Michel Serres en historien des sciences
Dans la pluie d’hommages qui saluent Michel Serres, bien des facettes du personnage sont évoquées, sauf celle de l’historien des sciences. On parle de manigance universitaire pour justifier l’élection de ce philosophe au département d’histoire de l’Université Paris 1. Mais c’est oublier que la tradition française associe étroitement histoire et philosophie des sciences. Pendant plus de vingt ans, Serres a formé des centaines d’étudiantes et d’étudiants de licence à l’histoire des sciences.

Tous les samedi matin, sous le regard bienveillant des vaches peintes par Puvis de Chavannes dans l’amphi Lefebvre bondé, Serres a exposé et discuté les réflexions qui forment la trame de ses ouvrages depuis les Hermès jusqu’au Contrat Naturel. Tandis qu’une foule bigarrée d’intellectuels parisiens succombait au charme de son vagabondage intellectuel de la thermodynamique à la théorie de l’information, en passant par Zola, Jules Verne et Lucrèce, les étudiants ont été conquis par une manière nouvelle d’aborder et de pratiquer l’histoire des sciences.
Ils n’ont certes pas été élevés dans le respect de l’histoire bachelardienne. En travaillant l’histoire des mathématiques et de la physique, Serres harcelait volontiers la philosophie du progrès qui sous-tend l’épistémologie bachelardienne. Il a mené une critique serrée de la tradition de philosophie des sciences dont il a hérité, remettant en question la classification des sciences et surtout la démarcation entre la science et le reste. S’appuyant souvent sur l’anthropologie (Mauss, Dumézil, Girard), Serres éclairait de manière féconde la production du savoir scientifique à partir de la peinture (Carpaccio, Turner…), de la littérature (Zola, Balzac, Lafontaine ou Molière) ou encore du théâtre (Corneille). Au fil d’une magistrale analyse transversale dégageant les structures communes à tous les savoirs (le point au XVIIe siècle, le plan à fin du XVIIIe et le nuage à la fin du XIXe siècle), les étudiants ont plutôt appris à bouscule