Pourquoi l’épidémie ?
Les historiens de notre confinement verront probablement les épisodes « Professeur Raoult » et « Professeur Montagnier » comme des cas d’école de l’errance de la raison. Le second aura été de courte durée, mais pour qui connaît un peu les théories du complot et leur logique, il était au moins aussi prévisible que la pandémie elle-même. Pour mémoire ce prix Nobel, co-découvreur du virus du Sida et depuis lors fourvoyé dans des aventures alter-scientifiques plus ou moins cocasses, s’était en effet illustré en annonçant sur un plateau TV que le coronavirus SARS-CoV-2 relevait d’une manipulation visant à intégrer le VIH sur un virus de chauve-souris ordinaire. L’excitation fut intense mais brève. Rien ne permet raisonnablement de soutenir que ce virus n’est pas naturel, comme le biologiste Thomas Heams entre autres le démontre[1].

Dire contre Montagnier et ses sectateurs que le SARS-CoV-2 est naturel signifie qu’il n’est pas issu d’une manipulation intentionnelle. Le contraste conceptuel implicite oppose ici les causes naturelles, sans but, et ce qu’on appela traditionnellement, après des commentateurs aristotéliciens, les causes finales, censées relever d’une intention. En science, les choses de la nature, pour nous modernes, autrement dit depuis Galilée, n’ont aucun but.
Mais la maladie Covid-19, provoquée par ce virus, est-elle vraiment naturelle ? Notre propos ici interrogera cette question anodine, afin de donner à voir les complexités des rapports entre la nature et son Autre dans le cas de cette pandémie. Dans la tradition occidentale en effet, le concept de « nature » a toujours été défini en opposition avec autre chose : nature et convention pour les Grecs, nature et grâce pour les théologiens catholiques, nature et liberté pour Rousseau et ses continuateurs, ou bien, dès le XIXe siècle, nature et société ou nature et histoire.
Alors, ce virus est-il bien naturel au sens où l’on oppose souvent nature et culture, ou nature et société/civilisation ? Telle est la