Politique

Les « gilets jaunes » parmi les mouvements sans leader des années 2010

Historien

Tunisie, Turquie, Espagne, Ukraine, ou encore Brésil, nombre de pays ont connu au cours de la dernière décennie, des « mouvements-soulèvements ». À leur suite, a émergé celui des « gilets jaunes » empreint de la même tolérance envers un certain degré de violence de la part du mouvement, mais aussi, de la même volonté d’horizontalité, du même refus du XXe comme siècle hiérarchique et de l’obligation de se placer sous l’autorité d’un chef façonnée par la « société de masse ».

Comment rendre compte de l’importance exceptionnelle, historique, de ce mouvement des « gilets jaunes » qui s’est inauguré le 17 novembre 2018 (sans qu’à l’heure où cet article est écrit, il soit possible de dire comment il va se poursuivre) ?

Pour mieux saisir la portée de ce que nombreux appellent un soulèvement et qui s’est d’emblée déployé sur tout le territoire français sans l’impulsion de syndicats, de partis ou de quelque organisation que ce soit, et sans non plus la direction de leaders, il importe d’abord de le situer dans un moment.

En effet, les années 2010 se caractérisent par l’apparition dans le monde de mouvements qui partagent avec les « gilets jaunes » nombre de traits grâce auxquels ils forment un tel « moment » qui apparaît d’une signification au moins aussi forte que le « moment 68 » des historiens (voir mon texte à ce sujet).

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Les « mouvements des places » ont déjà suscité une grande quantité de réflexions et de publications en plusieurs langues dont le français. L’ensemble dans lequel le texte indiqué est paru est en cours de publication sous le titre de La démocratie de la place publique, coordonné par Nilüfer Göle et moi-même. Les pays concernés sont au moins la Tunisie, l’Égypte, la Turquie, l’Espagne, l’Ukraine, le Brésil, la Bulgarie, en une liste incomplète mais qui marque combien les pays de vieille démocratie en étaient absents… jusqu’aux « gilets jaunes ».

Les ronds-points certes ne sont pas des places. C’est une particularité de ce mouvement-soulèvement qu’ils en tiennent lieu dans leur spatialité propre et dans leurs liens à la fois physiques (mise en présence des personnes, distances et proximités), électroniques et rythmés par des « actes » hebdomadaires situés dans les grandes villes.

Bien des caractéristiques rapprochent encore les « gilets jaunes » des mouvements des places : le premier et le plus profond, le plus historiquement significatif, est l’horizontalité. Corrélativement, dans l’expérimentation de nouvelles fo


Yves Cohen

Historien, Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales

Mots-clés

Gilets jaunes