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Il faut historiciser l’actualité ! Face à la complexité du monde 2/2

Politiste

Les élections au Cambodge, au Zimbabwe ou encore au Mali, les violences au Nicaragua ou au Venezuela, Viktor Orban en Israël, Aung San Suu Kyi et les Rohingya… Comment appréhender ces événements des derniers mois sans faire de raccourcis et d’amalgames ? En pratiquant une sociologie résolument historique.

Les premiers cas que j’ai exposé – les dernières élections au Zimbabwe et au Mali – suggèrent déjà que l’anatomie de la domination, et notamment l’économie politique de la coercition[1], dans des situations historiques concrètes, sont plus instructives que les platitudes sur la gouvernance ou la démocratie. C’est ce que confirment deux autres événements de l’été : l’élection présidentielle au Cambodge, le 29 juillet, et l’exacerbation de la contestation (et de sa répression) au Nicaragua.

Dans les deux cas, nous sommes en présence d’une situation thermidorienne[2]. Une élite politique, installée au pouvoir par la grâce d’une mobilisation révolutionnaire d’orientation socialiste, celle-ci fût-elle militaire ou insurrectionnelle – respectivement celle des communistes cambodgiens initialement formés par le Parti communiste vietnamien, devenus Khmers rouges, avant, pour certains d’entre eux, dont Hun Sen, de revenir dans le giron de Hanoï ; et celle des sandinistes – se convertit au néolibéralisme pour se maintenir au pouvoir, et fait alliance avec le capitalisme étranger tout en gardant le contrôle de l’appareil coercitif d’État.

Une telle situation thermidorienne se retrouve dans la Russie postsoviétique, en Chine, au Vietnam, mais aussi en Iran, et elle se dessine à Cuba. Derechef, le contrôle de l’État garantit celui de l’économie, toujours selon cette même logique du chevauchement entre différentes positions d’influence et d’autorité. Et le partenariat public-privé, cher aux néolibéraux, fait merveille, éventuellement sous les atours de l’institution islamique du waqf [3]. Encore faut-il souligner qu’il s’agit moins d’un retrait de l’État[4] que de sa reconfiguration, sous la forme de sa privatisation[5]. Cette dernière est évidemment indissociable, aujourd’hui, du capitalisme avancé, et notamment financier, même si sa composante foncière demeure beaucoup plus déterminante qu’on ne le dit habituellement. Cependant elle renoue avec la formation de l’État du Premier Âge moderne, puis de la période classique, qui reposait sur ce même brouillage des sphères du public et du privé, non pas seulement parce que ces États étaient généralement dynastiques, mais aussi parce que leur administration était déléguée à des opérateurs privés, dont les fermiers généraux de l’Ancien Régime français, voire parce qu’ils émanaient d’acteurs privés, comme dans les Provinces-Unies[6].

Julia Adams a avancé, à propos de ces dernières, le concept d’État familial[7]. La notion est éclairante pour la période contemporaine, et notamment pour les événements qui ont défrayé la chronique internationale de l’été. L’État, au Cambodge et au Nicaragua, est un État familial, que cimentent des alliances matrimoniales et des fratries – ce que Giovanni Levi nomme des fronts de parenté[8] dans le contexte du Piémont du 17e siècle, une notion que reprend Lynn Hunt au sujet du Thermidor de la Révolution française[9] –, tout comme le sont la République islamique d’Iran ou la domination du Parti communiste en Chine.

Ces différents concepts ne prétendent pas subsumer la diversité des situations historiques qu’ils explorent.

La succession, sinon dynastique, du moins matrimoniale, était à l’ordre du jour au Zimbabwe, avant la révolution de palais de 2017 qui l’a conjurée. Elle préside aux destinées de la Corée du Nord. Les grands lignages historiques, à commencer par celui des Keïta, continuent de structurer la classe dominante malienne. Le président de la République de Turquie, Recep Tayyip Erdogan, a un gendre, Berat Albayrak, pour bras droit. Et certaines des grandes démocraties contemporaines relèvent peu ou prou de cette catégorie de l’État familial : les États-Unis, avec les lignages des Kennedy et des Bush, ou le rôle de la parenté de Donald Trump dans son administration ; l’Inde, avec la dynastie des Nehru.

Ces différents concepts ne prétendent pas subsumer la diversité des situations historiques qu’ils explorent. Bien au contraire, ils interviennent comme des opérateurs d’individualisation et dressent l’inventaire des différences[10]. En l’occurrence celles de l’historicité propre des sociétés.

D’une part, ces dernières s’approprient les dynamiques dites globales, y compris celles de la libéralisation économique, ainsi que l’ont démontré la mise en concurrence de la téléphonie mobile au Maroc[11], les relations sino-taiwanaises[12], les réformes de Deng Xiao Ping[13] ou l’implantation d’Internet en Chine[14], l’attribution des partenariats public-privé et des concessions forestières ou autres aux hiérarques néo-communistes  du régime de Hun Sen au Cambodge[15].

D’autre part, des concepts identiques recouvrent des réalités politiques et historiques disparates dont ils permettent de mettre en lumière des logiques qui échappent au débat public, ou que celui-ci distord en recourant à des notions inappropriées – telles que celle de la corruption, qui peut intéresser le citoyen ou l’homme de religion, mais non l’analyste –, tout en dégageant leur singularité. Le fait que les États-Unis, l’Inde, le Nicaragua, l’Iran, le Cambodge, la Chine, la Corée du Nord aient institué des États familiaux ne permet pas de les confondre pour autant. Donald Trump n’est pas Daniel Ortega, ni Ali Khamenei, ni Hun Sen. La famille, dont procèdent ces différents États, est par ailleurs une institution sociale qui comporte elle aussi son historicité propre, chargée de représentations, de symboliques, d’affectivité d’ordre culturel, religieux ou économique fort hétérogènes.

De la même manière, deux régimes latino-américains dont la violence a retenu l’attention des médias cet été, et que l’on classe volontiers dans la même rubrique des « populismes de gauche », ceux du Nicaragua et du Venezuela, sont les produits de trajectoires historiques distinctes. Le régime sandiniste est issu d’une lutte armée, et l’objectif des révolutionnaires thermidoriens est de se perpétuer au pouvoir, à l’instar des Conventionnels de la Révolution française qui avaient survécu à la Terreur, grâce à un savant mélange d’élections et de coercition. Le régime chaviste et néo-chaviste participe de la même volonté, mais n’est pas à proprement parler thermidorien car il ne s’inscrit pas dans la continuité d’une vraie révolution, en dépit de sa logorrhée, tout au plus dans celle d’une révolution passive, selon le terme que Gramsci emprunta à Vincenzo Cuoco à propos de la révolution « sans le peuple » ou de la « révolution manquée » de Naples, en 1799.

Toutes ces péripéties des derniers mois acèrent à juste titre les plumes, mais pas forcément pour les bonnes raisons.

Si l’on suit l’analyse passionnante de Rafael Sanchez[16], Chavez fut plutôt l’héritier du jacobinisme bolivarien qui avait permis de tenir à l’écart de la République – née de la dislocation de l’empire colonial espagnol, en 1810, à la suite de l’occupation par Napoléon de la péninsule ibérique – la masse populaire, mobile et armée, des pardos et autres sangs mêlés que l’ancien régime avait engendrée, notamment dans les plaines (llanos), sans pour autant la reconnaître politiquement dans son pacte, et qui flottait dans les marges dangereuses du sistema de castes. En 1804, l’indépendance d’Haïti démontra d’ailleurs de quoi était lourde la colère des esclaves et des déshérités dans les Caraïbes, ce dont Bolivar put se rendre compte de visu lors de son séjour, en 1815. En butte à la même menace sociale qui pesait toujours sur une République vénézuélienne outrageusement censitaire, après l’éclatement de la Grande Colombie, en 1830, et en proie aux affrontements militaires entre fédéralistes et centralisateurs, les libéraux ont exhumé la mythologie bolivarienne à partir des années 1840. La dictature d’Antonio Guzman Blanco, dans les années 1870, l’a transformée en véritable appareil idéologique d’État, en gouvernementalité monumentale[17], à l’abri de laquelle a pu s’effectuer la concentration agraire, à la fin du 19e siècle, souvent au profit des vétérans des guerres civiles.

Autrement dit, la célébration de l’État, de ses héros fondateurs et de son peuple a été inversement proportionnelle à sa capacité d’intégration politique et sociale de la plèbe. Hugo Chavez et son piètre successeur, Nicolas Maduro, sont les héritiers directs de cette histoire, et ont repris à leur compte ce vieux répertoire de la théâtralité bolivarienne qui oscille entre la trivialité et l’emphase, et qui exalte l’abstraction du Peuple pour mieux tenir à distance le peuple effectif.

Au fond, l’histoire du Venezuela, au lieu de la continuité thermidorienne d’une élite révolutionnaire, nous parle du passage d’une domination impériale ultramarine et décentralisée, tant dans ses relations entre la métropole et ses possessions qu’à l’échelle des provinces elles-mêmes, à la formation d’un État-nation centralisateur, et producteur de l’inégalité agraire des haciendas. Nonobstant les relations détestables qu’entretiennent Caracas et Bogota, elle renvoie peut-être plutôt à la trajectoire de la Colombie voisine, dont les institutions et le style politique sont certes radicalement autres, mais où l’État a été (et demeure) également la matrice de l’inégalité agraire, par le biais d’un gouvernement dans la violence[18], fût-ce sous la forme d’une privatisation de cette dernière à l’initiative de forces paramilitaires ou de mouvements armés. Là où il apparaît que Jean-Luc Mélenchon devrait lire un peu plus de sociologie historique avant de déclarer sa flamme bolivarienne…

Le comparatisme de la sociologie historique consiste souvent à établir de telles connexions ponctuelles et paradoxales. Or, ces dernières ont un sens politique direct, qui n’est pas nécessairement celui que leur reconnaissent le sens commun ou les polémiques. Jean-Luc Mélenchon prenant la défense de Nicolas Maduro, ce dernier se rendant, de pair avec Viktor Orban et Dmitri Medvedev, à la prise de fonctions de Recep Tayyip Erdogan fraîchement réélu au premier tour dans les habits de sa nouvelle Constitution, Donald Trump réservant à Kim Jong-Un les amabilités qu’il avait refusées à ses alliés lors du Sommet du G 7, les 8 et 9 juin – toutes ces péripéties des derniers mois acèrent à juste titre les plumes, mais pas forcément pour les bonnes raisons.

Ainsi, l’accueil chaleureux réservé à Viktor Orban en Israël, du 18 au 20 juillet, a pu dérouter, d’autant plus que le chancelier autrichien Sebastian Kurz, allié à l’extrême-droite, l’avait précédé de quelques jours et avait bénéficié lui aussi de marques de sympathie appuyées de la part d’un Benjamin Nétanyahou toujours prompt à dénoncer l’antisémitisme, et à lui assimiler toute critique de sa politique étrangère. En réalité, la complicité troublante entre « Bibi » et le pourfendeur du Juif Soros ne fait que révéler la congruence des deux hommes dans leur définition ethnoreligieuse de la citoyenneté, au moment précis où Israël s’institue en État juif par la loi si bien dite « de l’État-nation », votée le 19 juillet par la Knesset, au grand dam de ses citoyens non juifs, Druzes et Arabes, musulmans ou chrétiens. De même, la politique anti-migratoire des deux hommes est de la même encre historique.

Mieux que le moralisme, la sociologie historique permet ainsi de comprendre l’ambivalence politique qui nimbe les situations de prime abord dichotomiques, voire manichéennes.

« A Jérusalem, Viktor Orban reçu par son double », a titré le quotidien Libération, le 19 juillet. Peut-être ne croyait-il pas si bien dire. Car cette convergence n’est pas que conjoncturelle, et la manifestation de l’« illibéralisme » immédiatement contemporain. Elle participe d’une histoire commune plus ancienne, celle, derechef, du passage de l’empire à l’État-nation, dont l’ingénierie de base a été la purification ethnique[19]. Allemand de famille juive, Victor Klemperer l’avait compris dès les années 1930, avant de devenir le meilleur analyste de la langue politique du Troisième Reich : « Pour moi, les sionistes qui prétendent renouer avec l’État juif de 70 p.c. (destruction de Jérusalem par Titus) sont tout aussi écoeurants que les nazis. Avec leur manie de fouiner dans les liens du sang, leurs vieilles ‘racines culturelles’, leur désir mi hypocrite, mi borné de revenir aux origines du monde, ils sont tout à fait semblables aux nazis », écrivait-il dans son journal, peu après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, une sentence terrible qu’il reprendra à plusieurs reprises jusqu’en 1945, et dont la profondeur de vues nous est devenue insoutenable[20].

Le lecteur pressé protestera haut et fort. Israël n’a pas exterminé plusieurs millions de Palestiniens, n’a jamais eu l’intention de le faire, et selon toute vraisemblance ne voudra jamais le faire, quelle que soit la dureté de son occupation et de sa répression. Dont acte. Toute purification ethnique n’est pas d’ordre génocidaire. Mais le propos de Victor Klemperer n’intervient pas à ce niveau premier de comparaison. Il se borne à rappeler la matrice commune qui a porté le national-socialisme et le sionisme, avec beaucoup d’autres avatars du nationalisme. Chacun de ceux-ci a sa singularité historique, et la comparaison fonctionne bien comme un « opérateur d’individualisation » en rendant évidente la chose. Il n’empêche qu’elle rappelle aussi, dans la perspective de la sociologie historique, les affinités politiques que partagent les différentes moutures de l’État-nation depuis le 19e siècle.

C’est cette même logique post-impériale et nationale de la définition ethnoreligieuse de la citoyenneté que nous avons vu se perpétuer ces derniers mois en Birmanie, au détriment des Rohingya, dans les débris du colonialisme britannique et des royaumes ou empires précoloniaux – ou aussi bien au Sri Lanka[21]. De ce point de vue, la déception des adeptes de l’irénisme démocratique à l’encontre de leur idole Aung San Suu Kyi est mal venue. Cette dernière est la digne fille de son père, Aung San (1915-1947), assassiné deux ans après sa naissance, et grande figure du nationalisme birman dont la juste cause l’a amené à collaborer successivement avec le mouvement communiste international, le militarisme japonais et le Raj britannique. Au-delà du calcul politique que l’on prête à la « Lady » – se taire à propos des Rohingya pour éviter la restauration du régime des généraux – il est probable que celle-ci partage largement leur conception de la nation birmane et leur aversion à l’encontre des musulmans, sans compter que l’Arakan est devenu un corridor stratégique pour le grand allié chinois et un enjeu économique et diplomatique considérable.

Ce qui se passe à la frontière bangladeshi-birmane est le pendant de la remise en cause, par le gouvernement nationaliste de l’Assam, de la citoyenneté indienne de quelque quatre millions de Bengalais musulmans qui s’y sont installés dans le cadre du Raj britannique et y sont demeurés après la Partition de 1947, ou s’y sont réfugiés au moment de la guerre de sécession du Pakistan oriental, en 1971.

Mieux que le moralisme, la sociologie historique permet ainsi de comprendre l’ambivalence politique qui nimbe les situations de prime abord dichotomiques, voire manichéennes. L’ambivalence est inhérente au kairos, l’art de saisir les opportunités, qui est celui de la politique – l’art du possible selon une formule fameuse –, et dont se targuaient, par exemple, les républicains radicaux français, en particulier Gambetta, hommes de conviction et de courage s’il en fut, quand ils se qualifiaient eux-mêmes d’ « opportunistes » et se déclaraient en faveur d’une République « transactionnelle », en lieu et place du Second Empire. Cette auto-qualification des radicaux de la Troisième République est intéressante parce qu’elle nous rappelle que le passage de l’empire à l’État-nation n’est jamais aussi linéaire que ne le suggère la construction de ces deux types-idéaux de la domination politique. Une société peut osciller entre ceux-ci, à l’instar de la Bosnie-Herzégovine post-ottomane[22], ou les faire coexister, à l’image du Maroc[23].

L’essentiel est de problématiser l’historicité politique des sociétés, sans négliger l’expérience effective qu’en ont leurs acteurs.

Mais cette aune d’analyse du passage de l’empire à l’État-nation est, à mon sens, l’une des contributions majeures de la sociologie historique du politique, depuis une dizaine ou une vingtaine d’années. Son approche a, par exemple, renouvelé notre compréhension de la Turquie contemporaine en restituant les continuités que celle-ci entretient avec l’Empire ottoman, en éclairant d’un jour nouveau les modalités de la domination de ce dernier, et en relativisant la pertinence de la thèse classique de l’autonomie de l’État-Papa (Devlet Baba) par rapport à la société, sans pour autant s’égarer dans les considérations oiseuses sur le néo-ottomanisme de Recep Tayyip Erdogan[24].

Il est d’ailleurs remarquable que quelques-unes des grandes figures fondatrices de la sociologie historique et comparée du politique aient été les contemporains, et les observateurs avisés, du passage de l’empire à l’État-nation, à l’échelle européenne comme à l’échelle mondiale. Ainsi de Max Weber, Otto Hintze, Karl Polanyi, Edward P. Thompson, entre autres. Après la Seconde Guerre mondiale, les sciences sociales du politique ont pareillement été concomitantes de la décolonisation, qui a contribué à les façonner à partir de territoires emblématiques, notamment l’Inde et l’Afrique australe et centrale pour la Grande-Bretagne, l’Algérie pour la France, et dans le contexte dramatique de la Guerre froide.

Néanmoins, le débat public peine à appréhender les logiques constitutives de cette séquence historique dont nous ne sommes pas sortis, nonobstant le discours ambiant sur la globalisation. La tragédie du Moyen et du Proche-Orient, la résurgence de la situation autoritaire en Turquie, la crispation identitaire en Europe centrale, au sein même de l’Union européenne, le feu qui continue de couver dans les Balkans, la récurrence des mouvements armés d’orientation religieuse [25] dans le Sahel – autant de phénomènes que nous commentons dans leur dispersion apparente, au prix de notre incapacité à y apporter une réponse politique autre que militaire et sécuritaire – recèlent en réalité une cohérence d’ensemble : celle que confère le passage de l’empire à l’Etat-nation, dans le cadre de la mondialisation de ces deux derniers siècles.

Pour ma part, j’ai proposé de conceptualiser cette cohérence sous la forme d’une triangulation entre trois dynamiques généralement posées comme contradictoires, et qui pourtant constituent bel et bien une combinatoire, une synergie : des dynamiques d’intégration mondiale, d’ordre financier, économique, migratoire, technologique, culturel, religieux et autres ; l’universalisation concomitante de l’État-nation comme forme légitime d’organisation et de souveraineté politique ; le développement simultané d’idéologies particularistes et identitaristes, telles le communalisme en Inde, le confessionnalisme au Liban, l’ethnicité en Afrique, les thèses racialistes en Occident, et toutes les moutures de la définition ethnoreligieuse de la citoyenneté[26]. Pour provocant qu’il soit, le concept de national-libéralisme[27] permet, me semble-t-il, de saisir ce qui rassemble des personnages aussi différents que Donald Trump, Teresa May, Emmanuel Macron, Matteo Salvini, Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, ou les inimitiés complémentaires entre les sionistes et les nationalistes palestiniens, entre Daech et le gouvernement irakien, entre les laïcistes et les salafistes en France, pour s’en tenir à quelques exemples.

Mais peu importe les concepts auxquels on recourt. L’essentiel est de problématiser l’historicité politique des sociétés, sans négliger l’expérience effective qu’en ont leurs acteurs, leur conscience politique, leur subjectivité, sans non plus répugner au cynisme heuristique – une qualité analytique de meilleur aloi que les conceptions bisounours de la cité pour lesquelles l’affliction ou la déploration tiennent lieu de compréhension.

Cet article est la suite de l’analyse publiée hier, mercredi 5 septembre 2018.


[1] Béatrice Hibou, La Force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006 et Anatomie politique de la domination, Paris, La Découverte, 2011.

[2] Jean-François Bayart « Le concept de situation thermidorienne : régimes néo-révolutionnaires et libéralisation économique », Questions de recherche/Research in Question, 24, mars 2008, pp. 1-76.

[3] Fariba Adelkhah, Les Mille et une frontières de l’Iran. Quand les voyages forment la nation, Paris, Karthala, 2012.

[4] Susan Strange, The Retreat of the State. The Diffusion of Power in the World Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.

[5] Béatrice Hibou, dir. La Privatisation des Etats, Paris, Karthala, 1999.

[6] John Brewer, The Sinews of Power. War, money and the English State. 1688-1783, Londres, Routledge, 1994 ; Daniel Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984 ; Philippe Minard, La Fortune du colbertisme. Etat et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998.

[7] Julia Adams, The Familial State. Ruling Families and Merchant Capitalism in Early Modern Europe, Ithaca, Cornell University Press, 2005.

[8] Giovanni Levi, Le Pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1989.

[9] Lynn Hunt, Politics, Culture and Class in the French Revolution, Berkeley, University of California Press, 1984.

[10] Paul Veyne, L’Inventaire des différences, Paris, Le Seuil, 1976.

[11] Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, “De la friture sur la ligne des réformes. La libéralisation des télécommunications au Maroc”, Critique internationale, 14, janvier 2002, pp. 91-118.

[12] Françoise Mengin, Fragments d’une guerre inachevée. Les entrepreneurs taiwanais et la partition de la Chine, Paris, Karthala, 2013.

[13] Jean-Louis Rocca, La Condition chinoise. La mise au travail capitaliste à l’âge des réformes (1978-2004), Paris, Karthala, 2006.

[14] Séverine Arsène, Internet et politique en Chine, Paris, Karthala, 2011.

[15] Béatrice Hibou, « Cambodge : quel modèle concessionnaire ? », Paris, Fasopo, 2004

[16] Rafael Sanchez, Dancing Jacobins. A Venezuelan Genealogy of Latin American Populism, New York, Fordham University Press, 2016.

[17] Ibid

[18] Jacobo Grajales, Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie, Paris, Karthala, 2016.

[19] Jean-François Bayart, L’Impasse national-libérale. Globalisation et repli identitaire, Paris, La Découverte, 2017.

[20]  Victor Klemperer, Mes Soldats de papier. Journal, 1933-1941 et Je veux témoigner jusqu’au bout. Journal, 1942-1945, Paris, Editions du Seuil, 2000, p. 118. Voir aussi pp. 218, 356, 438, 440-441, 668.

[21] Jacques Bertrand, Alexandre Pelletier, « Violent Monks in Myanmar: Scapegoating and the Contest for Power », Nationalism and Ethnic Politics, 23, 2017, pp. 257–279.

[22] Xavier Bougarel, Survivre aux empires. Islam, identité nationale et allégeances politiques en Bosnie-Herzégovine, Paris, Karthala, 2015.

[23] Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, “Une lecture wébérienne de la trajectoire de l’Etat au Maroc”, Sociétés politiques comparées, 37, septembre-décembre 2015

[24] Marc Aymes, Benjamin Gourisse, Elise Massicard, dir., L’Art de l’Etat en Turquie. Arrangements de la politique publique de l’Etat ottoman à nos jours, Paris, Karthala, 2014 et Benjamin Gourisse, La Violence politique en Turquie. L’Etat en jeu (1975-1980), Paris, Karthala, 2014.

[25] Jean-François Bayart, Violence et religion en Afrique, Paris, Karthala, 2018.

[26] Jean-François Bayart, Le Gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004 et L’Illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996 (nouvelle édition augmentée dans la collection « Pluriel », 2018).

[27] Jean-François Bayart, L’Impasse national-libérale, op. cit. et Sortir du national-libéralisme. Croquis politiques des années 2004-2012, Paris, Karthala, 2012.

Jean-François Bayart

Politiste, Professeur à l'IHEID de Genève titulaire de la chaire Yves Oltramare "Religion et politique dans le monde contemporain"

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Notes

[1] Béatrice Hibou, La Force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006 et Anatomie politique de la domination, Paris, La Découverte, 2011.

[2] Jean-François Bayart « Le concept de situation thermidorienne : régimes néo-révolutionnaires et libéralisation économique », Questions de recherche/Research in Question, 24, mars 2008, pp. 1-76.

[3] Fariba Adelkhah, Les Mille et une frontières de l’Iran. Quand les voyages forment la nation, Paris, Karthala, 2012.

[4] Susan Strange, The Retreat of the State. The Diffusion of Power in the World Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.

[5] Béatrice Hibou, dir. La Privatisation des Etats, Paris, Karthala, 1999.

[6] John Brewer, The Sinews of Power. War, money and the English State. 1688-1783, Londres, Routledge, 1994 ; Daniel Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984 ; Philippe Minard, La Fortune du colbertisme. Etat et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998.

[7] Julia Adams, The Familial State. Ruling Families and Merchant Capitalism in Early Modern Europe, Ithaca, Cornell University Press, 2005.

[8] Giovanni Levi, Le Pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1989.

[9] Lynn Hunt, Politics, Culture and Class in the French Revolution, Berkeley, University of California Press, 1984.

[10] Paul Veyne, L’Inventaire des différences, Paris, Le Seuil, 1976.

[11] Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, “De la friture sur la ligne des réformes. La libéralisation des télécommunications au Maroc”, Critique internationale, 14, janvier 2002, pp. 91-118.

[12] Françoise Mengin, Fragments d’une guerre inachevée. Les entrepreneurs taiwanais et la partition de la Chine, Paris, Karthala, 2013.

[13] Jean-Louis Rocca, La Condition chinoise. La mise au travail capitaliste à l’âge des réformes (1978-2004), Paris, Karthala, 2006.

[14] Séverine Arsène, Internet et politique en Chine, Paris, Karthala, 2011.

[15] Béatrice Hibou, « Cambodge : quel modèle concessionnaire ? », Paris, Fasopo, 2004

[16] Rafael Sanchez, Dancing Jacobins. A Venezuelan Genealogy of Latin American Populism, New York, Fordham University Press, 2016.

[17] Ibid

[18] Jacobo Grajales, Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie, Paris, Karthala, 2016.

[19] Jean-François Bayart, L’Impasse national-libérale. Globalisation et repli identitaire, Paris, La Découverte, 2017.

[20]  Victor Klemperer, Mes Soldats de papier. Journal, 1933-1941 et Je veux témoigner jusqu’au bout. Journal, 1942-1945, Paris, Editions du Seuil, 2000, p. 118. Voir aussi pp. 218, 356, 438, 440-441, 668.

[21] Jacques Bertrand, Alexandre Pelletier, « Violent Monks in Myanmar: Scapegoating and the Contest for Power », Nationalism and Ethnic Politics, 23, 2017, pp. 257–279.

[22] Xavier Bougarel, Survivre aux empires. Islam, identité nationale et allégeances politiques en Bosnie-Herzégovine, Paris, Karthala, 2015.

[23] Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, “Une lecture wébérienne de la trajectoire de l’Etat au Maroc”, Sociétés politiques comparées, 37, septembre-décembre 2015

[24] Marc Aymes, Benjamin Gourisse, Elise Massicard, dir., L’Art de l’Etat en Turquie. Arrangements de la politique publique de l’Etat ottoman à nos jours, Paris, Karthala, 2014 et Benjamin Gourisse, La Violence politique en Turquie. L’Etat en jeu (1975-1980), Paris, Karthala, 2014.

[25] Jean-François Bayart, Violence et religion en Afrique, Paris, Karthala, 2018.

[26] Jean-François Bayart, Le Gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004 et L’Illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996 (nouvelle édition augmentée dans la collection « Pluriel », 2018).

[27] Jean-François Bayart, L’Impasse national-libérale, op. cit. et Sortir du national-libéralisme. Croquis politiques des années 2004-2012, Paris, Karthala, 2012.