Enseignement supérieur

Sur le positionnement politique des universités

Politiste

Les manifestations étudiantes en faveur de la Palestine ont soulevé la question épineuse de la neutralité politique des universités, en Amérique du Nord comme en Europe. Bien compris, le devoir de « réserve institutionnelle » limite l’expression des universités, mais non la libre expression dans les universités.

Tout au long de l’année universitaire 2023-2024, des manifestations contre l’offensive israélienne à Gaza ont éclaté sur les campus d’Amérique du Nord et d’Europe. Certains étudiants ont appelé les universités à se solidariser avec la Palestine et à condamner Israël. Ces manifestations ont suscité l’inquiétude de nombre d’observateurs, consternés par certains incidents antisémites. La critique des manifestations étudiantes a alimenté la polémique récurrente contre les universités dites « woke ».

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De Sciences Po à Paris à Columbia à New York, politiciens et administrateurs ont entrepris la mise au pas d’universités jugées par trop politisées. Nombre d’universités ont été amenées à adopter une position de « neutralité institutionnelle » – le principe selon lequel les universités devraient s’abstenir de prendre position sur les enjeux politiques et internationaux du jour. Les principales universités de la Ivy League, telles que Harvard et Chicago, ont publiquement souscrit à la neutralité institutionnelle et certaines universités britanniques et françaises en discutent actuellement[1].

Malheureusement, ce que recouvre exactement la neutralité institutionnelle n’est pas évident. De fait, elle est souvent mal comprise, tant par la droite que par la gauche. Depuis une dizaine d’années, des commentateurs plutôt associés à la droite se sont fait les porte-drapeau de la liberté d’expression dans les universités, critiquant le « politiquement correct » ou la « cancel culture » qui y prévaudraient et le manque de diversité des points de vue qui en découlerait. Les mêmes affirment aujourd’hui que le devoir de neutralité politique des universités les oblige à limiter la liberté d’expression – celle des manifestants propalestiniens – sur les campus. Aux États-Unis, des think tanks conservateurs ont invoqué la neutralité institutionnelle pour exhorter les universités à renoncer à leur engagement partisan en faveur de programmes progressistes tels que la diversification de


[1] J’ai contribué pour ma part à l’élaboration de la Policy on Institutional Restraint du Nuffield College à Oxford. Les opinions exprimées ici n’engagent que moi.

[2] Ben Medeiros, « The Ideological Significance of “Institutional Neutrality” Mandates in State-Level Campus Speech Legislation », First Amendment Studies, vol. 53, 2019/1-2, p. 22-40.

[3] Fritz Machlup, « European Universities as Partisans », in Neutrality or Partisanship: A Dilemma of Academic Institutions, Carnegie Foundation for the Advancement of Teaching, 1971, p. 7-30.

[4] Walter Mezler, « Institutional Neutrality: An Appraisal », in ibid., p. 38-63.

[5] Ronald Dworkin, « We Need a New Interpretation of Academic Freedom », Academe, vol. 82, 1996/3, p. 10-15.

[6] Jonathan Cole, « Academic Freedom under Fire », Daedalus, vol. 134, 2005/2, p. 5-17.

[7] Stephen M. Walt, « Universities Souldn’t Ever Take Sides in a War », Foreign Policy, 31 octobre 2023.

[8] Michele Moody-Adams, « What’s So Special about Academic Freedom? », in Akeel Bilgrami et Jonathan Cole (dir.), Who’s Afraid of Academic Freedom?, Columbia University Press, 2015, p. 97-122, en particulier p. 109-114.

[9] Amia Srinivasan, « Cancelled », London Review of Books, vol. 45, juin 2023 et Florence Delmotte et Justine Lacroix, « Lettre aux universalistes. À celles et ceux qui s’inquiètent de l’évolution de l’Université », La Revue Nouvelle, 2024/4.

[10] Ulrich Baer, What “Snowflakes” Get Right: Free Speech, Truth and Equality on Campus, Oxford University Press, 2019.

[11] Jennifer Saul, « Beyond Just Silencing and Censorship: A Call for Complexity in Discussions of Academic Free Speech », in Jennifer Lackey (dir.), Academic Freedom, Oxford University Press, 2018, p. 119-134.

Cécile Laborde

Politiste, Professeure à l'université d'Oxford, membre de la British Academy et de l'Académie royale de Belgique

Notes

[1] J’ai contribué pour ma part à l’élaboration de la Policy on Institutional Restraint du Nuffield College à Oxford. Les opinions exprimées ici n’engagent que moi.

[2] Ben Medeiros, « The Ideological Significance of “Institutional Neutrality” Mandates in State-Level Campus Speech Legislation », First Amendment Studies, vol. 53, 2019/1-2, p. 22-40.

[3] Fritz Machlup, « European Universities as Partisans », in Neutrality or Partisanship: A Dilemma of Academic Institutions, Carnegie Foundation for the Advancement of Teaching, 1971, p. 7-30.

[4] Walter Mezler, « Institutional Neutrality: An Appraisal », in ibid., p. 38-63.

[5] Ronald Dworkin, « We Need a New Interpretation of Academic Freedom », Academe, vol. 82, 1996/3, p. 10-15.

[6] Jonathan Cole, « Academic Freedom under Fire », Daedalus, vol. 134, 2005/2, p. 5-17.

[7] Stephen M. Walt, « Universities Souldn’t Ever Take Sides in a War », Foreign Policy, 31 octobre 2023.

[8] Michele Moody-Adams, « What’s So Special about Academic Freedom? », in Akeel Bilgrami et Jonathan Cole (dir.), Who’s Afraid of Academic Freedom?, Columbia University Press, 2015, p. 97-122, en particulier p. 109-114.

[9] Amia Srinivasan, « Cancelled », London Review of Books, vol. 45, juin 2023 et Florence Delmotte et Justine Lacroix, « Lettre aux universalistes. À celles et ceux qui s’inquiètent de l’évolution de l’Université », La Revue Nouvelle, 2024/4.

[10] Ulrich Baer, What “Snowflakes” Get Right: Free Speech, Truth and Equality on Campus, Oxford University Press, 2019.

[11] Jennifer Saul, « Beyond Just Silencing and Censorship: A Call for Complexity in Discussions of Academic Free Speech », in Jennifer Lackey (dir.), Academic Freedom, Oxford University Press, 2018, p. 119-134.