Savoirs nomades
Les frontières tuent. C’est l’enseigne tragique de notre époque, marquée par la criminalisation systématique de la migration. Mais depuis toujours, les frontières politiques sont des constructions meurtrières, érigées sur des corps morts, des têtes coupées, des ventres déchirés.

Une fois le pouvoir stabilisé, elles transforment les lignes de séparation entre territoires politiques, elles ne se contentent pas de détruire. Elles façonnent : les corps, les vies, les savoirs, les affects.
Ce n’est qu’en fuyant par-delà les frontières politiques en m’exilant du pays où je m’étais construite que j’ai mesuré la portée de cette réalité. Soudain, j’ai ressenti, dans ma propre chair, sa violence diffuse. Une terrible douleur m’a traversée. J’ai perçu que des frontières innombrables, aux contours changeants, entrelacées – érigées par les pouvoirs sociaux et politiques – s’étaient ancrées en moi, telles des barbelés invisibles.
Cette révélation, tel un éveil, est le fruit d’une odyssée intérieure commencée dans l’espace que j’ai quitté. J’utilise cette métaphore car depuis longtemps déjà, je me débattais avec une pieuvre qui serrait ma vie. Pour me libérer, il fallait me dépasser : ses tentacules faisaient partie de moi. Quand je desserrais un peu chaque tentacule, un autre se relâchait. Le fait d’élargir une frontière servait pour l’autre. Un périple non linéaire, tissé d’allers-retours, de heurts, de transitions. Des découvertes, des transgressions, d’un travail méticuleux, d’une construction perpétuellement en devenir.
C’est dans un espace conflictuel où les politiques autoritaires n’arrivaient pas à arrêter les devenirs populaires que j’ai appris à naviguer. Là où les frontières discursives devenaient visibles. L’oppression en rendait les contours plus nets, parfois même plus faciles à interroger, à franchir. La violence politique dévoilait la fragilité des vérités imposées.
Et tout se passait dans les coulisses : la création artistique, la réflexion, la recherche