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Européennes : des résultats paradoxalement prometteurs pour la gauche

Politiste

Les résultats des élections européennes confirment les transformations du paysage politique français. Mais à y regarder de près, il n’acte pas définitivement la fin du clivage droite-gauche théorisé par La République en Marche et le Rassemblement National. Un nouvel espace politique s’est ouvert à gauche, dans lequel l’effondrement de la France Insoumise ouvre de nouvelles perspectives politiques.

Lors de ces premières élections intermédiaires de l’ère Macron, si les bouleversements électoraux de 2017 ont été confirmés pour la plupart, d’autres s’y sont ajoutés, accélérant les mutations en cours. Le Rassemblement national a devancé la liste gouvernementale, les écologistes ont effectué une percée, les Républicains et la France insoumise se sont effondrés et le Parti socialiste a sauvé les meubles.

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Avec 50,1 %, la participation est en très nette progression (7,7 points) sur celle de 2019 (42,4 %). Ce résultat s’explique pour des raisons conjoncturelles liées au calendrier électoral. Pour la première fois à des Européennes, ces élections cumulaient deux facteurs très favorables à la participation à des élections intermédiaires : être les premières élections depuis les élections nationales précédentes et suivre une année sans élections (la diète électorale). Ainsi, il n’y a pas à s’étonner d’un fort redressement de la participation par rapport à des élections (2014) qui avaient été immédiatement précédées par des élections municipales. Ce redressement semble concerner plus fortement les jeunes et les milieux populaires.

La participation reste cependant inférieure à celle de 1994 (52,7 %) et à fortiori de 1984 (56,8 %) et 1979 (60,8 %), élections qui ne bénéficiaient pourtant pas d’un calendrier aussi favorable. La structure de la participation reste fondamentalement la même qu’aux précédentes Européennes : des personnes âgées et des milieux favorisés et diplômés nettement plus mobilisés que les jeunes et les milieux populaires. On observe également un surcroît de mobilisation des électeurs préoccupés par l’écologie, alors que les milieux favorisés, très mobilisés en 2014 contre le président Hollande et au profit de la droite, l’ont été un peu moins cette fois-ci.

L’électorat de la majorité gouvernementale est maintenant nettement marqué au centre droit.

Ces résultats marquent une confirmation et même une accentuation des bouleversements électoraux qu’avaient marqués l’élection présidentielle et les élections législatives de 2017. La percée macronienne et la force du RN sont consolidées ainsi que la marginalisation du PS. Mais s’y ajoutent l’effondrement de LR et celui de LFI. Enfin, la France a connu une vague verte, comme beaucoup d’autres pays d’Europe de l’Ouest.

Le Rassemblement national, qui arrive en tête avec 23,3 % et 22 sièges sur 74, n’a qu’une victoire à la Pyrrhus car il recule de 1,6 point sur 2014 (24,9 %) et perd 2 sièges. De plus, sa victoire d’alors ne l’avait nullement empêché de perdre lourdement la présidentielle et les législatives de 2017. Sa géographie électorale reste très stable, avec ses zones de force dans la France du Nord et de l’Est et sur le pourtour méditerranéen et ses zones de faiblesse dans les grandes agglomérations ainsi que dans l’Ouest.

Il en va de même pour sa sociologie, avec ses meilleurs résultats dans les milieux populaires à faible niveau d’instruction et les plus faibles dans les milieux favorisés et les personnes de fort niveau de diplômes. Les motivations de vote de son électorat restent centrées sur les questions d’immigration et de sécurité avec aussi des préoccupations sur le pouvoir d’achat. Son recul global sur 2014 s’explique par un déclin général dans les grandes agglomérations (Région parisienne, PACA, Alsace, agglomération lyonnaise, Toulouse, Lille, Rennes), tout autant marqué dans les banlieues populaires que dans les zones plus favorisées, alors qu’il résiste beaucoup mieux ou même progresse dans les départements ruraux et en Corse.

Avec 22,4 % et 21 sièges, La République En Marche (LREM) et ses alliés confirment sa percée de 2017 et s’imposent comme l’élément central du paysage politique français en étant l’incarnation d’un centre libéral-mondialisateur rassemblant les « élites mondialisatrices » qui construisent la mondialisation néolibérale [1]. La liste de la majorité l’emporte très largement chez les personnes âgées et les milieux les plus favorisés, y enfonçant LR, ainsi que chez les plus diplômés, dans la France de l’Ouest et les grandes villes. Si par rapport à 2017 la majorité a gagné des voix sur sa droite aux dépens de LR, elle en a perdu massivement sur sa gauche au profit d’EELV chez les électeurs préoccupés par l’environnement et choqués par la violence de la répression contre les « gilets jaunes », mais aussi de la gauche socialiste (PS, Génération.s) et de l’abstention chez ceux les plus déçus de sa politique économique et sociale.

Cette transformation politique de l’électorat macronien s’observe dans sa mutation géographique depuis le premier tour de la présidentielle : une progression dans des départements marqués à droite en PACA (Var, Alpes-Maritimes), en Alsace et dans l’ouest de la région parisienne (Hauts-de-Seine, Yvelines), et des reculs importants dans les départements marqués à gauche en Limousin [2], en Aquitaine, en Occitanie, en Bretagne, ainsi que dans la Haute-Corse, la Nièvre et dans les banlieues populaires des grandes agglomérations[3]. L’électorat de la majorité gouvernementale est maintenant nettement marqué au centre droit.

Europe Écologie Les Verts (EELV), qui arrive en troisième position avec 13,5 % et 12 sièges contre 8,9 % et 6 sièges en 2014, sort gagnante de cette élection. Les écologistes ont bénéficié d’une conjoncture européenne favorable dans l’opinion avec les marches sur le climat. Remarquons que les élections européennes leur sont traditionnellement les plus favorables en France, alliant un faible enjeu de pouvoir à la représentation proportionnelle. Comme en 2009, le résultat d’EELV est lié à ce que l’environnement a été la première motivation de vote des électeurs[4].

EELV récupère ses électeurs potentiels qui avaient voté Mélenchon en 2017, mais une partie seulement de ceux qui avaient voté Macron[5]. C’est ce qui explique qu’elle ne retrouve pas son niveau de 2009 (16,3 %), en particulier à Paris où EELV obtient 19,9 % contre 27,5 % en 2009. EELV obtient ses meilleurs résultats chez les jeunes et les plus diplômés, dans les grandes agglomérations et dans l’Ouest, les Alpes et la vallée du Rhône, ainsi qu’en Corse (22 %) et au Pays basque, où elle a bénéficié du soutien des autonomistes et indépendantistes.

Avec 8,5 % et 8 sièges contre 20,8 % et 20 sièges en 2014, Les Républicains (LR) subissent un effondrement comparable à celui du PS en 2017. Après une première amputation sévère aux législatives de 2017, liée à la nomination d’Édouard Philippe à Matignon, c’est une véritable hémorragie électorale qu’a connue LR le 26 mai. Au total, c’est une très grande part de son électorat de 2014 qui est passée sur la liste gouvernementale[6]. Depuis l’élection de Macron les sympathisants de la droite bourgeoise n’ont eu que du bonheur : cadeaux fiscaux aux riches, attaques contre les fonctionnaires, contre le Code du travail, victoire contre les syndicats de la SNCF, répression violente sans complexe contre les « gilets jaunes ». Le « président des riches » a alors acquis le statut de chef du parti de l’ordre.

Si la fin de LR fut un assassinat, celle de La France Insoumise a été un méticuleux suicide.

Face à cela, les chefs de LR ne pouvaient rien faire. La mort de LR a été un meurtre conçu à l’Élysée et mis en œuvre à Matignon et à Bercy. On peut penser que dans un tel contexte, la stratégie d’opposition quasi systématique au gouvernement (sur l’affaire Benalla au Sénat, contre la privatisation d’ADP avec la gauche) a été contre-productive. De plus, le choix d’une stratégie conservatrice identitaire au niveau idéologique ne tenait pas compte du fait que chez la grande majorité des électeurs potentiels de la droite, les marchands du Temple ont depuis longtemps chassé Jésus, et que Davos a remplacé le Vatican.

LR n’est plus qu’un parti résiduel, devancé partout par LREM, sauf en Haute-Loire, le département de Laurent Wauquiez, où elle est cependant derrière le RN[7]. On doit également remarquer l’échec complet de LR à récupérer une fraction significative de l’électorat du RN, ce qui était pourtant un objectif important de son président. LR, comme le PS en 2017, a pris ainsi de plein fouet les tensions qui transforment les grands partis traditionnels de gouvernement en champs de bataille entre les partisans du maintien dans le réseau partisan des élites mondialisatrices néolibérales et ceux partisans d’une politique plus radicale (ici de type conservatrice identitaire)[8].

Mais si la fin de LR fut un assassinat, celle de La France Insoumise (LFI) a été un méticuleux suicide. Avec 6,3 % et 6 sièges LFI est très loin des 11 % des législatives sans parler des 19,6 % de la présidentielle. En France métropolitaine, LFI ne dépasse les 10 % que dans l’Ariège (10,7 %) et la Seine-Saint-Denis (11 %), fiefs traditionnels de la gauche. Même s’il est certain que ce type de scrutin, marqué par une forte démobilisation de son électorat populaire, n’est pas favorable en général à la gauche radicale, l’essentiel de l’explication de l’échec est ailleurs. Depuis 2017, LFI n’a connu que des échecs politiques dans son opposition aux réformes du gouvernement Philippe, dans ses tentatives de développer un média indépendant, et dans ses rapports avec les autres forces de gauche et les syndicats.

Les crises internes sans interruption depuis 2017, liées entre autres au leadership de Mélenchon, s’accompagnant de changements de lignes politiques difficiles à comprendre, ont provoqué une hémorragie militante. Le choix d’une campagne centrée sur l’écologie, la lutte contre les paradis fiscaux et la défense des migrants, thèmes certes populaires chez les militants de la gauche radicale, est apparu pour le moins décalé quand a surgi le mouvement des « gilets jaunes » centré sur les questions économiques et sociales (la fin du mois).

La combinaison d’un redressement électoral sensible de la gauche et de l’effondrement de LFI ouvre un espace électoral pour des candidats de gauche.

Avec 6,2 % et 5 sièges, le PS fait moins de la moitié de son résultat de 2014 (14 %) qui était déjà le plus mauvais de son histoire à ce type d’élection. La liste Gluksman dépasse les 5 %, malgré la concurrence de Génération.s[9] et la dynamique écologiste, grâce à la récupération d’électeurs de centre gauche déçus par la politique gouvernementale. Avec des résultats souvent assez proches de ceux de la présidentielle (6,4 %), elle ne dépasse les 10 % que dans les Landes (10,5 %), mobilisant un électorat résiduel de centre gauche. Son effondrement de 2017 étant ainsi confirmé, le PS n’est plus qu’un parti qui se bat à chaque élection pour sa survie électorale.

Aucune autre liste n’atteint la barre des 5 %. À gauche, Génération.s menée par Benoît Hamon est laminée à 3,3 %. Elle obtient son meilleur résultat à Trappes (25,9 %) dans l’ancienne circonscription de son leader, où elle arrive en tête. La liste communiste avec 2,5 % n’atteint même pas les 3 % nécessaires pour le remboursement des frais de campagne. À droite, Debout La France de Nicolas Dupont-Aignan connaît un nouvel échec avec 3,5 %, en recul de 1,2 point sur la présidentielle. L’UDI, avec 2,5 %, n’a pas réussi à trouver un espace significatif au centre droit hors de la majorité. Parmi les autres listes, on doit remarquer les résultats du parti animaliste (2,2 %), d’Urgence écologie (1,8 %) et de l’UPR de François Asselineau (1,2 %). Toutes les autres listes sont à moins de 1 %, dont LO à 0,8 % et Les Patriotes de Florian Philippot à 0,7 %.

Outre-mer, dans le cadre d’une faible participation, le RN confirme sa percée de l’élection présidentielle, arrivant en tête partout sauf en Polynésie et obtenant 45,6 % à Mayotte qui connaît une très forte crise migratoire. La liste gouvernementale arrive en tête en Polynésie et chez les Français de l’étranger (36,8 %) où EELV arrive second (20,5 %), LR s’effondrant (8,5 %) là aussi.

Si le pouvoir macronien peut se satisfaire de la situation à sa droite où LR est pris dans un étau mortel entre le RN et LREM, le reste du paysage politique est moins rassurant pour lui. Tout d’abord, le niveau de la liste gouvernementale est bas (22,4 %), même s’il n’est pas catastrophique, reflet de la faible popularité du président. Ensuite, la combinaison d’un redressement électoral sensible de la gauche et de l’effondrement au sein de celle-ci de LFI ouvre un espace électoral pour des candidats de gauche, et en particulier des élus sortants, qui seraient capables de la rassembler tout en se faisant l’écho des préoccupations écologiques exprimées par les électeurs et des revendications sociales des « gilets jaunes ». C’est pourquoi le pouvoir aurait bien tort de s’endormir sur ses maigres lauriers. Il risquerait alors de faire un cauchemar : le retour de la gauche.


[1] Cf. Pierre Martin, Crise mondiale et systèmes partisans, Paris, Presses de Science Po, 2018, p.176-179 et p. 256-269.

[2] Le plus gros recul, -7,4 points, est en Corrèze, le département de l’ancien Président François Hollande qui n’a pas été avare de critiques sur la politique économique et sociale du pouvoir.

[3] Avec un recul de 6,2 points en Seine-Saint-Denis.

[4] Devant l’immigration, enquête ELABE « Jour du vote », p. 20.

[5] Ce qui indique que la mise en avant par LREM de figure de proue de l’écologie n’a pas été inutile.

[6] Dans le XVIe arrondissement de Paris, la liste LR n’obtient que 24,2 % contre 46,1 % en 2014 et 58,5 % pour François Fillon en 2017, alors que la liste LREM monte à 46,1 % contre 26,7 % pour Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle de 2017.

[7] On doit noter qu’à Versailles, ville dont François-Xavier Bellamy est adjoint au maire, la liste LR avec 27,7 % talonne la liste LREM  à 29,7 %.

[8] Pierre Maritn, Crise mondiale et systèmes partisans, Presses de Science Po, p. 262-265.

[9] Le mouvement de Benoît Hamon, candidat PS à la présidentielle de 2017.

Pierre Martin

Politiste, chercheur associé au laboratoire Pacte

Notes

[1] Cf. Pierre Martin, Crise mondiale et systèmes partisans, Paris, Presses de Science Po, 2018, p.176-179 et p. 256-269.

[2] Le plus gros recul, -7,4 points, est en Corrèze, le département de l’ancien Président François Hollande qui n’a pas été avare de critiques sur la politique économique et sociale du pouvoir.

[3] Avec un recul de 6,2 points en Seine-Saint-Denis.

[4] Devant l’immigration, enquête ELABE « Jour du vote », p. 20.

[5] Ce qui indique que la mise en avant par LREM de figure de proue de l’écologie n’a pas été inutile.

[6] Dans le XVIe arrondissement de Paris, la liste LR n’obtient que 24,2 % contre 46,1 % en 2014 et 58,5 % pour François Fillon en 2017, alors que la liste LREM monte à 46,1 % contre 26,7 % pour Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle de 2017.

[7] On doit noter qu’à Versailles, ville dont François-Xavier Bellamy est adjoint au maire, la liste LR avec 27,7 % talonne la liste LREM  à 29,7 %.

[8] Pierre Maritn, Crise mondiale et systèmes partisans, Presses de Science Po, p. 262-265.

[9] Le mouvement de Benoît Hamon, candidat PS à la présidentielle de 2017.