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L’Europe piégée dans la guerre technologique sino-américaine ?

Politiste

Après Huawei, WeChat et Tik Tok, la bataille pour la suprématie numérique s’intensifie entre les États-Unis et la Chine. Fin septembre, la Commission fédérale des communications a annoncé son intention de restreindre l’arrivée sur le sol américain de câbles sous-marins de fibre optique détenus par des sociétés chinoises. Le « découplage numérique », ou la rupture de la continuité de l’information et des communications entre des espaces géographiques différents aura nécessairement des conséquences sur L’Europe, qui peut encore proposer un modèle différent, et défendre son non-alignement.

Le grand fossé dans le village numérique mondial n’en finit plus de se creuser. Répondant au programme « Clean Network » porté par Washington depuis août[1], Pékin a annoncé tout récemment une « initiative globale pour la sécurité des données ».

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Les formules incantatoires que cette dernière contient sont certes d’un cynisme absolu quand on sait quel traitement Pékin réserve notamment aux populations ouïgoures – sujettes aux pires sévices et aux expérimentations numériques grandeur nature du régime (fichage à grande échelle, capture des données téléphoniques, surveillance à l’aide de reconnaissance faciale, contrôle permanent via des QR codes…) – mais aussi à l’ensemble de ses citoyens (système de crédit social à l’appui de plusieurs technologies numériques).

Néanmoins, cette initiative constitue probablement une étape supplémentaire de la fragmentation de l’espace numérique global. Si le fameux « splinternet » (ou la « balkanisation de l’Internet ») qui désigne la rupture de la continuité de l’information et des communications entre des espaces géographiques différents, est déjà acté depuis longtemps – dès la fin des années 1990, le Great Firewall et l’émergence de champions technologiques nationaux en Chine l’avaient très vite incarné – force est de constater que le découplage technologique sino-américain s’approfondit de jour en jour.

Car Washington mène à présent une croisade bipartisane – ce qui, dans les circonstances actuelles est un phénomène assez rare pour être souligné – contre l’essor technologique chinois. Si les raisons officielles qui sous-tendent cette offensive sont recevables (Pékin ayant activement déployé une politique d’espionnage économique et de vol de propriété intellectuelle aux dépens des États-Unis), d’autres, sous-jacentes, sont en revanche discutables. Le choix du bras de fer et sa temporalité doivent probablement tout autant au calendrier électoral américain qu’au discrédit actuel jeté sur la Chine, dont la responsabilité vi


[1] L’initiative « Clean Network », que les États-Unis ont mise en place dans le courant du mois d’août, a pour but d’assurer la sécurisation de cinq secteurs jugés essentiels (réseaux, magasins d’applications, applications, cloud, câbles) en les préservant de toute interaction avec des acteurs chinois. Il faut à ce titre souligner le rôle accru du Committee on Foreign Investment (CFIUS), dont les prérogatives ont été considérablement étendues, et couvrent à présent l’ensemble des technologies et infrastructures critiques, de sorte à exercer un contrôle strict des investissements étrangers dans ces secteurs. À noter également que l’initiative britannique du « D10 », qui rassemble les membres du G7 plus l’Australie, l’Inde et la Corée du Sud au sein d’un groupe d’États préoccupés par la sécurisation de leurs infrastructures numériques, semble regarder dans la même direction.

[2] On peut supposer que d’autres projets de câbles devant relier Hong Kong aux États-Unis pourraient dès lors eux-aussi être « déroutés » à l’avenir, tels le « HK-G » (Hong Kong-Guam), le « BtoBE » (Bay to Bay Express Cable System, allant de San Francisco à Singapour) ou encore le « HKA » (Hong Kong Americas, courant de Los Angeles à la péninsule).

[3] Si les autorités chinoises cherchent depuis longtemps à réduire leur dépendance aux systèmes d’exploitation pour ordinateurs, fournis par des entreprises américaines, une nouvelle étape a été franchie avec l’interdiction faite à Huawei de recourir à iOS et Android, systèmes d’exploitation mobile produits respectivement par Apple et Google. Depuis, l’entreprise chinoise développe sa propre alternative, baptisée « Harmony OS ».

[4] Si la justice américaine a suspendu l’interdiction de ces applications le temps d’examiner les recours légaux déposés par les maisons mères chinoises (Bytedance et Tencent), la détermination de l’administration Trump sur ce sujet semble intacte. Dans le cadre du « Clean Network », d’autres entreprises pourraient également

Benjamin Pajot

Politiste, chercheur au Centre d’analyse de prévision et de stratégie du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

Notes

[1] L’initiative « Clean Network », que les États-Unis ont mise en place dans le courant du mois d’août, a pour but d’assurer la sécurisation de cinq secteurs jugés essentiels (réseaux, magasins d’applications, applications, cloud, câbles) en les préservant de toute interaction avec des acteurs chinois. Il faut à ce titre souligner le rôle accru du Committee on Foreign Investment (CFIUS), dont les prérogatives ont été considérablement étendues, et couvrent à présent l’ensemble des technologies et infrastructures critiques, de sorte à exercer un contrôle strict des investissements étrangers dans ces secteurs. À noter également que l’initiative britannique du « D10 », qui rassemble les membres du G7 plus l’Australie, l’Inde et la Corée du Sud au sein d’un groupe d’États préoccupés par la sécurisation de leurs infrastructures numériques, semble regarder dans la même direction.

[2] On peut supposer que d’autres projets de câbles devant relier Hong Kong aux États-Unis pourraient dès lors eux-aussi être « déroutés » à l’avenir, tels le « HK-G » (Hong Kong-Guam), le « BtoBE » (Bay to Bay Express Cable System, allant de San Francisco à Singapour) ou encore le « HKA » (Hong Kong Americas, courant de Los Angeles à la péninsule).

[3] Si les autorités chinoises cherchent depuis longtemps à réduire leur dépendance aux systèmes d’exploitation pour ordinateurs, fournis par des entreprises américaines, une nouvelle étape a été franchie avec l’interdiction faite à Huawei de recourir à iOS et Android, systèmes d’exploitation mobile produits respectivement par Apple et Google. Depuis, l’entreprise chinoise développe sa propre alternative, baptisée « Harmony OS ».

[4] Si la justice américaine a suspendu l’interdiction de ces applications le temps d’examiner les recours légaux déposés par les maisons mères chinoises (Bytedance et Tencent), la détermination de l’administration Trump sur ce sujet semble intacte. Dans le cadre du « Clean Network », d’autres entreprises pourraient également