Société

Droit, gauche et contestation – histoires croisées

sociologue

À partir de 1968, les mouvements contestataires de gauche investissent le droit pour servir leurs différentes causes : les dominés se battent pour leurs droits et par le droit, qui n’est pas l’apanage du pouvoir dominant. Ce que l’on retrouve à présent avec les gilets jaunes qui, après avoir été violemment réprimés par la police et la justice, poursuivent leur combat dans les prétoires pour faire reconnaître la violation de leurs droits.

La décision « Liberté d’association » de 1971 est bien connue des juristes car elle est considérée comme le moment fondateur par lequel le Conseil constitutionnel se pose en gardien des libertés fondamentales[1]. On porte moins souvent attention au fait que le recours fut déposé au nom de deux personnalités peu connues pour leur connaissance du droit, Michel Leiris et Simone de Beauvoir. En effet, les deux intellectuels s’étaient vus empêchés par l’administration de créer l’association Les amis de la Cause du peuple, en soutien au journal maoïste officiellement dirigé par Jean-Paul Sartre.

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Après un premier recours victorieux devant le tribunal administratif de Paris, le ministre de l’intérieur Raymond Marcellin « élabora alors une nouvelle loi dont l’article permettait de soumettre a priori au contrôle de l’autorité judiciaire la déclaration d’une association lorsqu’elle “apparaissait” fondée sur une cause ou en vue d’un projet illicite »[2]. Sollicité par Alain Poher, alors président du Sénat, le Conseil constitutionnel se saisit de cette opportunité pour étendre sa propre juridiction, en intégrant le préambule de la Constitution dans son visa et donc les principes fondateurs de la société démocratique, comme l’indique Dominique Schnapper.

C’est donc, d’une certaine manière, et bien que cela soit rarement souligné, grâce aux maoïstes et aux intellectuels qui les soutenaient au début des années 1970 que l’on doit le retournement jurisprudentiel par lequel le Conseil constitutionnel affirma son rôle prééminent dans l’ordonnancement judiciaire français, jusqu’à la réforme constitutionnelle de 2008 qui acheva sa reconnaissance en tant que Cour constitutionnelle à part entière.

La rencontre improbable du droit constitutionnel, de Simone de Beauvoir et de Michel Leiris, au secours des jeunes maoïstes, constituant la bête noire d’un ministre de l’intérieur bien décidé à se débarrasser de toute velléité de provocation gauchiste ne constitue pourtant ni une anoma


[1] N°71-44 DC.

[2] Dominique Schnapper, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Gallimard, 2010, p. 72.

[3] Sur ce point, voir un précédent article sur AOC.

[4] Jacques Chevallier souligne toutefois le caractère largement différé de cette influence : Jacques Chevallier, « Mai 1968 : révolution dans la doctrine administrative ? », AJDA n°19/2018, 4 juin 2018.

[5] Traduit – partiellement – en français : Edward Palmer Thompson, La guerre des forêts : luttes sociales dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, traduit par Christophe Jaquet, La Découverte, 2014.

[6] Ibid., p. 106.

[7] Ibid., p. 114-115.

[8] Pour une analyse détaillée, voir Liora Israël, À la gauche du droit. Mobilisations politique du droit et de la justice en France (1968-1981), Éditions de l’EHESS, 2020.

[9] Pour la défense libre, brochure introduite par le texte « Se défendre », par Michel Foucault, Henri Juramy, Christian Revon, Jacques Vergès, Jean Lapeyrie, Dominique Nocaudie, document préparatoire des assises de la Défense Libre tenue à la Sainte Baume du 23 au 26 mai 1980, Supplément à la revue Actes n°24/25.

Liora Israël

sociologue, directrice d'études à l'EHESS

Mots-clés

DroiteGauche

Notes

[1] N°71-44 DC.

[2] Dominique Schnapper, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Gallimard, 2010, p. 72.

[3] Sur ce point, voir un précédent article sur AOC.

[4] Jacques Chevallier souligne toutefois le caractère largement différé de cette influence : Jacques Chevallier, « Mai 1968 : révolution dans la doctrine administrative ? », AJDA n°19/2018, 4 juin 2018.

[5] Traduit – partiellement – en français : Edward Palmer Thompson, La guerre des forêts : luttes sociales dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, traduit par Christophe Jaquet, La Découverte, 2014.

[6] Ibid., p. 106.

[7] Ibid., p. 114-115.

[8] Pour une analyse détaillée, voir Liora Israël, À la gauche du droit. Mobilisations politique du droit et de la justice en France (1968-1981), Éditions de l’EHESS, 2020.

[9] Pour la défense libre, brochure introduite par le texte « Se défendre », par Michel Foucault, Henri Juramy, Christian Revon, Jacques Vergès, Jean Lapeyrie, Dominique Nocaudie, document préparatoire des assises de la Défense Libre tenue à la Sainte Baume du 23 au 26 mai 1980, Supplément à la revue Actes n°24/25.