International

Après Trump, la désorientation

Sociologue

Pendant que le Parti démocrate, plein de mauvaise conscience, fustige son programme, voire culpabilise de ne pas l’avoir assez trumpisé, une question demeure : comment en est-on arrivé là ? comment Donald Trump a-t-il réussi à fasciner son électorat et à passer pour un candidat antisystème ? Une réponse est ici esquissée, la période s’ouvrant aux États-Unis nous concernant au premier chef avec la montée du RN.

La trop facile élection de Trump a soulevé le désarroi et l’incompréhension chez celles et ceux qui croyaient que sa misogynie, sa vulgarité, son égotisme et ses engagements antidémocratiques le disqualifieraient d’avance. Et à peine le résultat connu, le camp des vaincus a repris son exercice préféré : se battre la coulpe. Une litanie de motifs a subitement surgi pour expliquer la défaite de Kamala Harris : retrait tardif de Biden, ravages de l’inflation, explosion de l’immigration illégale, plafond de verre interdisant l’accès d’une femme à la présidence, communication défaillante, programme trop radical en faveur des minorités, accords avec des républicains dissidents. Et puis, à mesure que les données du vote ont été rendues publiques, les analystes ont surtout cherché à comprendre pourquoi Harris avait perdu plus de huit millions de voix qui s’étaient portées sur Biden en 2024 (écart dont ne rend pas compte la hausse du nombre d’abstentionnistes[1]).

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Cette déperdition massive a alors suscité une série de spéculations : vote des jeunes hommes des minorités en réaction aux effets de #MeToo, adhésion des femmes blanches à la rhétorique machiste, incapacité des progressistes à prendre en compte le déclassement des « cols bleus », désertion de l’électorat musulman, sanction des étudiants au nom des massacres à Gaza. Dans cette énumération sans fin des raisons ayant contribué à cette affligeante déconvenue, il en est une qui semble emporter la mise une fois les émois passés : la différence entre détenteurs d’un diplôme du secondaire ou de l’université[2].

C’est ainsi qu’a soudain refleuri la thèse selon laquelle le Parti démocrate était contrôlé par une élite diplômée insensible aux aspirations des classes populaires tandis que le Parti républicain sous la coupe de Trump en serait devenu le porte-parole patenté. Ce constat est d’autant plus étrange que ce parti est dirigé par des personnes qui s’enorgueillissent d’être sorties des universités que fréquenten


[1] En 2020, le nombre de votants était de 239 247 000, contre 245 740 000 en 2024. Joe Biden a recueilli 81 283 500 voix et Donald Trump, 74 223 975. Cette fois-ci, Kamala Harris a obtenu 72 857 000 suffrages et Donald Trump, 75 870 000. En 2020, le taux de participation était de 66,77 %, contre 60 % en 2024, ce qui se traduit par 7 400 000 abstentionnistes de plus.

[2] Même si ce facteur demande à être examiné de façon plus nuancée, comme l’a fait Éric Fassin dans les colonnes d’AOC.

[3] Mario Del Pero, « De nombreuses études ont démenti le mythe selon lequel Trump serait le président de la classe ouvrière », Le Monde, 18 septembre 2024.

[4] Hervé Le Crosnier, « Désintermédiation et démocratie », Multitudes, n° 19, 2004, p. 143-160.

[5] Jürgen Habermas, Espace public et démocratie délibérative : un tournant (2022), traduit de l’allemand par Frédéric Joly, Paris : Gallimard, 2023.

[6] Voir, d’une part, Stephen Greenblatt, Tyrans. Shakespeare raconte le XXIe siècle (2018), traduit de l’anglais (États-Unis) par Laurent Bury, Paris : Saint-Simon, 2019 et, d’autre part, Bandy Lee (dir.), The Dangerous Case of Donald Trump. 27 Psychiatrists and Mental Health Experts Assess a President, New York : St Martin’s Press, 2017 et Mary Trump, Trop et jamais assez. Comment ma famille a fabriqué l’homme le plus dangereux du monde (2020), traduit de l’anglais (États-Unis) par Valérie Le Plouhinec et Julie Sibony, Paris : Albin Michel, 2020.

[7] Roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa dans lequel on trouve la réplique d’un aristocrate italien rendue célèbre par le film qu’en a tiré Luchino Visconti : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »

[8] James Holston, Insurgent Citizenship: Disjunctions of Democracy and Modernity in Brazil, Princeton University Press, 2008.

Albert Ogien

Sociologue, Directeur de recherche au CNRS – CEMS

Notes

[1] En 2020, le nombre de votants était de 239 247 000, contre 245 740 000 en 2024. Joe Biden a recueilli 81 283 500 voix et Donald Trump, 74 223 975. Cette fois-ci, Kamala Harris a obtenu 72 857 000 suffrages et Donald Trump, 75 870 000. En 2020, le taux de participation était de 66,77 %, contre 60 % en 2024, ce qui se traduit par 7 400 000 abstentionnistes de plus.

[2] Même si ce facteur demande à être examiné de façon plus nuancée, comme l’a fait Éric Fassin dans les colonnes d’AOC.

[3] Mario Del Pero, « De nombreuses études ont démenti le mythe selon lequel Trump serait le président de la classe ouvrière », Le Monde, 18 septembre 2024.

[4] Hervé Le Crosnier, « Désintermédiation et démocratie », Multitudes, n° 19, 2004, p. 143-160.

[5] Jürgen Habermas, Espace public et démocratie délibérative : un tournant (2022), traduit de l’allemand par Frédéric Joly, Paris : Gallimard, 2023.

[6] Voir, d’une part, Stephen Greenblatt, Tyrans. Shakespeare raconte le XXIe siècle (2018), traduit de l’anglais (États-Unis) par Laurent Bury, Paris : Saint-Simon, 2019 et, d’autre part, Bandy Lee (dir.), The Dangerous Case of Donald Trump. 27 Psychiatrists and Mental Health Experts Assess a President, New York : St Martin’s Press, 2017 et Mary Trump, Trop et jamais assez. Comment ma famille a fabriqué l’homme le plus dangereux du monde (2020), traduit de l’anglais (États-Unis) par Valérie Le Plouhinec et Julie Sibony, Paris : Albin Michel, 2020.

[7] Roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa dans lequel on trouve la réplique d’un aristocrate italien rendue célèbre par le film qu’en a tiré Luchino Visconti : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »

[8] James Holston, Insurgent Citizenship: Disjunctions of Democracy and Modernity in Brazil, Princeton University Press, 2008.