Numérique

Les masques de la méchanceté 2.0

Sémiologue

La récente condamnation par la justice des harceleurs de la chroniqueuse Nadia Daam offre l’occasion de s’interroger sur les mécanismes à l’œuvre dans ce type de comportements. Faire le mal en ligne et agir en « troll » est facilité par l’anonymat, qui déresponsabilise les internautes et favorise ainsi trois sinistres instincts : le plaisir de diviser, de salir, et le désir d’anéantir.

Le 5 juillet a été rendue une décision de justice qui pourrait être un tournant dans la lutte contre cette maladie endémique qui ronge internet : la haine. Nadia Daam, chroniqueuse sur Europe1 et Arte, a eu la bonne idée de poursuivre devant les tribunaux des internautes qui l’avaient menacée de mort à la suite de l’une de ses interventions radiophoniques dans laquelle elle dénonçait la bêtise des propos sexistes tenus et propagés sur le forum « 18-25 ans » de jeuxvideo.com, site qui traite de biens d’autres sujets que ceux qu’il annonce. Comme le notait la journaliste : « C’est un forum qui, comme son nom ne l’indique pas, ne traite pas tellement de jeux vidéo et n’est pas vraiment alimenté par des personnes âgées de 18 à 25 ans mais par des gens dont la maturité cérébrale n’a visiblement pas excédé le stade embryonnaire ». Elle qualifie également ce forum de « poubelle à déchets non recyclables ». Finalement, deux membres du « forum » ont été condamnés à six mois de prison avec sursis.

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Les attaques dont a été victime Nadia Daam sont malheureusement monnaie courante sur internet. Elles visent en priorité des gens connus, mais il suffit de lire les commentaires sur un forum ou sous certaines vidéos partagées sur Youtube pour rencontrer des atteintes plus anodines.

Si de tels comportements sont possibles, c’est d’abord parce que le fait de juger autrui est devenu une activité aussi répandue qu’ordinaire – « ça juge tout le temps ! » notait Foucault [1] – mais c’est surtout parce que, sur internet, ce jugement peut s’exercer en toute impunité grâce à l’anonymat. L’internaute s’avance masqué et adresse calmement des lettres anonymes, qui, par le biais des réseaux sociaux, deviennent des lettres ouvertes.

Le grand mérite de Nadia Daam est d’avoir rappelé par son action que cet anonymat n’existe que tant que l’on ne remonte pas aux adresses IP, puis des adresses IP à la personne physique. La démarche est difficile dans la mesure où elle dépend de la bonne volo


[1] «Le philosophe masqué» (entretien avec C. Delacampagne, février 1980), Le Monde, n° 10945, 6 avril 1980

[2] Antonio A. Casilli, Les Liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ?, Paris, Seuil, 2010,  p. 319.

[3] Dan Sperber et Deirdre Wilson, La Pertinence, trad. franç., Minuit, 1986.., p. 51

[4] Vladimir Jankélévitch, L’Innocence et la méchanceté, Flammarion, 1986, p. 116. – p. 123.

[5] Pierre-André Taguieff, L’Illusion populiste. De l’archaïque au médiatique », Berg international editeurs, 2002, p. 103.

[6] Pensées diverses II– Fragment n° 5 / 37.

François Jost

Sémiologue, Professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle-Paris 3

Notes

[1] «Le philosophe masqué» (entretien avec C. Delacampagne, février 1980), Le Monde, n° 10945, 6 avril 1980

[2] Antonio A. Casilli, Les Liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ?, Paris, Seuil, 2010,  p. 319.

[3] Dan Sperber et Deirdre Wilson, La Pertinence, trad. franç., Minuit, 1986.., p. 51

[4] Vladimir Jankélévitch, L’Innocence et la méchanceté, Flammarion, 1986, p. 116. – p. 123.

[5] Pierre-André Taguieff, L’Illusion populiste. De l’archaïque au médiatique », Berg international editeurs, 2002, p. 103.

[6] Pensées diverses II– Fragment n° 5 / 37.