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Ilya Yablokov : « Nulle part ailleurs qu’en Russie, les médias possèdent un tel pouvoir »

Sociologue

Auteur de livres importants sur les théories du complot et les pratiques d’autocensure en vigueur dans les pays post-socialistes, Ilya Yablokov décrypte pour AOC le processus de musellement de l’information libre en Russie, au profit d’une propagande d’État surplombante. Il expose ce cercle vicieux d’un pouvoir en proie à un biais de confirmation, qui ne consulte que des médias eux-mêmes sujets à la censure, et à plus forte raison à l’autocensure, via ce phénomène proprement russe d’adekvatnost.

«Aucun grand pays ne peut exister sans contrôle de l’information » : ainsi Margarita Simonian, rédactrice en chef du média RT – Russia Today – enterrait-elle définitivement, le 11 avril dernier[1], le statu quo qui avait pu prévaloir en Russie entre une massive propagande d’État et les quelques médias indépendants qui profitaient d’ultimes îlots de liberté. Ceux-ci subissent de plein fouet le raidissement du régime de Vladimir Poutine depuis que la Russie conduit une guerre en Ukraine. Cette dernière semaine a ainsi été marquée par une proposition d’extension du périmètre que recoupe l’expression « agent de l’étranger » en Russie, utilisée de façon de plus en plus répressive pour museler les médias russes[2].

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Ilya Yablokov est spécialiste au sein du département d’études journalistiques de l’université de Sheffield. On lui doit des études remarquables sur la désinformation, les théories du complot et les pratiques d’autocensure en vigueur dans les pays post-socialistes, sujets auxquels il a consacré de nombreux articles et deux ouvrages : Russia Today and conspiracy theories en 2021 (Routledge) et Fortress Russia Conspiracy Theories in the Post-Soviet World en 2018 (Polity Press). Il détaille ici comment le récit de la menace nazie, sur lequel se fonde l’offensive russe, est en vérité tramé par plusieurs individus et institutions qui concourent de longue date à imposer en Russie, et contre la presse libre, un empire du simulacre où « rien n’est vrai et tout est possible[3] ». BT 

On a tendance à faire reposer le déclenchement de cette guerre entre l’Ukraine et la Russie uniquement sur une décision de Vladimir Poutine, que l’on nomme parfois par la périphrase « le maître du Kremlin ». Quel dispositif plus large de propagande vient-il en réalité couronner et comment celui-ci se structure-t-il ?
Cette exagération repose en effet sur une vision tronquée de la réalité. Les médias et les spécialistes commettent de longue date l’erreur de ne s’intéresser qu’à ce q


[1] Dans l’émission de Vladimir Soloviev sur la chaîne Rossiya 1

[2] « La Douma d’État a proposé une nouvelle loi sur les “agents étrangers”. Et c’est une mauvaise nouvelle », Meduza, 25 avril 2022

[3] Peter Pomerantsev, Nothing Is True and Everything Is Possible: The Surreal Heart of the New Russia, Public Affairs, 2015

Benjamin Tainturier

Sociologue, Doctorant au médialab de SciencesPo

Notes

[1] Dans l’émission de Vladimir Soloviev sur la chaîne Rossiya 1

[2] « La Douma d’État a proposé une nouvelle loi sur les “agents étrangers”. Et c’est une mauvaise nouvelle », Meduza, 25 avril 2022

[3] Peter Pomerantsev, Nothing Is True and Everything Is Possible: The Surreal Heart of the New Russia, Public Affairs, 2015