Marges et pouvoir dans l’espace (post-) ottoman

Historien et politiste

L’histoire de l’empire Ottoman a été, de façon surprenante, déterminée par des acteurs venant des marges. Ce n’est pas un cas isolé, et analyser plusieurs moments forts de l’entrée en action des marges capables de bousculer les systèmes politiques existants au prix d’une grande violence, permet d’appréhender une pratique du pouvoir comme celle de Recep Tayipp Erdogan aujourd’hui.

Pour comprendre la pratique du pouvoir de Recep Tayipp Erdogan aujourd’hui, il faut prendre au sérieux les références permanentes du président turc à l’empire Ottoman. En particulier, s’interroger sur le rôle des marges dans l’histoire de l’Empire Ottoman finissant qui nous permet de saisir la nature extrêmement brutale de la rupture, mais aussi, dans certains cas, celle, tout aussi violente, des continuités qui s’établissent dans la durée entre l’« ancien régime » et le nouveau.

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Cette histoire, comme celle de ses héritiers dans le monde arabe, les Balkans et en Turquie, est une histoire qui n’a pas été déterminée par les establishments officiels, encore moins par les majorités, mais de façon surprenante par des acteurs venant des marges de la société. Ces « marges », n’émanent pas nécessairement des bas-fonds, et disposent d’un triple capital grâce auquel elles peuvent brutaliser le temps et l’espace collectifs : une solidarité interne en termes de génération ou de provenance, un savoir radicalisé proposant une nouvelle lecture de l’histoire et une nouvelle projection dans l’avenir et l’action violente, dans certains cas sacrificielle, par laquelle elles investissent le présent.

Il convient de souligner d’emblée qu’une analyse des marges dans l’histoire ne saurait se limiter au seul cas de l’ancien espace ottoman. La montée en puissance du Parti bolchévique entre les deux révolutions de 1917 en Russie, la marche sur Rome du fascisme italien, la victoire du nazisme qui d’un petit comité de sept membres devient une gigantesque organisation de masse à la fin des années 1920, constituent autant de moments forts de l’entrée en action des marges capables de bousculer les systèmes politiques existants au prix d’une grande violence. Chaque fois, le changement résulte de l’action de quelques centaines, ou tout au plus quelques milliers d’hommes qui ne disposent pas d’un important capital économique, et sans légitimité signifiante. Est-ce parce qu’ils sont dotés


Hamit Bozarslan

Historien et politiste, Directeur d'études à l'EHESS