Chic Planète – sur l’exposition « Toi et moi, on ne vit pas sur la même planète »
De « ne pas vivre sur la même planète » que son voisin, son ami, son ennemi ou n’importe qui, chacun d’entre nous en a fait l’expérience. Ce sentiment d’un décalage avec autrui appartient aux épreuves ordinaires de la vie. Mais si cet écart intuitif existe, on ne peut réduire son expression à un seul cadre sensible. Ne pas vivre sur la même planète peut aussi se comprendre au sens littéral, à la surface même des mots qui disent clairement l’évidence d’une fracture entre nous tous. C’est à ce malentendu et à cette incapacité à s’entendre sur une définition partagée de la planète que l’attention du philosophe Bruno Latour se porte depuis des années.
S’il nous interpelle régulièrement à travers des questions sur le mystère de la localisation de nos modes d’existence et de nos horizons politiques – Où suis-je ? Où atterrir ?… –, Latour propose ici un tour plus catégorique dans son énonciation. Le temps n’est même plus aux questions, mais à la lucidité d’un constat. Ce nouveau tour de Latour ressemble d’ailleurs à un tour de cartes, puisque le jeu prend l’allure d’un exercice de cartographie de nos manières de vivre et d’habiter la terre.

Il l’écrivait ainsi dans un texte paru dans AOC en décembre 2019, « On ne vit pas sur la même planète, un conte de Noël » : « Jamais nous n’avons été moins unis, nous les humains, sur le nom, la nature, la forme, la consistance de la planète que nous prétendons habiter ». Il y en a même qui pensent encore que la Terre est plate, comme le suggérait récemment, de manière probablement provocatrice, le cinéaste Jean-Luc Godard dans Mediapart ! Pour Latour, toutes les planètes opposées « sont en guerre ouverte les unes avec les autres ». « Il nous faudrait un autre Newton pour en calculer les interactions, mais un Newton plus alchimiste que physicien ; un Laplace qui serait aussi féru de géopolitique ; ou alors un joueur de Risk ; on pourrait aussi appeler à la rescousse l’un des scénaristes de Games of Thrones », estime-t-il.
Cett