Santé

Pourquoi l’épidémie ?

Philosophe, Philosophe, Écologue

L’épidémie de Covid-19 était-elle « prévisible » ? Le 16 avril, Emmanuel Macron a réaffirmé que non. C’est faux, elle était même inexorable, selon les écologues et les biologistes. Cependant, l’écologie est une science complexe, et ses chaînes causales sont souvent contre-intuitives. Pour penser la pandémie et son rapport au vivant, il faut donc emprunter un chemin de réflexion évolutif et non-linéaire, le même, d’ailleurs, qui permet de penser la crise climatique.

Les historiens de notre confinement verront probablement les épisodes « Professeur Raoult » et « Professeur Montagnier » comme des cas d’école de l’errance de la raison. Le second aura été de courte durée, mais pour qui connaît un peu les théories du complot et leur logique, il était au moins aussi prévisible que la pandémie elle-même. Pour mémoire ce prix Nobel, co-découvreur du virus du Sida et depuis lors fourvoyé dans des aventures alter-scientifiques plus ou moins cocasses, s’était en effet illustré en annonçant sur un plateau TV que le coronavirus SARS-CoV-2 relevait d’une manipulation visant à intégrer le VIH sur un virus de chauve-souris ordinaire. L’excitation fut intense mais brève. Rien ne permet raisonnablement de soutenir que ce virus n’est pas naturel, comme le biologiste Thomas Heams entre autres le démontre[1].

Dire contre Montagnier et ses sectateurs que le SARS-CoV-2 est naturel signifie qu’il n’est pas issu d’une manipulation intentionnelle. Le contraste conceptuel implicite oppose ici les causes naturelles, sans but, et ce qu’on appela traditionnellement, après des commentateurs aristotéliciens, les causes finales, censées relever d’une intention. En science, les choses de la nature, pour nous modernes, autrement dit depuis Galilée, n’ont aucun but.

Mais la maladie Covid-19, provoquée par ce virus, est-elle vraiment naturelle ? Notre propos ici interrogera cette question anodine, afin de donner à voir les complexités des rapports entre la nature et son Autre dans le cas de cette pandémie. Dans la tradition occidentale en effet, le concept de « nature » a toujours été défini en opposition avec autre chose : nature et convention pour les Grecs, nature et grâce pour les théologiens catholiques, nature et liberté pour Rousseau et ses continuateurs, ou bien, dès le XIXe siècle, nature et société ou nature et histoire.

Alors, ce virus est-il bien naturel au sens où l’on oppose souvent nature et culture, ou nature et société/civilisation ? Telle est la


[1] Voir aussi Andersen, K.G., Rambaut, A., Lipkin, W.I. et al. The proximal origin of SARS-CoV-2. Nat Med 26, 450–452 (2020), qui démontre par analyse comparative des données génomiques avant l’intervention de Montagnier que « SARS-CoV-2 is not a laboratory construct or a purposefully manipulated virus ».

[2] Parmi les modèles qui ont circulé et ont eu un certain effet sur les pouvoirs publics ont citera les modèles de l’imperial College de l’équipe de Neil Ferguson, le modèle du confinement de l’équipe de l’INSERM dirigée par Vittoria Colizza, et les modèles à compartiments développés par l’équipe ETE (Mivegec, CNRS-IRD) de Montpellier dirigée par Samuel Alizon.

[3] L’affirmation doit être nuancée si, comme on le rapporte dans la section suivante, l’impact humain sur la biodiversité a facilité l’émergence d’un virus hors d’une chauve souris, et son passage par un pangolin. Reste que si on prend, aujourd’hui, un virus donné dans son hôte, le génome du virus descendant, prêt à aller infecter un autre individu, ne dépend pas des caractéristiques sociales de la société française présente, à la différence de sa létalité ou de ses chances d’infecter quelqu’un d’autres.

[4] La vie grégaire a fait évoluer un type d’altruisme très étudié – se nourrissant du sang d’animaux, les individus qui après une chasse n’ont pu en boire se voient nourris par d’autres, qui leur transfusent une partie du sang récolté. C’est l’un des rares cas documentés d’« altruisme réciproque » dans le monde animal (autrement dit, un individu fait quelque chose de coûteux pour lui et bon pour l’autre, pour un individu susceptible de lui retourner le service plus tard).

[5] « Some bats have an antiviral immune response called the interferon pathway perpetually switched on. In most other mammals, having such a hyper-vigilant immune response would cause harmful inflammation. Bats, however, have adapted anti-inflammatory traits that protect them from such harm, include the loss of certain genes that norma

Philippe Huneman

Philosophe, Directeur de recherche à l’IHPST (CNRS/Paris-I)

Solange Haas

Philosophe, Doctorante à l'IHPST

Philippe Jarne

Écologue, Directeur de recherche au CNRS et membre du CEFE

Rayonnages

SociétéSanté

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Voir aussi Andersen, K.G., Rambaut, A., Lipkin, W.I. et al. The proximal origin of SARS-CoV-2. Nat Med 26, 450–452 (2020), qui démontre par analyse comparative des données génomiques avant l’intervention de Montagnier que « SARS-CoV-2 is not a laboratory construct or a purposefully manipulated virus ».

[2] Parmi les modèles qui ont circulé et ont eu un certain effet sur les pouvoirs publics ont citera les modèles de l’imperial College de l’équipe de Neil Ferguson, le modèle du confinement de l’équipe de l’INSERM dirigée par Vittoria Colizza, et les modèles à compartiments développés par l’équipe ETE (Mivegec, CNRS-IRD) de Montpellier dirigée par Samuel Alizon.

[3] L’affirmation doit être nuancée si, comme on le rapporte dans la section suivante, l’impact humain sur la biodiversité a facilité l’émergence d’un virus hors d’une chauve souris, et son passage par un pangolin. Reste que si on prend, aujourd’hui, un virus donné dans son hôte, le génome du virus descendant, prêt à aller infecter un autre individu, ne dépend pas des caractéristiques sociales de la société française présente, à la différence de sa létalité ou de ses chances d’infecter quelqu’un d’autres.

[4] La vie grégaire a fait évoluer un type d’altruisme très étudié – se nourrissant du sang d’animaux, les individus qui après une chasse n’ont pu en boire se voient nourris par d’autres, qui leur transfusent une partie du sang récolté. C’est l’un des rares cas documentés d’« altruisme réciproque » dans le monde animal (autrement dit, un individu fait quelque chose de coûteux pour lui et bon pour l’autre, pour un individu susceptible de lui retourner le service plus tard).

[5] « Some bats have an antiviral immune response called the interferon pathway perpetually switched on. In most other mammals, having such a hyper-vigilant immune response would cause harmful inflammation. Bats, however, have adapted anti-inflammatory traits that protect them from such harm, include the loss of certain genes that norma