assez longuement car l’analyse complète qu’ils proposent n’a jamais été mise en avant par les représentants de l’État ou de la Région, ce jusqu’au moment où j’écris ce texte : « Un chapitre de [l’ouvrage de Messieurs Chesnot et Malbrunot] traite du lycée Averroès dont il soutient qu’il aurait reçu en 2014 une somme de 4 M€ et évoque une tentative avortée de rachat en 2016.
« Les besoins financiers évoqués par l’ouvrage précité répondent à la volonté des responsables de l’établissement de quitter l’édifice religieux dans lequel ils étaient accueillis. Dès l’origine, les responsables du lycée et les dirigeants de l’association gestionnaire ont pensé que le lycée ne pouvait demeurer dans les locaux de la mosquée Al‐Imane qui les avaient accueillis à la création de l’établissement, d’abord par manque de place, car ils ne pouvaient recevoir plus d’une centaine d’élèves dans les locaux qui leur étaient attribués alors que les demandes étaient bien supérieures, et ensuite par souci de bien marquer la différence entre un établissement d’enseignement et un édifice dédié à la pratique religieuse.
« Après des recherches infructueuses, l’association Averroès réussit, grâce à l’aide d’un des adjoints de la maire de Lille, M. Pierre de Saintignon, à acheter le 22 décembre 2011 l’ancien centre de formation et d’apprentissage de la Chambre des métiers de Lille‐sud, à 500 mètres de son ancien emplacement où il emménagera à la rentrée 2012. Cet achat représente une somme de 1,2 M€ en comptant les travaux d’aménagement nécessaires. Pour financer cet achat, l’association gestionnaire, qui n’a pu obtenir de prêt bancaire en raison du refus des banques contactées, fait appel à la générosité des fidèles et de la communauté musulmane de France. Elle va obtenir dans ce cadre un prêt de 800 000 € de la mosquée de Mulhouse.
« Les dirigeants vont alors entamer des démarches en tous sens pour obtenir les moyens de rembourser les prêts consentis. C’est dans ce cadre qu’intervient l’organisation non gouvernementale (ONG) Qatar Charity ; cette ONG qui travaille dans le monde entier, souvent en partenariat avec des agences de l’Organisation des Nations Unies (ONU) est l’une des principales qui assure l’aide au développement et l’aide humanitaire au Moyen‐Orient. Elle se donne pour but de venir en aide aux musulmans dans le monde entier, en particulier au niveau alimentaire, mais aussi sur les plans économiques, sociaux et culturels ; elle est évidemment très liée au gouvernement qatari puisque son président est l’émir du Qatar. Cette ONG va donner, en 2014, la somme de 850 000 € qui va permettre de rembourser le prêt de la mosquée de Mulhouse. L’association reçoit également une “bourse” de la banque de développement de la Ligue arabe pour une somme de 300 000 $ qui permet de solder l’achat et l’aménagement de l’établissement.
« Les faits révèlent donc une double inexactitude dans les affirmations de l’ouvrage Quatar Papers. D’une part, la somme de 4 M€ mentionnée n’a jamais été versée à l’établissement. D’autre part, l’aide reçue de 1 150 000 € provient bien pour 850 000 € de l’ONG Qatar Charity, les 300 000 € restants ayant été apportés par une bourse de la Ligue arabe. L’omission de ce dernier point laisse entendre que le lycée ne reçoit de l’aide que du Qatar, responsable selon les auteurs de la diffusion de l’idéologie salafiste. Outre le versement de la bourse, la situation se résume donc en un don fait par une ONG, internationalement reconnue, à un établissement d’enseignement.
« Cette pratique est légale à condition qu’elle ne soit pas subordonnée à la mise en œuvre de conditions qui seraient contraires aux valeurs de la République, ainsi qu’aux règles édictées par le contrat d’association ; ce don n’a été assorti d’aucune condition. La région des Hauts‐de‐France en est par principe informée. L’un de ses vice‐présidents, M. Lebas, siégeant régulièrement au conseil d’administration de l’établissement, a en effet la possibilité de demander tous les documents et éclaircissements nécessaires à l’accomplissement de son mandat, notamment les comptes qui sont systématiquement transmis aux administrateurs. »
Nous devons préciser que les éléments avancés par les inspecteurs n’ont été contestés par personne.
Ces extraits permettent de comprendre pourquoi le rapport n’a jamais été ni cité ni utilisé et que très tardivement rendu accessible : il invalide totalement l’essentiel des critiques faites à Averroès.
Par ailleurs, le rapport s’intéresse logiquement aux aspects éducatifs du dossier. Les inspecteurs y écrivent notamment que « le projet éducatif du lycée Averroès est le seul dans le paysage éducatif français, à allier une conception musulmane de l’éducation à l’enseignement des valeurs républicaines. Le texte du projet éducatif, rédigé après les évènements de 2015, indique : “l’établissement est ouvert à tous sans aucune discrimination. Aucun élève ne pourra se voir fermer les portes à cause de son sexe, de son ethnie, de son appartenance confessionnelle ou de tout autre motif fondé sur des considérations d’ordre idéologique, philosophique, politique ou religieuse” ».
Ils précisent un peu plus que loin que « tous ces textes sont cohérents avec les principes qui régissent les établissements d’enseignement privés sous contrat d’association, y compris le cours d’éthique d’une durée d’une heure et trente minutes par semaine, lié au caractère propre de l’établissement, qui n’est pas un cours obligatoire et ne fait pas l’objet de notation. Son animateur, Monsieur Meziani, le décrit comme un espace d’échange et de spiritualité. Rien dans les constats faits par la mission, en particulier autour des documents de préparation des cours remis par les enseignants, ne permet de penser que les pratiques enseignantes divergent des objectifs et principes fixés et ne respectent pas les valeurs de la République. Elle en veut pour preuve les treize inspections d’enseignants qui ont été menées dans l’établissement depuis 2015, ce qui doit en faire l’établissement le plus contrôlé de l’académie, sans que jamais aucune remarque défavorable n’ait été formulée à l’encontre des pratiques enseignantes observées ».
Le rapport ajoute enfin que « pour ce qui concerne les enseignants, si la majorité d’entre eux appartient à la communauté musulmane, d’autres n’en sont pas membres et quelques‐uns se sont revendiqués athées devant la mission à l’occasion des entretiens menés. Conformément à la loi, l’appartenance à une communauté religieuse n’est donc pas un critère pris en compte lors du recrutement des enseignants ».
Ces longs extraits permettent de comprendre pourquoi le rapport n’a jamais été ni cité ni utilisé et que très tardivement rendu accessible : il invalide totalement l’essentiel des critiques faites à Averroès et qui vont justifier la résiliation du contrat.
La commission de concertation de l’enseignement privé se réunit le lundi 27 novembre 2023 sous la présidence du préfet. Le rapport de saisine de douze pages est daté du 27 octobre ; il sera suivi d’un courrier de notification de la décision de résiliation de six pages daté du 7 décembre. L’association Averroès n’aura pas accès à toutes les pièces citées par le préfet, certaines ne seront adressées que le week-end précédent aux membres de la commission, laissant à supposer que la plupart d’entre eux n’en prendra en fait pas connaissance. C’est notamment le cas du rapport de l’inspection générale que nous venons de mentionner.
Le texte de la saisine est rédigé de façon explicite : l’intention du préfet est de résilier le contrat. Aucune place n’est faite à une solution alternative – par exemple une instance de suivi comme celle dont nous proposions l’installation lors de notre point presse avec Jean-René Lecerf et Roger Vicot ; aucun doute n’est laissé au lecteur sur le caractère entièrement accusatoire du document ; aucune « ambassade » d’aucune sorte n’a lieu : les protagonistes ne se parlent pas, ni la préfecture ni le rectorat n’ayant donné suite, dans les mois précédents, aux demandes en ce sens de l’association.
À la suite d’échanges longs et houleux dont le journal Mediacités, qui a eu accès à un enregistrement, se fera l’écho, la commission, dont on rappelle que l’avis était consultatif, vote à la majorité absolue, et sans vote contre, la résiliation, qui sera effective à l’issue de l’année scolaire 2023-2024.
On a évoqué la présence surprise du président de région. On ajoutera que le vote se fait à main levée et qu’à la demande d’une participante d’organiser un vote à bulletin secret, le préfet répond en faisant voter à main levée pour ou contre cette proposition… demande qui est rejetée. La commission était composée de représentants de l’État – des ministères de l’Intérieur et de l’Éducation nationale –, d’élus départementaux et régionaux et de représentants syndicaux de l’enseignement privé. Il semble que les abstentions soient venues principalement des rangs des syndicalistes et de quelques élus de gauche.
Au sortir de la procédure, c’est dans le courrier de notification de la décision de résiliation que la préfecture indique les motifs qu’elle a finalement retenus pour justifier sa décision. Ceux-ci renvoient à trois principales catégories de problèmes : « les contenus et des ressources d’enseignement ne remplissent pas la totalité des attendus programmatiques » ; le constat « que certains enseignements sont contraires aux valeurs de la République » ; le fait qu’« à l’occasion de l’inspection du centre de documentation et d’information commun au collège et au lycée, diligentée le 20 janvier 2022, il est apparu que le directeur de l’établissement avait constitué un fichier des précédents agents des services de l’éducation nationale intervenus lors d’une précédente inspection ».
Le courrier précise que ces trois éléments « suffiraient à eux seuls à justifier la résiliation du contrat d’association » et ajoute « d’autres manquements graves », en fait trois, inspirés par des extraits du rapport de la Chambre régionale des comptes de 2023 : la gestion de l’association Averroès est présentée comme problématique, avec à l’appui de cette appréciation des éléments liés au financement par le Qatar et à d’autres sources de financement (il est indiqué que des « éléments d’opacité s’opposent au maintien du financement public ») ; le fonctionnement de l’association est présenté comme non conforme à ses statuts, en particulier sur des points liés au fonctionnement du bureau, au renouvellement du conseil d’administration et à la « confusion des rôles » entre président, vice-président et trésorier ; « le manque de transparence et de désintéressement dans la gestion de l’établissement », renvoyant au fait que le président de l’association jusqu’en 2020, par ailleurs gérant d’une agence de voyage, avait mis sa société au service de l’association pour organiser (et facturer) des voyages scolaires.
NDLR : la suite de cet article dans notre édition de demain. Les deux premiers volets sont à (re)lire dans les colonnes d’AOC :