Economie

Le numérique au secours du salariat

Économiste

La prospective technologique se trompe rarement, sauf sur un point : l’impact sur le travail. Et si, loin de l’atomisation prophétisée des travailleurs, nous étions au contraire à l’aube d’un renouvellement en profondeur du salariat — et des syndicats ?

Le rapport Villani sur l’intelligence artificielle (IA) a surpris. En se réduisant à un catalogue de mesures pour prétendre faire de la France un leader dans ces technologies, mâtiné d’une attention aux questions éthiques, il n’aborde pas les conséquences sociales des mutations technologiques. Un éclairage sur ce silence peut être trouvé en Californie. Comme en France, y domine une nouvelle vulgate sur le travail construite autour d’un diptyque qui alimente promesses et peurs.

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Le premier volet expose une déstructuration de la relation d’emploi entre plateformisation, indépendance et multiplicité d’employeurs le long de la vie ou simultanément. Dans ce monde, les syndicats disparaissent, entraînant avec eux les corporatismes, les insiders. Chacun pourrait alors devenir entrepreneur de lui-même et l’égalité des chances prendrait corps, du moment que l’État assure l’éducation à tous et des outils de formation tout au long de la vie.

Le second volet est bien moins compatible avec le macronisme. De la robotique à l’intelligence artificielle, le numérique engendrerait la suppression des tâches d’environ la moitié des travailleurs impliquant soit la disparition soit la mutation profonde de leurs emplois. Parallèlement de nouveaux emplois apparaîtraient autour de ces technologies. Mais, au moins transitoirement, leur nombre ne serait pas suffisant pour permettre à tous de travailler ou de tirer un revenu du travail décent. L’égalité des chances ne peut lever cette peur puisque naturellement nous n’avons pas tous les mêmes talents.

Être social passe désormais par un filet offert à tous, s’ajoutant à l’égalité des chances : un revenu universel.

Ce volet est brillamment tracé par les prophètes californiens. Ils entretiennent l’idée que les inégalités profondes qui traversent le monde du travail ne peuvent que naturellement s’accroître avec le « progrès » technologique. Puisqu’il s’agit de progrès, il est vain de vouloir aujourd’hui remettre en cause l’ordre social e


Philippe Askenazy

Économiste, Directeur de recherche au CNRS