Enseignement supérieur

L’Hécatombe Capitaliste de l’Excellisation dans la Recherche et l’Enseignement Supérieur

Professeur de littérature et médias

Le 14 février, le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCÉRES) a émis une vague d’avis provisoires défavorables au maintien de multiples formations de licence et de master. Au-delà d’une contestation des résultats de cette évaluation bâclée, ce sont ses prémisses qu’il faut interroger, dans le cadre plus large des attaques contre certaines formes d’enseignement et de recherche issues des Arts, Lettres, Langues, Sciences Humaines et Sociales.

Voilà bien longtemps que les débats autour des multiples protocoles d’« évaluation » mis en place par la gouvernance néolibérale de nos sociétés font rage – souvent en faisant long feu[1].

publicité

À chaque nouveau round, une commission inquisitionne (plus ou moins hâtivement) un secteur de la société, proclame des résultats et des classements qui attaquent, irritent ou révoltent celles et ceux qui en sont la cible. Une fièvre de protestations échauffe temporairement le milieu évalué. Un recul officiel diffère quelque peu les sanctions, pour y injecter une petite dose de modération (deuxième temps, rassurant et conciliant, de la stratégie du choc). Et la machine évaluatrice suit inlassablement son cours, jusqu’au prochain assaut de nos vieilles institutions, jusqu’à la prochaine crise de fièvre, et jusqu’à la prochaine sédimentation de la culture de l’amélioration permanente.

En cette fin d’hiver 2025, c’est l’HCÉRES – Le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur – qui a envoyé ses pré-rapports concernant la « vague E » de licences et de masters d’universités de l’Île-de-France hors Paris, des Hauts-de-France, de Mayotte et de la Réunion. Rien de nouveau sous le soleil… Sauf peut-être que le cas spécifique de cette évaluation d’universités assez particulières peut faire figure de cas d’école d’un déphasage de plus en plus évident – et ici singulièrement grossier – entre une procédure d’évaluation, ses résultats, et les valeurs que nos sociétés peuvent reconnaître comme les leurs [2].

Une hécatombe dans la promotion sociale

Ces universités situées dans les régions et les départements les plus défavorisés du pays sont soumises aux mêmes critères objectifs que celles de Paris Centre, critères portant sur a) le taux de réussite, b) les dispositifs de professionnalisation, c) le suivi du devenir des étudiants, d) l’analyse de données d’insertion professionnelle, e) l’efficience des dispositifs d’amélioration continue, f) l’international


[1] Voir par exemple Angélique Del Rey, La tyrannie de l’évaluation, Paris, La Découverte, 2013.

[2] Ce déphasage a déjà été analysé avec finesse et humour par Lionel Ruffel dans AOC le mercredi 12 mars 2025, « L’amour selon le HCÉRES ».

[3] Sur les conséquences d’avis défavorable dans le cas de l’Ecole Media Art de Châlons sur Saône, voir Équipe de rédaction d’Academia. « Défavorable, réservé mais surtout pas favorable – Le HCERES sort les dents », Academia, 12 mars 2025, Consulté le 12 mars 2025.

[4] Sur ces points, voir la Réponse unitaire des formations de l’Université Paris 8 au HCERES rédigée par l’AG des personnels de Paris 8 le 11 mars.

[5] « Vague E : réponses de C. Chevallier et L. Franjié du Hcéres aux critiques ; les ajustements décidés », News Tank, éducation et recherche, Actualité n°390923 – Publié le 12/03/2025.

[6]Sur les questions d’approches quantitatives des réalités universitaires, voir Zachary Bleemer et al., Metrics That Matter. Counting What’s Really Important to College Students, Baltimore, Johns Hopkins, 2023.

[7] C’est le cas par exemple du master de création littéraire de l’université Paris 8 ou du master ArTeC de Paris 8 & Nanterre.

[8] Mission du HCÉRES, telle qu’énoncée sur le site du HCÉRES.

[9] Voir toutefois l’excellent travail de réflexion large et d’organisation mené au sein du collectif Rogue ESR, dont les billets sont accessibles sur leur site.

[10] Après avoir constaté que, dans la vague E d’évaluation, « 75 % des masters ont un avis favorable, avec ou sans recommandations, et 60 % pour le 1er cycle », Lynne Franjié, Directrice du département d’évaluation des formations du HCÉRES, précise que, « quand on regarde ceux qui ont des points d’attention, un tiers porte sur des formations en ALLSHS, un tiers en droit économie gestion, et un tiers en sciences, technologies, santé » (« Vague E : réponses de C. Chevallier et L. Franjié du Hcéres aux critiques ; les ajustements décidés », art. cit.). Il ne s’agit donc pas ici d’accuser le

Yves Citton

Professeur de littérature et médias, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Co-directeur de la revue Multitudes

Notes

[1] Voir par exemple Angélique Del Rey, La tyrannie de l’évaluation, Paris, La Découverte, 2013.

[2] Ce déphasage a déjà été analysé avec finesse et humour par Lionel Ruffel dans AOC le mercredi 12 mars 2025, « L’amour selon le HCÉRES ».

[3] Sur les conséquences d’avis défavorable dans le cas de l’Ecole Media Art de Châlons sur Saône, voir Équipe de rédaction d’Academia. « Défavorable, réservé mais surtout pas favorable – Le HCERES sort les dents », Academia, 12 mars 2025, Consulté le 12 mars 2025.

[4] Sur ces points, voir la Réponse unitaire des formations de l’Université Paris 8 au HCERES rédigée par l’AG des personnels de Paris 8 le 11 mars.

[5] « Vague E : réponses de C. Chevallier et L. Franjié du Hcéres aux critiques ; les ajustements décidés », News Tank, éducation et recherche, Actualité n°390923 – Publié le 12/03/2025.

[6]Sur les questions d’approches quantitatives des réalités universitaires, voir Zachary Bleemer et al., Metrics That Matter. Counting What’s Really Important to College Students, Baltimore, Johns Hopkins, 2023.

[7] C’est le cas par exemple du master de création littéraire de l’université Paris 8 ou du master ArTeC de Paris 8 & Nanterre.

[8] Mission du HCÉRES, telle qu’énoncée sur le site du HCÉRES.

[9] Voir toutefois l’excellent travail de réflexion large et d’organisation mené au sein du collectif Rogue ESR, dont les billets sont accessibles sur leur site.

[10] Après avoir constaté que, dans la vague E d’évaluation, « 75 % des masters ont un avis favorable, avec ou sans recommandations, et 60 % pour le 1er cycle », Lynne Franjié, Directrice du département d’évaluation des formations du HCÉRES, précise que, « quand on regarde ceux qui ont des points d’attention, un tiers porte sur des formations en ALLSHS, un tiers en droit économie gestion, et un tiers en sciences, technologies, santé » (« Vague E : réponses de C. Chevallier et L. Franjié du Hcéres aux critiques ; les ajustements décidés », art. cit.). Il ne s’agit donc pas ici d’accuser le