Economie

Les conséquences sociales de la dette : une insolente minimisation

Sociologue, Sociologue

Les récentes discussions autour des taux d’intérêt négatifs et de l’endettement demeurent focalisées sur des agrégats économiques abstraits et ignorent les conséquences sociales de la dette. Avec les outils de la sociologie, il est possible de mieux saisir l’articulation de la grande politique aux épreuves du quotidien. Et ainsi se demander si une bonne politique économique peut vraiment faire l’impasse sur les questions sociales qu’elle implique ?

La dette ne fait plus peur. Dans les colonnes du Point cet été, Olivier Blanchard, chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), et présenté par l’hebdomadaire comme néo-keynésien, affirmait : « même si la dette publique est coûteuse, elle n’est pas aussi catastrophique que certains l’affirment ». Mieux, « être obnubilé par sa réduction, au prix de dépenses d’infrastructures réduites ou de chômage plus élevé, est une erreur ».

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À première vue, le fait qu’une institution incarnant historiquement l’orthodoxie et la discipline budgétaire (notamment pour les pays « sous assistance FMI »), en vertu des conditions de marché (des taux faibles sinon négatifs), plaide pour une tolérance accrue du recours au financement par emprunt et relativise le problème de la dette a de quoi surprendre. Ce raisonnement entre en résonance avec de fortes demandes sociales et politiques d’investissement public traditionnellement situées à gauche de l’échiquier politique.

Pour autant, ces pensées s’agencent autour de représentations macro-économiques, ou macrosociales de la réalité de l’endettement qu’il soit public ou privé et restent focalisées sur des agrégats « anonymes ». Si Blanchard ridiculise l’argument des « générations futures » lésées par « une charge », c’est au nom d’une spécificité de la dette publique par rapport à la dette privée, transmise en famille : « Si vous laissez plus de dette à vos enfants, vous leur imposez une charge. La dette publique, elle, est différente. À un moment donné, les intérêts sont payés par les contribuables, sous forme d’impôts, à ceux qui détiennent la dette. Du point de vue de l’économie dans son ensemble, c’est juste un transfert entre agents économiques ». L’argument est en revanche vrai dans le sens où (…) la dette publique réduit l’accumulation de capital, donc la production future ».

Les transferts entre agents économiques (et sociaux) ne constituent pas un problème en soi, puisque à l’échelle macro-économique, ils s’équilib


[1] Il est vrai que ce rapprochement fonctionne comme le véhicule d’idéologies néolibérales tendant à considérer l’État comme une entreprise ou un ménage « responsable » qui devrait agir conformément aux limitations propres à ce statut « domestique ». Comme nous le montrons, cette analogie se réalise de façon ambigüe.

[2] Au sujet du surendettement d’étudiants américains, voir le récent ouvrage de Caitlin Zaloom, Indebted: How Families Make College Work at Any Cost, Princeton University Press, 2019, 280 p.

[3] Si l’INSEE relève que 93% des Français disposent d’une épargne (Enquête Patrimoine 2018), les montants et les supports d’épargne sont très variables. Lorsque 13 % des Français déclarent se sentir pauvres et que 16% sont sous le seuil de pauvreté (Nicolas Duvoux et Adrien Papuchon, « Qui se sent pauvre en France ? », Revue francaise de sociologie, 2018, Vol. 59, no 4, p. 607‑647.), l’on peut légitimement interroger l’accès à l’épargne, sa distribution sociale, et se douter qu’entre une personne qui dépose quelques dizaines d’euros par an sur son livret A et une autre qui possède un patrimoine immobilier et investit en bourse, les niveaux d’épargne sont extrêmement variables. Dernier chiffre qui donne une idée de cette inégalité, en 2009, les revenus de 35 % des ménages français ne couvrent pas leurs dépenses, selon INSEE Première, n°1265, 17/11/2009. « Les inégalités entre ménages dans les comptes nationaux ».

Jeanne Lazarus

Sociologue, Directrice de recherches au Centre de sociologie des organisations Sciences Po-CNRS

Benjamin Lemoine

Sociologue, Chercheur au CNRS

Mots-clés

Dette

Notes

[1] Il est vrai que ce rapprochement fonctionne comme le véhicule d’idéologies néolibérales tendant à considérer l’État comme une entreprise ou un ménage « responsable » qui devrait agir conformément aux limitations propres à ce statut « domestique ». Comme nous le montrons, cette analogie se réalise de façon ambigüe.

[2] Au sujet du surendettement d’étudiants américains, voir le récent ouvrage de Caitlin Zaloom, Indebted: How Families Make College Work at Any Cost, Princeton University Press, 2019, 280 p.

[3] Si l’INSEE relève que 93% des Français disposent d’une épargne (Enquête Patrimoine 2018), les montants et les supports d’épargne sont très variables. Lorsque 13 % des Français déclarent se sentir pauvres et que 16% sont sous le seuil de pauvreté (Nicolas Duvoux et Adrien Papuchon, « Qui se sent pauvre en France ? », Revue francaise de sociologie, 2018, Vol. 59, no 4, p. 607‑647.), l’on peut légitimement interroger l’accès à l’épargne, sa distribution sociale, et se douter qu’entre une personne qui dépose quelques dizaines d’euros par an sur son livret A et une autre qui possède un patrimoine immobilier et investit en bourse, les niveaux d’épargne sont extrêmement variables. Dernier chiffre qui donne une idée de cette inégalité, en 2009, les revenus de 35 % des ménages français ne couvrent pas leurs dépenses, selon INSEE Première, n°1265, 17/11/2009. « Les inégalités entre ménages dans les comptes nationaux ».