Économie

Comment monnayer la transition écologique ?

Economiste, Sociologue

Jusque dans les années 1970, on considérait que la terre était immense, les ressources illimitées et la monnaie, encore liée à l’or à travers le dollar, rare. Aujourd’hui, on constate que la terre est petite, les ressources limitées et la monnaie abondante et illimitée. Les politiques publiques se doivent désormais d’orienter et d’accompagner les actions de transformation du secteur privé. Parmi elles, la politique monétaire a un rôle important à jouer pour que les flux financiers s’alignent sur des trajectoires bas carbone.

Les dérèglements climatiques et l’effondrement de la biodiversité sont probablement les dangers les plus graves que l’humanité ait jamais eu à affronter.

La transition écologique vise à régénérer la biodiversité qui peut l’être et à limiter les dérèglements climatiques. à défaut d’y réussir, il faut se préparer à vivre dans un environnement inhospitalier. La transition nécessite une adaptation rapide de tous les secteurs d’activité humaine et des investissements gigantesques dont le financement est problématique.

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Acteurs privés et acteurs publics doivent unir leurs efforts de transformation. Les politiques publiques ont à orienter et accompagner les actions de transformation du secteur privé. Parmi elles, la politique monétaire a un rôle important à jouer pour que les flux financiers s’alignent sur des trajectoires bas carbone.

Mais dans quelles limites, cette politique monétaire peut-elle contribuer à la transition écologique ? Un tel objectif ne va pas de soi car, à travers l’histoire, la monnaie a toujours été instituée pour financer soit des objectifs régaliens (armée, police, justice), soit des objectifs mercantiles. Jamais le financement de la préservation de la nature ou le financement du bien commun n’ont été un objectif monétaire.

À la décharge des décideurs publics, il faut dire que la question environnementale ne s’est jamais posée avec l’acuité actuelle. Jusque dans les années 1970, on considérait que la terre était immense, que les ressources étaient illimitées et que la monnaie, qui était encore liée à l’or à travers le dollar, était rare. Aujourd’hui, on constate que la terre est petite, que les ressources sont limitées et que la monnaie, de nature scripturale, est abondante et illimitée. Les fondements de ce qui constitue notre culture économique et monétaire ont été complètement inversés sans que toutes les conclusions de ce constat n’aient été tirées. Un important chemin conceptuel reste à faire.

L’intégration de l’information environnementale dans l’information économique et financière

En 2015, Mark Carney alors Gouverneur de la banque (centrale) d’Angleterre prononçait son célèbre discours sur la tragédie des horizons, le changement climatique et la stabilité financière dans lequel il recommandait, « un cadre institutionnel dans lequel les entreprises rendraient publiques des informations sur leur empreinte écologique et sur la manière dont elles gèrent leurs risques et se préparent (ou non) au monde à 2 degrés »[1] . Il soulignait la nécessité d’obtenir des indicateurs extra-financiers, environnementaux pour aider à la décision et orienter les choix économiques et financiers.

Différentes initiatives avaient déjà été prises en ce sens, par l’ONU avec les indicateurs de développement durable (ODD) ou par l’UE via la directive 2013/34 sur la publication des comptes annuels des entreprises à laquelle se sont ajoutés depuis divers règlements dont le 2020/852 portant sur la taxonomie des activités considérées comme durables.

De même, des initiatives privées visant à standardiser les normes comptables se sont multipliées. L’IASB (International Accounting Standards Board), l’organisme promouvant les normes comptables IFRS, a mis sur pieds l’ISSB (International Sustainability Standards Board) en 2021 en vue de développer des standards en matière de reporting sur la durabilité. En France, le modèle comptable CARE-TDL, en plein développement, défend une optique de soutenabilité forte en visant la protection du triple capital des entreprises (capital humain, naturel et financier).

Les banques centrales et les organismes de supervision des secteurs financiers prennent part à ces évolutions dans le cadre du réseau NGFS (Network for Greening the Financial System), depuis 2017. Ils y collaborent en vue d’analyser et prévenir les risques sur la stabilité financière accompagnant la transition, au moyen d’indicateurs économiques et financiers liés aux aléas climatiques et aux conséquences de sa dégradation.

L’incorporation de l’information environnementale à l’information économique et financière est une première étape indispensable. Mais en seconde étape, cette information environnementale va devoir également être intégrée aux opérations de politique monétaire.

L’intégration de l’information environnementale dans les banques centrales et la politique monétaire

Les banques centrales doivent passer d’une attitude passive à un engagement actif contre le dérèglement climatique. À écouter les déclarations de Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), elles y sont de moins en moins réticentes, en cernant l’enjeu non seulement du point de vue de la stabilité financière, mais également sous l’angle de la stabilité monétaire et économique au cœur de leur mandat.

Les décisions du Conseil des gouverneurs, annonçant le 4 juillet 2022, que la BCE allait « tenir compte du changement climatique dans ses achats d’obligations d’entreprises, son dispositif de garanties, ses exigences de déclaration et sa gestion des risques, conformément à son programme d’action pour le climat » sont encourageantes. Pour autant, on est encore loin d’un complet verdissement de la politique monétaire. Le discours change plus vite que l’action concrète. En charge de la stabilité monétaire et financière, elles se montrent prudentes et conservatrices et sont peu enclines à sortir de leur « dépendance au chemin emprunté »[2] jusque-là.

En théorie, il existe une large gamme d’options de verdissement des opérations de politique monétaire. Toutes ont des conséquences sur le mode d’émission de la monnaie et interpellent cette « dépendance au chemin monétaire emprunté » :

L’option consistant à verdir les opérations de refinancement des banques, en faisant dépendre leurs conditions de critères climatiques, demeure sur le chemin monétaire passé puisqu’elle préserverait la « monnaie bancaire endogène » issue du crédit [3];

L’option consistant à verdir les achats de titres acterait une bifurcation du chemin monétaire et remplacerait, en partie, le « mode bancaire de création monétaire » par un « mode acquisitif de création monétaire »;

Enfin, l’option consistant à faire contribuer la banque centrale au financement de la transition, sans contrepartie financière pour le secteur public obligerait à tracer un nouveau chemin monétaire en mobilisant un « mode volontaire de création monétaire »[4].

Verdissement des opérations de refinancement auprès des banques centrales

Le verdissement des opérations habituelles de refinancement à court terme des banques commerciales qui empruntent des liquidités auprès de la banque centrale en échange du dépôt d’une garantie (collatéral) sous forme de titres financiers est l’option la plus évidente.

Le verdissement consisterait à ajuster le taux d’intérêt de ces opérations à la baisse (Kempf, 2020)[5] : Soit, lorsque la banque commerciale présente un collatéral vert (un green bond, par exemple) en garantie, soit, en fonction du caractère durable du bilan de l’établissement de crédit[6].

Le premier choix paraît séduisant. Il fait l’objet de travaux (Oustry et al., 2020 ; Dafermos et al., 2021) et les banques centrales y sont favorables. Depuis le premier janvier 2021, la BCE accepte les « sustainability-linked bonds » comme collatéral [7],[8]. Ce choix pourrait toutefois multiplier les effets d’aubaine pour les établissements de crédit qui en viendraient à présenter systématiquement leurs “green bonds” comme collatéral et continueraient par ailleurs à financer leurs opérations traditionnelles.

Le second choix a l’avantage de sa simplicité de gestion ainsi que son caractère incitatif sur l’ensemble du bilan de l’établissement de crédit. Une modalité pourrait être d’octroyer cette réduction de taux en fonction de l’accroissement des crédits « verts » dans le portefeuille de chaque établissement de crédit afin de les inciter à une allocation « durable » » du crédit bancaire.

Les opérations de refinancement à long terme du secteur bancaire (LTRO & TLTRO) à taux d’intérêt très favorable, voire négatif, que la BCE a mis en place pour gérer la crise financière puis sanitaire, se prêteraient particulièrement bien au verdissement[9]. En particulier, les opérations ciblées (TLTRO) qui impliquaient le respect par chaque établissement de crédit de certaines conditions liées aux volumes de crédits octroyés : les transformer en E-LTRO (Ecological LTRO) reviendrait à faire porter la condition d’attribution du refinancement sur la part de crédits verts au bilan de la banque commerciale ou sur sa progression.

 Ces choix demeurent dans le chemin monétaire passé, y compris les E-LTRO, même si ces mesures (abstraction faire de leur verdissement) ont été initiées dans le cadre des opérations « non conventionnelles ». Le verdissement des conditions de refinancement à court et long terme ne changerait rien à la monnaie bancaire, les décisions d’octrois de crédit resteraient fondées sur la rentabilité financière de l’opération financée et la solvabilité de l’emprunteur. L’assise du mode bancaire de création monétaire par le crédit, de nature endogène serait préservée.

Verdissement des opérations d’achats d’actifs des banques centrales

Le verdissement des opérations d’achats d’actifs (titres de dette publique et obligations d’entreprises) par les banques centrales n’est pas l’option de verdissement la plus probable en raison du resserrement en cours des politiques monétaires, notamment pour combattre l’inflation. Toutefois, cette option reste ouverte dans la mesure où la BCE a officiellement intégré ces opérations autrefois inhabituelles dans sa boîte à outils. Elle pourrait, si les circonstances s’y prêtent, les réactiver notamment via son instrument de protection de la transmission de l’orientation de la politique monétaire (IPT) présenté le 21 juillet 2022.

Ces opérations ont constitué la majeure partie des mesures non conventionnelles que les banques centrales ont décidé de mener en réaction à la crise financière de 2008 et à ses conséquences sur les finances publiques des États membres.

Ces rachats de titres par création monétaire, décrétés par les dirigeants des banques centrales, ont consacré un « mode acquisitif de création monétaire » et le retour d’une dimension exogène dans la politique monétaire dans la mesure où c’est la banque centrale qui a fixé les montants d’achat et émis la monnaie centrale en conséquence. L’objectif de ces opérations était multiple : stabiliser la situation financière du secteur bancaire, diminuer les taux d’intérêt à long terme sur les marchés financiers pour alléger le poids des intérêts de la dette publique et de faciliter les conditions du crédit en général. Ces opérations non conventionnelles ont été poursuivies pour aider les Etats à surmonter la pandémie de Covid 19 et sont, actuellement, en passe d’être arrêtées.

Sans pouvoir aborder ici les nombreuses questions relatives aux effets redistributifs et d’inégalités qu’ont posées ces mesures, on relèvera simplement que ces opérations n’ont pas servi au financement de la transition écologique mais à pérenniser le modèle de développement économique en crise. Si les banques centrales maintenaient ces mesures non conventionnelles pour contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique, elles pourraient limiter leurs rachats de titres à des obligations vertes ou aux titres d’entreprise qui répondent strictement aux critères de durabilité attestés par leur reporting environnemental. Cette mesure a été approuvée pour les obligations d’entreprises. Ainsi, la Banque d’Angleterre va faire reposer ses achats de titres privés sur des critères écologiques.

La BCE s’était, quant à elle, montrée évasive dans le communiqué de sa révision stratégique de juillet 2021, où elle insistait sur le verdissement de ses indicateurs avant celui de ses instruments[10]. Cependant, un an plus tard, le communiqué du 4 juillet 2022 a été plus avant en annonçant que « l’Eurosystème entend décarboner progressivement ses avoirs en obligations d’entreprises selon une trajectoire conforme aux objectifs de Paris… et d’inciter les émetteurs à améliorer leur publication d’informations de débiteurs  respectant la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (Corporate sustainability reporting directive, CSRD) ».

Les implications d’un verdissement de la politique monétaire par des rachats d’actifs sont très différentes de celles du verdissement des opérations conventionnelles. Les rachats d’actifs ont, en effet, constitué une bifurcation monétaire, car ils ont transformé le traditionnel « mode bancaire de création monétaire » qui encastre la monnaie dans un prêt en un « mode acquisitif de création monétaire », qui crée la monnaie à l’occasion d’un rachat de titres. La contrepartie financière de la monnaie qui en est issue change : le titre acquis remplace la créance en attente de remboursement à l’actif du bilan de l’institution émettrice. Cette monnaie « acquisitive » n’est, de ce fait, pas sans contrepartie financière, mais elle est désencastrée de la dette ; elle libère l’ex-propriétaire, une fois le titre vendu, de tout engagement vis-à-vis de la banque centrale. Une fois le titre livré, l’opération est définitivement dénouée, la banque centrale est propriétaire du titre[11].

Comparée à la monnaie centrale bancaire provenant de l’octroi d’un prêt, qui est de nature temporaire et à court terme[12], la monnaie « acquisitive » de la banque centrale a une durée de vie plus longue, égale à la durée de vie des titres acquis. Par conséquent, cette monnaie pourrait être plus conforme au besoin de durabilité et de vision long terme qu’implique la transition écologique. Ainsi, le verdissement des achats d’actifs tournerait davantage vers l’objectif de transition écologique. Cependant, vu qu’il s’agit de « racheter » des titres déjà émis et détenus par les souscripteurs initiaux, les conditions initiales d’émission (durée et taux d’intérêt) sont, avant tout, fixées par le marché  et les principaux bénéficiaires de cette action demeureraient les ex-propriétaires, vendeurs des titres. Ce choix reste celui d’une société financiarisée impliquant une prégnance forte de la finance au sein de la société.

Contribution directe de la banque centrale au financement de la transition via la monnaie volontaire

Les options de verdissement des opérations de politique monétaire évoquées jusqu’ici sont toutes compatibles avec le cadre institutionnel actuel. Une tout autre option serait d’appeler la banque centrale à contribuer directement au financement de la transition écologique en l’autorisant à accorder des prêts ou des dons au Trésor public[13], ce qu’interdit l’article 123 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne)[14]. À la différence des options précédentes, celle-ci nous ferait sortir des sentiers balisés et constituerait la base d’un nouveau paradigme monétaire au service de la transition écologique.

Une nouvelle voie monétaire ouverte par les mesures non conventionnelles

D’une certaine manière, cette nouvelle voie a été ouverte par les banques centrales elles-mêmes avec les rachats de titres publics sur les marchés financiers dans le cadre des opérations non conventionnelles, dans la mesure où ces opérations ont conduit à une création de monnaie centrale « décrétée » par la banque centrale et désencastrée de la dette. Ces opérations, lorsqu’elles consistent en achats de titres publics (ce qui en constitue la majeure partie) sont fréquemment assimilées à une monétisation des dépenses publiques. À tort car elles ne financent pas directement le trésor public, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle elles restent compatibles avec l’article 123 du TFUE. Elles ont indéniablement facilité le financement des États en exerçant une pression à la baisse sur les taux souverains mais ne les ont pas financés directement. Ces opérations ont avant tout été menées dans l’intérêt des porteurs de titres et du secteur financier, pas dans celui du bien commun.

Un pas supplémentaire serait, à présent, d’autoriser la banque centrale à octroyer directement des crédits à taux nul ou négatif aux autorités publiques afin qu’elles puissent financer les investissements de transition. Cette option de financement bancaire ne serait pas désencastrée de la dette, mais serait soustraite aux exigences du marché puisque cette dette serait contractée par le Trésor public directement auprès de la banque centrale. Elle serait particulièrement adaptée aux investissements publics amortissables du fait que, sur le long terme, ils doivent amener une certaine rentabilité, énergétique ou économique qui permet des économies en dépense publique permettant, à leur tour, de dégager une capacité de remboursement de la dette contractée. La création de cette monnaie bancaire serait alors spécifiquement taillée pour assumer sa mission écologique.

Le prêt, même à taux nul ou négatif, n’est, en revanche, pas adapté pour financer les investissements de « régénération » de la nature qui n’apportent aucune rentabilité économique ou énergétique. La rentabilité est écosystémique. L’écosystème peut, à nouveau, rendre des services écosystémiques comme la purification de l’air, la rétention d’eau, la protection des insectes pollinisateurs, etc. Cette rentabilité est cependant non financière. C’est en réponse à l’absence de rentabilité financière et (laisser une planète viable aux générations futures) que nous considérons que la monnaie créée pour financer la « régénération de la nature »ne doit pas être remboursée. Pour cette finalité, il faut recourir à une autre option de financement direct des autorités publiques via le « don monétaire », c’est-à-dire à une « émission volontaire de monnaie centrale sans contrepartie financière et sans remboursement » directement « donnée » aux autorités publiques. La contrepartie de cette émission monétaire serait l’amélioration du bien commun au lieu d’une dette publique. Un capital financier commun serait créé pour restaurer un capital naturel commun.

Les conditions de la monnaie volontaire

La première condition d’émission de monnaie volontaire sans contrepartie financière (ni intérêt, ni remboursement, ni titre éligible à un rachat) serait son affectation à la transition écologique. Néanmoins des conditions supplémentaires seraient à prendre en considération : des conditions démocratiques, comme la prise de décision par un organe démocratique qui ne soit pas composé uniquement de fonctionnaires ou de représentants politiques mais également d’autres corps constitués dont des « défenseurs de la nature » ; des conditions économiques et financières préalables autorisant des émissions monétaires complémentaires comme le taux d’utilisation des capacités de production, le taux de chômage, le taux d’inflation ; des conditions réglementaires imposant un resserrement progressif des normes environnementales sur les produits et les services ; des normes fiscales pour éviter le recours systématique au financement direct des autorités publiques.

La monnaie volontaire servirait à financer les investissements de transition jugés non ou faiblement rentables financièrement, c’est-à-dire ceux vers lesquels la monnaie bancaire endogène, toujours à la recherche de rentabilité financière, n’ira pas. Cela concerne au premier chef des investissements (ou plus exactement des dépenses) publics non rentables, mais également ceux d’associations sans but lucratif et ceux des ménages qui ne seront pas financés par des prêts traditionnels et ne seront donc pas réalisés sans une prise en charge publique.

La permanence de la monnaie volontaire

La monnaie acquisitive et le prêt direct aux autorités publiques tendent à allonger la durée de vie de la monnaie ; la monnaie volontaire octroyée par don la rendrait permanente puisqu’elle ne serait jamais remboursée. Dans ce dernier cas, la loi du reflux monétaire[15] ne serait plus rencontrée et, si le volume émis de monnaie volontaire, dirigé dans l’économie réelle, venait à être important, il pourrait s’ensuivre, selon la théorie monétariste, une augmentation des prix et, selon la théorie keynésienne, une augmentation de la production.

Cela étant, il existe des instruments qui permettent de réduire le volume de monnaie en circulation. La législation autorise la banque centrale à exiger la constitution de réserves obligatoires par les banques afin de limiter leur capacité d’octroi de crédits, la banque centrale pourrait emprunter sur le marché financier et, bien sûr, que l’Etat pourrait prélever des impôts supplémentaires sans augmenter ses dépenses.

Parallèlement, la banque centrale devrait veiller à ce que le rapport entre le volume de monnaie permanente et le volume de monnaie temporaire en circulation soit compatible avec les évolutions conjoncturelles de manière à ce que le volume de monnaie temporaire s’adapte aux circonstances[16].

La fongibilité de la monnaie, principal obstacle au verdissement

Avec les prêts et les dons aux autorités, la primo-affectation écologique serait, par définition, la plus forte et la plus directe puisque de la monnaie serait alors créée spécialement pour être affectée au financement d’investissements écologiques.

Toutefois, les verdissements des monnaies endogène, acquisitive et même celui de la monnaie volontaire se heurtent à un obstacle identique. Que devient la monnaie au-delà de sa primo-affectation plus ou moins directe à la transition écologique ? Que devient la monnaie nouvellement créée et mise en circulation sachant qu’elle est fongible et peut acheter tout ce qui se vend, tout ce qui a un prix, indépendamment de toute considération qualitative, écologique ou sociale ? Cette monnaie est-elle vraiment écologique ? Le fléchage écologique n’agit pas au-delà de la primo-affectation de la monnaie. Il y a là un possible rebond antiécologique ! La longue durée de vie de la monnaie acquisitive et le caractère permanent de la monnaie volontaire pourraient même amplifier cet effet rebond indésirable. L’augmentation du volume de monnaie en circulation initialement fléché vers la transition écologique pourrait ainsi avoir pour conséquence d’aggraver le problème que l’on souhaite résoudre.

Institutionnaliser les monnaies complémentaires ?

Aller plus loin dans l’obligation d’affectation écologique des sommes libérées nécessiterait de recourir à des conditionnalités supplémentaires sur la monnaie en réduisant sa fongibilité de manière à pouvoir flécher un nombre plus grand d’affectations écologiques successives. Recourir aux monnaies complémentaires permettrait d’obtenir ce résultat. Elles sont utilisées « dans un réseau délimité par une contrainte d’adhésion et constitué par des acteurs économiques ayant les mêmes aspirations de transformation écologique et solidaire de leur territoire »[17].

Le dispositif de monnaie volontaire serait tout à fait compatible avec l’utilisation de monnaies complémentaires en les institutionnalisant pour créer une sphère de pouvoir d’achat « durable ». Pour ce faire, les montants de monnaie volontaire seraient, dès leur émission, convertis totalement ou partiellement, en monnaie complémentaire à la fongibilité limitée. Les sommes libérées seraient alors contraintes de circuler dans les conditions fixées dès leur émission. On pourrait, par exemple, libérer une partie des montants sous forme de monnaie régionale obligeant ainsi le bénéficiaire à recourir à des prestataires et/ou des produits géographiquement localisés ou libérer les subventions sous forme d’écochèques utilisables uniquement pour des produits renouvelables ou sous forme de chèques-service pour l’acquisition de services.

Comme l’institut d’émission décréterait des montants de monnaie volontaire à émettre, il fixerait le recours aux monnaies complémentaires. Il limiterait ainsi le problème du rebond. En revanche, un tel dispositif de conversion vers la monnaie complémentaire n’est pas transposable à la monnaie bancaire ou à la monnaie acquisitive qui, elles, sont émises dans un cadre contractuel dans lequel rien ne peut contraindre le bénéficiaire à accepter une monnaie au pouvoir libératoire limité.

Limiter la fongibilité de la monnaie par de la monnaie carbone ?

La question fondamentale est donc de limiter le caractère universellement libératoire de la monnaie afin qu’elle ne puisse plus tout acheter sans tenir compte des limites environnementales.

Idéalement, il faudrait que l’information environnementale soit systématiquement intégrée dans les mécanismes de formation des prix ; que les prix tiennent compte de l’état de l’environnement, de la disponibilité des ressources, du prix à payer pour leur renouvellement, etc. Dans le fond, c’est bien ce que Mark Carney (Cf. supra) souhaitait lorsqu’il parlait d’intégrer l’information environnementale dans l’information économique et financière.

Des propositions en ce sens émergent. Bien sûr, on pense immédiatement à la taxe sur le CO2, mécanisme fiscal par lequel une taxe est imposée à chaque unité de CO2 produite. Le but est d’embarquer un « signal » environnemental dans le prix mais, selon nous, il s’agit moins d’une information environnementale que d’une information fiscale qui d’ailleurs, sur le plan sémantique, est assez désastreuse. Le signal signifie que le consommateur doit adopter son comportement en fonction de son pouvoir d’achat. Le riche peut polluer, le pauvre doit s’en abstenir. Cette taxe est un mécanisme de régulation par le marché dont l’injustice sociale est criante.

Michel Aglietta propose une « double valorisation du carbone » [18]. Elle consiste à établir un prix non seulement pour le carbone « incorporé » aux biens polluants sur les marchés pour en dissuader la consommation, mais également pour le carbone « évité » de façon à inciter les entreprises à réaliser des investissements moins émissifs en gaz à effet de serre. Cela consisterait en un dispositif de subvention/taxe aux entreprises qui prouveraient leurs réductions d’émissions ou pas. Le différentiel de prix entre les produits des entreprises vertueuses et polluantes augmenterait d’autant plus rapidement que le différentiel d’effort serait grand et récompensé/puni. Les certificats-carbone en résultant pourraient être « rassemblés et titrisés en obligations vertes, certifiées par le processus qui les a engendrées », un dispositif qui selon Michel Aglietta siérait aux investisseurs institutionnels de long terme.

Une autre piste de réflexion serait d’intégrer l’information environnementale dans un mécanisme monétaire comme le « compte carbone individuel ». Il s’agirait d’octroyer à chacun une allocation universelle sous forme « d’unités carbone » sur un compte personnel alimenté par une institution publique chargée d’émettre et octroyer gratuitement des quotas individuels de carbone[19]. Le volume total émis par l’institution serait conforme aux plafonds collectifs annuels d’émission de carbone. Ces unités carbones sont des droits à acheter des produits et services contenant du carbone. Chaque achat de produit ou de service se ferait en payant un prix en euros et en unités carbone. Par transmissions successives au sein des filières commerciales, les unités de carbone finiraient par remonter jusqu’à l’importateur ou le producteur initial d’énergie carbonée qui aurait à les remettre à l’autorité chargée de l’émission initiale des unités. Celle-ci pourrait alors contrôler que la quantité d’unités carbone livrée s’équilibre avec la quantité d’énergie mise sur le marché [20]. Bien sûr, diverses modalités devraient accompagner cette proposition comme un système d’avance (de crédit carbone) pour « préfinancer » la production, un système d’épargne d’unités carbone, la tenue d’une comptabilité matière dans les entreprises, un contrôle des quantités mises sur le marché, etc.

Cette forme d’allocation universelle égalitaire permettrait de garantir que les quantités émises de carbone ne soient pas dépassées collectivement, tandis qu’elle garantirait un droit de tirage individuel sur une quantité d’énergie. Les contraintes environnementale et d’équité seraient simultanément rencontrées et les consommateurs désireux d’obtenir des unités supplémentaires pourraient compléter leur allocation universelle par des achats de quotas supplémentaires aux autorités dans le respect des quantités totales annuelles.

La fongibilité de la monnaie à l’origine d’effets rebonds antiécologiques serait alors réduite par l’utilisation d’une seconde monnaie non fongible avec la première car émise en unités physiques de carbone, en vue de respecter un objectif de limitation de la consommation. La monnaie, les prix et la comptabilité d’entreprises devraient intégrer ces deux dimensions et prendraient alors une forme vectorielle par laquelle chaque transaction s’effectuerait avec un prix contenant un vecteur en « euros » et un vecteur en « unités carbone »[21].

Les différentes options de verdissement de la politique monétaire tendent chacune à verdir un mode particulier d’émission monétaire, plus ou moins proche du chemin monétaire passé ou éloigné des sentiers balisés. Avec le verdissement des conditions de refinancement des banques auprès de la banque centrale, c’est la monnaie endogène qui verdirait sans s’éloigner du chemin monétaire passé. Avec le verdissement des achats d’actifs c’est la monnaie acquisitive qui prolongerait la bifurcation monétaire ouverte par les banques centrales. Avec la prise en charge directe par la banque centrale du financement de la transition écologique —ce que le cadre institutionnel actuel interdit — l’émission de monnaie sous forme de prêt gratuit ou de don (monnaie volontaire sans contrepartie financière) serait directement affectée à l’objectif écologique et créerait un paradigme monétaire écologique.

Pourtant, au-delà de la primo-affectation plus ou moins directe à l’objectif écologique de la monnaie, sa fongibilité l’expose à créer un effet rebond antiécologique.

Une moindre fongibilité de la monnaie est indispensable pour parvenir à limiter les consommations préjudiciables au climat et à la biodiversité, pour intégrer les limites environnementales dans les prix et flécher le pouvoir d’achat. Les mécanismes pigouviens de marché (taxes CO2) n’y répondent pas. Cette moindre fongibilité est caractéristique des monnaies complémentaires qui délimitent à la fois l’espace de circulation de la monnaie et son usage.

Dans un dispositif de monnaie volontaire, dont la quantité émise est fixée par l’institut d’émission, la moindre fongibilité de la monnaie pourrait être obtenue en convertissant dès son émission la monnaie volontaire en monnaie complémentaire. Ce serait alors une monnaie volontaire conditionnelle qui serait affectée à l’objectif écologique tout en limitant l’effet rebond. Ce schéma n’est pas transposable avec des monnaies bancaires endogènes et acquisitives puisque les bénéficiaires d’un crédit bancaire ou le revendeurs de titres éligibles aux achats d’actifs de la banque centrale n’ont aucune obligation de convertir leurs avoirs monétaires en monnaie complémentaire.

Il faut alors trouver comment concilier liberté individuelle et moindre fongibilité de la monnaie. Des idées ont déjà été formulées en ce sens. La monnaie « carbone » en est une, particulièrement intéressante, consistant à incorporer, intégrer, l’information environnementale dans le système monétaire et dans le système de prix.. Chacun d’entre nous disposerait ainsi d’un compte carbone comme on a un compte bancaire. Y serait déposée gratuitement une allocation carbone pour chacun au prorata de quantités déterminées pour ne pas dépasser les plafonds satisfaisant aux contraintes climatiques. La monnaie et les prix s’exprimeraient alors en deux dimensions (d’où l’expression de monnaie vectorielle), l’une en euros, l’autre en unités physiques, et chaque produit vendu aurait un double prix (l’un en euros, l’autre en unités physiques). C’est ici l’association de deux unités monétaires non fongibles entre elles qui viendrait limiter le pouvoir de prédation écologique de la monnaie.

La monnaie sortirait ainsi du chemin emprunté jusque-là, s’éloignerait des sentiers balisés pour aller vers une monnaie authentiquement écologique.


[1] Mark Carney, « Breaking the tragedy of the horizon – climate change and financial stability », Discours, Bank of England, 29 septembre 2015. Trad.fr : « Mettre fin à la tragédie des biens lointains : changement climatique et stabilité financière », par Michel Lepetit (Président de Global Warning et Vice-Président de The Shift Project).

[2] Bruno Palier, « Path dependence (Dépendance au chemin emprunté) », dans : Laurie Boussaguet éd., Dictionnaire des politiques publiques. 3e édition actualisée et augmentée. Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2010, p. 411-419.

[3] Sur le concept de monnaie endogène, on se rappellera que les mécanismes de la création monétaire ont, à travers le temps, oscillé entre deux pôles, le pôle « exogène » et le pôle « endogène ». Historiquement, c’est toujours l’Etat ou le Souverain qui ont défini l’unité de compte (franc, euro, dollar, livre, etc.). En régime de monnaie métallique, la frappe de la monnaie était une compétence régalienne, exclusivement. C’était un régime de monnaie dit « exogène » parce que la création de la monnaie dépendait de facteurs non économiques (décision du souverain, découverte et exploitation de mines, invasion, paiement ou encaissement de tributs, prises de guerre, rançons, etc.). Dans le régime contemporain de monnaie scripturale, ce sont les banques, centrales et commerciales qui créent leurs propres moyens de paiement en octroyant des crédits exprimés dans l’unité de compte. Les banques centrales (banques des banques) octroient des crédits aux banques commerciales et les banques commerciales octroient des crédits aux entreprises, aux particuliers et aux autorités publiques. Ce sont donc les crédits bancaires qui créent les unités de compte qui circulent comme monnaie. Ce sont bien des crédits qui circulent entre les banques au travers des entreprises, des particuliers et des autorités publiques. C’est ce qu’on appelle le « mode bancaire de création monétaire ». C’est un régime de « monnaie endogène » parce que la création de la monnaie dépend exclusivement de la demande de monnaie des acteurs économiques auprès du secteur bancaire. En réalité, à toutes les époques et dans tous les pays, monnaie régalienne, de nature exogène, et moyens de paiement privés basés sur le crédit commercial, de nature endogène, ont coexisté.

[4] Ces différentes options monétaires ainsi que les transformations institutionnelles qu’elles enclenchent ont fait l’objet de publications plus spécialisées auxquelles nous renvoyons le lecteur qui désire approfondir le sujet. Jézabel Couppey-Soubeyran, « Le rôle de la politique monétaire dans la transition écologique : un tour d’horizon des différentes options de verdissement », décembre 2020, Institut Veblen pour les réformes économiques, et Jézabel Couppey-Soubeyran et Pierre Delandre, La transition monétaire : Pour une monnaie au service du bien commun, mai 2021, Institut Veblen pour les réformes économiques.

[5] Hubert Kempf, « Verdir la politique monétaire », Revue d’économie politique, 2020/3 (Vol. 130), p. 311-343.

[6] Dont on imagine qu’il pourrait être attesté par le reporting environnemental prévu par la réglementation européenne.

[7] Yannis Dafermos, Daniela Gabor, Maria Nikolaidi, Adam Pawloff, Frank Val Lerven, “Greening The Eurosystem collateral framework. How to decarbonise the ECB’s monetary policy”, 10 mars 2021.

[8] Antoine Oustri, Bünyamin Erkan, Romain Svartzman, Pierre-François weber, « Climate-related risks and central banks’collateral policy: a methodological experiment », Working Paper Series no. 790, 15 décembre 2020, Banque de France.

[9] LTRO & TLTRO : Long Term Refinancing Operations &Targeted Long Term Refinancing Operations.

[10] Le communiqué de presse du 8 juillet 2021 indiquait en ce sens : [la BCE] « s’engage résolument à continuer d’intégrer les questions liées au changement climatique dans son cadre de politique monétaire, à accroître ses capacités d’analyse relatives au changement climatique dans les domaines de la modélisation macroéconomique, des statistiques et de la politique monétaire et à inclure les considérations liées au changement climatique dans ses opérations de politique monétaire en ce qui concerne la communication, l’évaluation des risques, le dispositif de garanties et les achats de titres du secteur des entreprises ».

[11] Ce qui n’est pas le cas avec les opérations classiques de prise en pension (repo’s) où un rachat à terme du titre par le vendeur initial est prévu.

[12] Classiquement, la monnaie centrale n’existe qu’à terme de quelques jours ou quelques semaines entre le moment du prêt qui la crée et le remboursement qui la détruit.

[13] Cette dernière idée a été, entre autres, proposée par N. Dufrene et A. Grandejean dans leur livre, Une monnaie écologique, Ed. Odile Jacob, février 2020 et par A. Peters dans l’étude « le don monétaire pour compléter le système monétaire », octobre 2020.

[14] Même si, formellement, il n’exclut pas la possibilité que la banque centrale fasse des dons à l’Etat. Il semble que le législateur n’ait pas pensé à cette hypothèse inimaginable. Cette « faille légistique » a d’ailleurs permis à la banque centrale d’octroyer des avances aux banques commerciales à taux d’intérêt négatif. La perte sur ces avances était une forme de don au secteur bancaire.

[15] La loi du reflux monétaire en régime de monnaie endogène décrit le fait que la monnaie initialement créée et prêtée revient toujours chez son créateur par remboursement après le cycle économique qu’elle a financé.

[16] Pour des mesures détaillées concernant la régulation de la masse monétaire en monnaie permanente, on se référera à Gabriel Galand et Alain Grandjean dans La monnaie dévoilée, chapitre V, L’Harmattan, 1996.

[17] Jérôme Blanc, « Les monnaies locales : la transition à l’échelle des territoires », dans 2030, c’est demain ! Un programme de transformation sociale-écologique, collectif Veblen, sous la dir. de Dominique Méda, Jézabel Couppey-Soubeyran, Mathilde Dupré & Wojtek Kalinowski, 25 mai 2022.

[18] Michel Aglietta, « La planification écologique doit disposer d’un instrument financier : la double valorisation du carbone », Le Monde, 27 mai 2022.

[19] Voir par exemple A. VAN DER CAM, « Designing an end-user carbon account scheme as a climate policy tool in the EU context », Mémoire de master en bioingéniérie, Louvain-la-Neuve : UCLouvain – faculté des bioingénieurs.

[20] Ce genre de contrôle est réalisé de façon routinière par l’administration des douanes.

[21] Sur le concept de monnaie vectorielle, voir Pierre Calame, Essai sur l’œconomie, Éditions Charles Léopold Mayer, 2009, pp. 514-528. Voir aussi, pour la notion de monnaie physique, Bernard LIETAER, The future of money, Ed. Random House Business, 2002.

 

 

 

Jézabel Couppey-Soubeyran

Economiste, Maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique à l'Institut Veblen

Pierre Delandre

Sociologue, Haut cadre dans le secteur bancaire public et chercheur associé à l'Etopia (Belgique)

Notes

[1] Mark Carney, « Breaking the tragedy of the horizon – climate change and financial stability », Discours, Bank of England, 29 septembre 2015. Trad.fr : « Mettre fin à la tragédie des biens lointains : changement climatique et stabilité financière », par Michel Lepetit (Président de Global Warning et Vice-Président de The Shift Project).

[2] Bruno Palier, « Path dependence (Dépendance au chemin emprunté) », dans : Laurie Boussaguet éd., Dictionnaire des politiques publiques. 3e édition actualisée et augmentée. Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2010, p. 411-419.

[3] Sur le concept de monnaie endogène, on se rappellera que les mécanismes de la création monétaire ont, à travers le temps, oscillé entre deux pôles, le pôle « exogène » et le pôle « endogène ». Historiquement, c’est toujours l’Etat ou le Souverain qui ont défini l’unité de compte (franc, euro, dollar, livre, etc.). En régime de monnaie métallique, la frappe de la monnaie était une compétence régalienne, exclusivement. C’était un régime de monnaie dit « exogène » parce que la création de la monnaie dépendait de facteurs non économiques (décision du souverain, découverte et exploitation de mines, invasion, paiement ou encaissement de tributs, prises de guerre, rançons, etc.). Dans le régime contemporain de monnaie scripturale, ce sont les banques, centrales et commerciales qui créent leurs propres moyens de paiement en octroyant des crédits exprimés dans l’unité de compte. Les banques centrales (banques des banques) octroient des crédits aux banques commerciales et les banques commerciales octroient des crédits aux entreprises, aux particuliers et aux autorités publiques. Ce sont donc les crédits bancaires qui créent les unités de compte qui circulent comme monnaie. Ce sont bien des crédits qui circulent entre les banques au travers des entreprises, des particuliers et des autorités publiques. C’est ce qu’on appelle le « mode bancaire de création monétaire ». C’est un régime de « monnaie endogène » parce que la création de la monnaie dépend exclusivement de la demande de monnaie des acteurs économiques auprès du secteur bancaire. En réalité, à toutes les époques et dans tous les pays, monnaie régalienne, de nature exogène, et moyens de paiement privés basés sur le crédit commercial, de nature endogène, ont coexisté.

[4] Ces différentes options monétaires ainsi que les transformations institutionnelles qu’elles enclenchent ont fait l’objet de publications plus spécialisées auxquelles nous renvoyons le lecteur qui désire approfondir le sujet. Jézabel Couppey-Soubeyran, « Le rôle de la politique monétaire dans la transition écologique : un tour d’horizon des différentes options de verdissement », décembre 2020, Institut Veblen pour les réformes économiques, et Jézabel Couppey-Soubeyran et Pierre Delandre, La transition monétaire : Pour une monnaie au service du bien commun, mai 2021, Institut Veblen pour les réformes économiques.

[5] Hubert Kempf, « Verdir la politique monétaire », Revue d’économie politique, 2020/3 (Vol. 130), p. 311-343.

[6] Dont on imagine qu’il pourrait être attesté par le reporting environnemental prévu par la réglementation européenne.

[7] Yannis Dafermos, Daniela Gabor, Maria Nikolaidi, Adam Pawloff, Frank Val Lerven, “Greening The Eurosystem collateral framework. How to decarbonise the ECB’s monetary policy”, 10 mars 2021.

[8] Antoine Oustri, Bünyamin Erkan, Romain Svartzman, Pierre-François weber, « Climate-related risks and central banks’collateral policy: a methodological experiment », Working Paper Series no. 790, 15 décembre 2020, Banque de France.

[9] LTRO & TLTRO : Long Term Refinancing Operations &Targeted Long Term Refinancing Operations.

[10] Le communiqué de presse du 8 juillet 2021 indiquait en ce sens : [la BCE] « s’engage résolument à continuer d’intégrer les questions liées au changement climatique dans son cadre de politique monétaire, à accroître ses capacités d’analyse relatives au changement climatique dans les domaines de la modélisation macroéconomique, des statistiques et de la politique monétaire et à inclure les considérations liées au changement climatique dans ses opérations de politique monétaire en ce qui concerne la communication, l’évaluation des risques, le dispositif de garanties et les achats de titres du secteur des entreprises ».

[11] Ce qui n’est pas le cas avec les opérations classiques de prise en pension (repo’s) où un rachat à terme du titre par le vendeur initial est prévu.

[12] Classiquement, la monnaie centrale n’existe qu’à terme de quelques jours ou quelques semaines entre le moment du prêt qui la crée et le remboursement qui la détruit.

[13] Cette dernière idée a été, entre autres, proposée par N. Dufrene et A. Grandejean dans leur livre, Une monnaie écologique, Ed. Odile Jacob, février 2020 et par A. Peters dans l’étude « le don monétaire pour compléter le système monétaire », octobre 2020.

[14] Même si, formellement, il n’exclut pas la possibilité que la banque centrale fasse des dons à l’Etat. Il semble que le législateur n’ait pas pensé à cette hypothèse inimaginable. Cette « faille légistique » a d’ailleurs permis à la banque centrale d’octroyer des avances aux banques commerciales à taux d’intérêt négatif. La perte sur ces avances était une forme de don au secteur bancaire.

[15] La loi du reflux monétaire en régime de monnaie endogène décrit le fait que la monnaie initialement créée et prêtée revient toujours chez son créateur par remboursement après le cycle économique qu’elle a financé.

[16] Pour des mesures détaillées concernant la régulation de la masse monétaire en monnaie permanente, on se référera à Gabriel Galand et Alain Grandjean dans La monnaie dévoilée, chapitre V, L’Harmattan, 1996.

[17] Jérôme Blanc, « Les monnaies locales : la transition à l’échelle des territoires », dans 2030, c’est demain ! Un programme de transformation sociale-écologique, collectif Veblen, sous la dir. de Dominique Méda, Jézabel Couppey-Soubeyran, Mathilde Dupré & Wojtek Kalinowski, 25 mai 2022.

[18] Michel Aglietta, « La planification écologique doit disposer d’un instrument financier : la double valorisation du carbone », Le Monde, 27 mai 2022.

[19] Voir par exemple A. VAN DER CAM, « Designing an end-user carbon account scheme as a climate policy tool in the EU context », Mémoire de master en bioingéniérie, Louvain-la-Neuve : UCLouvain – faculté des bioingénieurs.

[20] Ce genre de contrôle est réalisé de façon routinière par l’administration des douanes.

[21] Sur le concept de monnaie vectorielle, voir Pierre Calame, Essai sur l’œconomie, Éditions Charles Léopold Mayer, 2009, pp. 514-528. Voir aussi, pour la notion de monnaie physique, Bernard LIETAER, The future of money, Ed. Random House Business, 2002.