Numérique

Viginum, à quoi bon ?

Sociologue

Le 26 septembre 2021 se tiendront les élections fédérales allemandes. La France entend faire de l’événement un galop d’essai pour Viginum, une structure créée cet été pour lutter contre les « menaces informationnelles » et les tentatives d’ingérences étrangères sur Internet. Le service devrait se rôder d’ici le troisième référendum d’auto-détermination en Nouvelle-Calédonie et les élections présidentielles. Mais de quelle menace parle-t-on vraiment et comment lutter contre un ennemi sans visage ?

Au plus fort de la guerre froide, la rumeur courait dans chacun des deux blocs que le bloc antagoniste s’était doté d’une arme si puissante – la Doomsday machine – qu’elle menaçait d’avaler le monde. De Dr. Strangelove aux Simpsons, la fiction s’est chargée de tourner en ridicule ces fantasmes de destructions qui conduisent les belligérants à s’armer toujours davantage. 

La guerre s’étant considérablement transformée, ce sont aujourd’hui les risques d’ingérence numérique malveillante qui font trembler les services secrets. Les piratages peuvent cibler le secteur public[1], des entreprises à des fins d’intelligence ou d’espionnage économique, ou des moments d’exercice de la démocratie comme les élections présidentielles. Symptôme du fait que la menace d’une déstabilisation par une propagande numérique préoccupe le gouvernement français : la création de Viginum, service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, le 13 juillet dernier.

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L’organe remplit quatre missions, une de surveillance, trois d’assistance : détecter les contenus douteux accessibles publiquement sur les plateformes numérique ; assister le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale en matière de protection contre les ingérences numériques étrangères ; fournir toute information utile au Conseil supérieur de l’audiovisuel dans l’accomplissement des missions ; contribuer aux travaux européens et internationaux. 

Rien d’étonnant à ce que Viginum s’adosse ainsi à de nombreux autres services et officie surtout comme une instance de support. Jean-Baptiste Jengène Vilmer relève, à la fin d’un récent ouvrage collectif consacré aux guerres de l’information, un point commun aux différents organes de lutte contre les ingérences numériques en Europe : « […] face à une menace « hybride », en ce qu’elle mêle et parfois confond le civil et le militaire, l’étatique et le non-étatique, et plusieurs domaines (non seulement la défense et la diplomatie mais aussi


[1] Ce que l’on appelle une attaque par déni de service, et qui a ciblé la ville de Liège cet été.

[2] L’expression est celle utilisée par Jengène Vilmer.

[3] Un rapport très récent suggère que les cyberattaques d’État à État ont doublé en trois ans.

[4] Ibid.

[5] On se réfère ici aux travaux de Nicolas Vanderbiest, qui retracent la trajectoire virale de certaines fausses nouvelles. Celle-ci doit bien souvent à l’action de ces fameux « idiots utiles », qui font exploser, souvent malgré eux, des contenus douteux dans l’espace public.

[6] Voir à ce sujet l’article de Martin Untersinger, « “MacronLeaks” : l’enquête pointe vers un piratage “simple et générique” », Le Monde, 2 juin 2017.

[7] « Présidentielle : pourquoi François Hollande redoute des cyber-attaques », Numerama, 15 février 2017.

[8] Le phénomène porte le nom d’« astroturfing ».

[9] L’auteure cite la source suivante : Richard Fletcher, Alessio Cornia, Lucas Graves et Rasmus Kleis Nielsen, « Measuring the reach of “fake news” and online disinformation in Europe », Reuters Institute/University of Oxford, Factsheet, février 2018.

[10] Les entreprises du numériques, auxquelles incombe la responsabilité de la salubrité de l’espace publique, ne savent pas tout à fait sur quel pied danser. D’un côté, Marc Zuckerberg annonçait en février 2020 que 35 000 personnes surveillaient les contenus litigieux sur Facebook et qu’un million de comptes factices étaient supprimés par jour. De l’autre, les plateformes rechignent à appuyer les arguments ici développés sur l’esprit critique des internautes. Dans l’article pour Harper’s Magazine, cité ci-dessus, Joseph Bernstein argumente ainsi : comment une entreprise comme Facebook, qui tire ses revenus de la publicité digitale, peut-elle laisser dire que les usagers ne sont que faiblement influencés par les contenus qu’ils lisent sur la plateforme, ces contenus fussent-ils des annonces publicitaires ou des fausses nouvelles ? Tout l’intérêt, pour convaincre les annonceurs, consist

Benjamin Tainturier

Sociologue, Doctorant au médialab de SciencesPo

Notes

[1] Ce que l’on appelle une attaque par déni de service, et qui a ciblé la ville de Liège cet été.

[2] L’expression est celle utilisée par Jengène Vilmer.

[3] Un rapport très récent suggère que les cyberattaques d’État à État ont doublé en trois ans.

[4] Ibid.

[5] On se réfère ici aux travaux de Nicolas Vanderbiest, qui retracent la trajectoire virale de certaines fausses nouvelles. Celle-ci doit bien souvent à l’action de ces fameux « idiots utiles », qui font exploser, souvent malgré eux, des contenus douteux dans l’espace public.

[6] Voir à ce sujet l’article de Martin Untersinger, « “MacronLeaks” : l’enquête pointe vers un piratage “simple et générique” », Le Monde, 2 juin 2017.

[7] « Présidentielle : pourquoi François Hollande redoute des cyber-attaques », Numerama, 15 février 2017.

[8] Le phénomène porte le nom d’« astroturfing ».

[9] L’auteure cite la source suivante : Richard Fletcher, Alessio Cornia, Lucas Graves et Rasmus Kleis Nielsen, « Measuring the reach of “fake news” and online disinformation in Europe », Reuters Institute/University of Oxford, Factsheet, février 2018.

[10] Les entreprises du numériques, auxquelles incombe la responsabilité de la salubrité de l’espace publique, ne savent pas tout à fait sur quel pied danser. D’un côté, Marc Zuckerberg annonçait en février 2020 que 35 000 personnes surveillaient les contenus litigieux sur Facebook et qu’un million de comptes factices étaient supprimés par jour. De l’autre, les plateformes rechignent à appuyer les arguments ici développés sur l’esprit critique des internautes. Dans l’article pour Harper’s Magazine, cité ci-dessus, Joseph Bernstein argumente ainsi : comment une entreprise comme Facebook, qui tire ses revenus de la publicité digitale, peut-elle laisser dire que les usagers ne sont que faiblement influencés par les contenus qu’ils lisent sur la plateforme, ces contenus fussent-ils des annonces publicitaires ou des fausses nouvelles ? Tout l’intérêt, pour convaincre les annonceurs, consist