International

Par-delà l’armée, l’autoritarisme et l’islamisme : l’Algérie entre dynamiques sociales et logiques d’État

Anthropologue

Les événements survenus la semaine passée, et notamment l’annonce par le chef d’État-major de l’Armée du recours à l’article 102 à propos de l’empêchement du président de la République, viennent corroborer l’hypothèse d’un scénario de type « révolution des œillets » pour l’Algérie. Car pour comprendre le moment que vit actuellement l’Algérie, il convient de ne pas s’enfermer dans le triptyque armée/autoritarisme/danger de l’islamisme, mais plutôt de s’intéresser profondes dynamiques sociales comme aux logiques d’État.

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« Mais une autre propriété, beaucoup plus importante d’un champ est qu’il enferme de l’impensable, c’est-à-dire des choses qu’on ne discute même pas […] La doxa, c’est un ensemble d’évidences admises comme allant de soi, et en particulier des systèmes de classement qui sont parmi les choses les plus évidentes » (Pierre Bourdieu)[1].

 

La semaine qui vient de s’écouler a été particulièrement intéressante. Le 26 mars, le général de corps d’Armée, Ahmed Gaïd Salah, chef d’État-major de l’Armée nationale populaire (ANP) s’est prononcé en faveur du recours à l’article 102 comme moyen constitutionnel de sortie de crise. Il concerne l’état d’empêchement du président de la République (d’exercer ses fonctions) pour cause de maladie grave et durable. Si la proposition de recours à cet article est validée par le conseil constitutionnel, ce qui est fort probable, le Président du Conseil de la Nation, Abdelkader Bensalah, assumera alors l’intérim pour une durée de quatre-vingt-dix jours au maximum, au cours de laquelle des élections présidentielles seront censées être organisées. Ce dernier ne pourra, en outre, être candidat lui-même à la Présidence de la République. Dans la foulée de cette annonce, le Rassemblement National Démocratique (mercredi 27 mars), l’un des principaux partis du pouvoir, puis l’Union Général des Travailleurs (jeudi 28 mars) se sont alignés sur la proposition du chef des armées. Le 28 mars également, en fin de journée, le président du Forum des Chefs d’Entreprises annonçait sa démission.

Ces événements, et le positionnement de l’armée par le biais de son chef, corroborent l’hypothèse du scénario de la révolution des œillets (Portugal), que je formulais à rebours des analyses dominantes, dans un texte paru en Algérie, le 25 mars (la veille de la déclaration d’Ahmed Gaïd Salah). Les retournements de position des parties soutenant jusqu’alors la réélection d’Abdelaziz Bouteflika, renforcent également l’éclairage que j’ai apporté dans mon te


[1] Bourdieu Pierre, 1976, « Les conditions sociales de la production sociologique. Sociologie coloniale et décolonisation de la sociologie », in Le mal de voir, Cahiers de Jussieu 2, Paris, UGE, pp. 416-427.

[2] J’écrivais à ce propos la chose suivante dans le texte précédemment publié dans AOC : « Au final, l’usage extensif de ces termes de ‘système’, ‘caste’ et ‘clan’ ne nous sont d’aucune aide en ce que d’une part ils brouillent ou simplifient à outrance les réalités politiques et d’autre part en ce qu’ils donnent une vision ‘exotique’ du fonctionnement des institutions politiques algériennes ; on peut à l’inverse supposer que celles-ci fonctionnent de manière ‘ordinaire’ (par opposition à exotique), selon leurs logiques propres ».

[3] La loi organique fixant les modalités augmentant les chances d’accès de la femme à la représentation dans les assemblées élues a augmenté la présence des femmes dans la vie politique. Cf. à ce propos Belkacem Benzenine, 2013, « Les femmes algériennes au Parlement : la question des quotas à l’épreuve des réformes politiques », Égypte/Monde arabe 10/2013 : http://journals.openedition.org/ema/3196

[4] Cf. à ce sujet la convaincante analyse de Meriem Khelifi, « Pourquoi l’Algérie ne sera pas islamiste », paru dans El Watan (28 mars) : https://www.elwatan.com/edition/contributions/pourquoi-lalgerie-ne-sera-pas-islamiste-28-03-2019

[5] Pour quelques brefs éclairages, je renvoie le lecteur aux analyses de deux collègues : Ammar Belhimer : https://www.middleeasteye.net/fr/opinion/la-constitution-du-23-fevrier-1989-loccasion-ratee?fbclid=IwAR3i66HrUsWdR0tUA5mO9OekTORafyww6RLIvPDahU6xcez300ZkfOhgk9Q ; et Abderrahmane Moussaoui : https://www.elwatan.com/edition/actualite/abderrahmane-moussaoui-professeur-en-anthropologie-universite-lyon-2-lumiere-le-mouvement-populaire-nest-pas-le-fait-dune-generation-spontanee-20-03-2019

Yazid Ben Hounet

Anthropologue, Chargé de recherche au CNRS-Laboratoire d'Anthropologie Sociale

Notes

[1] Bourdieu Pierre, 1976, « Les conditions sociales de la production sociologique. Sociologie coloniale et décolonisation de la sociologie », in Le mal de voir, Cahiers de Jussieu 2, Paris, UGE, pp. 416-427.

[2] J’écrivais à ce propos la chose suivante dans le texte précédemment publié dans AOC : « Au final, l’usage extensif de ces termes de ‘système’, ‘caste’ et ‘clan’ ne nous sont d’aucune aide en ce que d’une part ils brouillent ou simplifient à outrance les réalités politiques et d’autre part en ce qu’ils donnent une vision ‘exotique’ du fonctionnement des institutions politiques algériennes ; on peut à l’inverse supposer que celles-ci fonctionnent de manière ‘ordinaire’ (par opposition à exotique), selon leurs logiques propres ».

[3] La loi organique fixant les modalités augmentant les chances d’accès de la femme à la représentation dans les assemblées élues a augmenté la présence des femmes dans la vie politique. Cf. à ce propos Belkacem Benzenine, 2013, « Les femmes algériennes au Parlement : la question des quotas à l’épreuve des réformes politiques », Égypte/Monde arabe 10/2013 : http://journals.openedition.org/ema/3196

[4] Cf. à ce sujet la convaincante analyse de Meriem Khelifi, « Pourquoi l’Algérie ne sera pas islamiste », paru dans El Watan (28 mars) : https://www.elwatan.com/edition/contributions/pourquoi-lalgerie-ne-sera-pas-islamiste-28-03-2019

[5] Pour quelques brefs éclairages, je renvoie le lecteur aux analyses de deux collègues : Ammar Belhimer : https://www.middleeasteye.net/fr/opinion/la-constitution-du-23-fevrier-1989-loccasion-ratee?fbclid=IwAR3i66HrUsWdR0tUA5mO9OekTORafyww6RLIvPDahU6xcez300ZkfOhgk9Q ; et Abderrahmane Moussaoui : https://www.elwatan.com/edition/actualite/abderrahmane-moussaoui-professeur-en-anthropologie-universite-lyon-2-lumiere-le-mouvement-populaire-nest-pas-le-fait-dune-generation-spontanee-20-03-2019