Politique

L’au-delà des municipales : EELV au temps du Covid-19

Politiste

Les écologistes abordent le second tour des élections municipales dans un état d’esprit bien différent de l’enthousiasme et de l’optimisme de mars dernier. Les résultats du premier tour se sont révélés très difficiles à interpréter, et le succès annoncé est relativisé. La pandémie a pourtant offert une occasion historique aux Verts : lutte contre le changement climatique, préservation des écosystèmes, maîtrise de la densification urbaine… il n’est pas de réflexion à partir du Covid-19 qui n’aboutisse, d’une manière ou d’une autre, à une idée défendue par Europe Écologie – Les Verts.

Depuis la « vague verte » des élections européennes, les écologistes d’Europe écologie – Les Verts (EELV) se sentaient le vent en poupe. Forts d’avoir compris avant tous les autres le caractère systémique des crises environnementale, sociale et démocratique, et sûrs de la pertinence des mesures qu’ils proposaient pour affronter ces crises à l’heure anthropocène[1], ils avaient engagés la bataille du leadership politique. Municipales, régionales, présidentielle : deux séquences pour crédibiliser depuis les territoires leur rôle de « pivot » de nouvelles coalitions, et une dernière pour mettre, en 2022, l’écologie au pouvoir.

Et le Covid-19 est arrivé. L’abstention a brouillé l’analyse des résultats du premier tour des élections municipales, et la pandémie a retardé la tenue du second. Au-delà de la rhétorique électorale, le coronavirus offre une occasion réellement historique aux écologistes d’EELV : celle de démontrer que la transformation qu’ils prônent est la seule voie possible pour réparer les sociétés et prendre de cours les catastrophes annoncées. Penser y parvenir sans tenir compte de la pluralité des expériences de l’hécatombe et du confinement qui ont été vécues, et sans tracer une ligne claire dans l’affrontement des mises en sens politique de la pandémie et de ses conséquences, constituerait une double erreur.

Politique as usual

« Pour la première fois, on se voyait gagner ». Comme David Cormand, député européen et ex numéro 1 du parti, nombreux étaient les militants d’EELV à penser que cette fois serait la bonne ; ou en tous cas l’une des meilleures. Portés par leur score aux élections européennes (13,4 %) et par le sentiment qu’ils pouvaient remporter la victoire dans quelques villes importantes, ils se sont jetés à corps perdu dans la campagne. Des mois passés à peaufiner un programme, à construire les conditions de l’autonomie ou à négocier les alliances partisanes, à recruter de nouvelles troupes pour boucler les listes, à arpenter les rues, à affuter les arguments pour convaincre ; des mois de fatigue, de violences – pas toujours symboliques –, de yoyo émotionnel, de rencontres, d’espoirs d’être (ré)élu. Même les Jeunes écologistes, souvent rétifs à engager leur organisation dans les campagnes électorales, s’étaient mobilisés pour l’occasion : forum sur le municipalisme, tour des communes, podcasts de campagne, manifeste des municipales… une hyper présence pour inviter la « génération climat » à ne pas délaisser les urnes, et soutenir la vingtaine des leurs qui était présente sur les listes écologistes.

Quelques jours avant l’ouverture de la campagne officielle, le 2 mars, l’épidémie semblait encore loin. À Creil, premier foyer du Covid-19, le trésorier du parti et tête de liste Thierry Brochot est pourtant déjà quasiment confiné ; dans sa ville, la campagne se mène dans le huis-clos des domiciles et des réseaux sociaux, une « drôle de campagne », comme il dit. Il fait part de la situation locale à la réunion hebdomadaire de la direction du parti mais, il prend la peine de le souligner, « rien n’indiquait à ce moment qu’elle serait prédictive de ce qui allait se produire ; la courbe d’une épidémie est exponentielle, elle commence lentement ».

À la première réunion convoquée par le Premier ministre pour faire le point sur l’épidémie avec les chefs de partis et de groupes politiques, le 27 février, Julien Bayou, secrétaire national d’EELV, pose malgré tout la question du report du scrutin. Il est le seul. Elle est balayée d’un revers de main par le Premier ministre : « Nul ne songe à reporter les élections municipales ». L’heure est donc à la continuation de la lutte : contre la réforme des retraites et l’utilisation du 49.3, pour l’hôpital public, le leadership de l’écologie politique, et celui de la gauche, même si les « figures » du parti, pour des raisons tactiques, n’apprécient pas qu’on le dise ainsi.

Pendant que les militants battent le pavé, dans le silence assourdissant des autorités et le bruit des passes d’armes de campagne, l’épidémie a changé de statut. Alertant dès la fin du mois de février sur la nécessité de la mobilisation générale pour vaincre le virus, l’OMS déclare, le 11 mars, la pandémie. À la réunion convoquée par le Premier ministre le lendemain, ce dernier écarte à nouveau l’idée du report des élections : « Ce n’était même pas une question », assure Julien Bayou.

De toute façon, EELV n’est ni en situation ni en capacité d’obtenir le report ; tout juste légitime pour demander la diffusion des informations dont dispose le conseil scientifique mis sur pied par l’exécutif, et l’encadrement démocratique de mesures de confinement qui ne sont à ce stade qu’envisagées. Entendant que la rumeur du report monte malgré tout au long de la journée dans les mondes politique et journalistique, Julien Bayou consulte tous les membres de la direction du parti, les parlementaires et les têtes de listes. À la suite des échanges, un texte est rédigé, expliquant qu’EELV accepte le report des élections ; au cas où, et pour éviter que des voix dissidentes ne se fassent maladroitement entendre.

Sur le terrain, le hiatus entre la progression du Covid-19 et la réalité du quotidien est à peine ressenti : « Il y avait une sorte de monde parallèle qui faisait campagne (…) On riait en se disant qu’on était quand même fous de boire un verre et de piocher dans le même pot de cacahuètes », témoigne un citoyen engagé sur une liste emmenée par EELV. Personne ne songe à arrêter la campagne : « Les militants étaient dans la seringue depuis des mois, ils étaient à fond, c’était difficile de se mettre dans la tête qu’il fallait peut-être que l’on arrête », résume un élu. Ce que confirme Julien Bayou : « Là, on est à 48 h du truc, tout le monde est épuisé, il faut que cela se termine. D’autant que le report pose un ensemble de problèmes sans nom ». L’annonce du confinement par le Premier ministre, le samedi soir à 20 h, révèle les incohérences gouvernementales et cristallise les inquiétudes. Mais il ne reste que quelques heures avant l’ouverture du scrutin. Il est trop tard.

Le dimanche matin, très peu de militants renoncent à tenir leur bureau de vote, et ceux qui le font y sont contraints : ils ont déjà développé des symptômes de la maladie. Pour les autres, les premières heures du scrutin sont l’occasion de se poser un peu, de réaliser ce qu’ils ont vécu dans les dernières semaines, et ce qui est sur le point d’arriver. L’incompréhension, la colère et les regrets se mêlent : « J’ai réalisé qu’on avait fait le tour de la ville, serré des mains à des gens qui ne savaient pas ce qu’il se passait, qu’on avait fait campagne sans prendre de précaution », se désole l’un ; « On savait que cela allait merder, tous ces petits vieux avec leurs cannes qui venaient voter (…) Dans les bureaux, tout était plutôt bien organisé, on respectait les consignes, mais dehors, ou même devant la porte, les gens s’agglutinaient ; certains candidats serraient encore des pognes, pour s’assurer les votes de ceux qui attendaient », fulmine l’autre. Au fil de la journée la résignation s’installe ; celle relative au virus, et celle que laisse anticiper les premiers chiffres de l’abstention. Beaucoup savent déjà qu’elle rendra les scores ininterprétables.

Au pays du principe de précaution et des lanceurs d’alerte, personne n’a bataillé auprès des chefs de partis et de groupes parlementaires pour qu’une demande de report collective soit présentée au gouvernement – il aurait fallu être plus forts –, ni pensé à boycotter les élections, ce qui revenait à laisser gagner les autres alors que l’air du temps était enfin favorable. Dans les coulisses de ce qui passe pour l’une des plus grandes crises sanitaires mondiales, le parti vert a constaté sa faiblesse politique structurelle, et vécu les incertitudes de l’épidémie au rythme des effets combinés de sa normalisation et de sa quête de crédibilité gouvernementale.

« Si on avait tenté quelque chose, on aurait sûrement hurlé dans le désert : toutes les équipes de campagne mettaient la pression sur leurs directions politiques ; les constitutionnalistes alertaient en juristes, précautionneusement, lentement et tout le monde était épuisé ; il était impensable de tenir une semaine de plus, ni encore moins quelques mois. La ligne de la confiance vigilante dans le gouvernement a prévalu ; on ne s’est pas singularisés, je ne sais pas si c’est bien ou pas », s’interroge finalement Thierry Brochot. Au moins constate-t-on que ce parti si souvent décrié pour ses divisions a su tenir unanimement une ligne : celle de la concorde nationale.

Finalement confinés, et alors que les plaintes contre le gouvernement et les recours électoraux se multipliaient, les membres d’EELV prenaient la même leçon que les autres : désormais, il faudra aussi savoir arrêter une campagne.

Vagues et ancres vertes

Le soir du premier tour, alors que les scores tombent, les candidats EELV savent que même si la « vague verte » européenne se confirme, la fête est d’ores et déjà gâchée. Certains ont déjà vécu ce sentiment : le 21 avril 2002, Noël Mamère avait obtenu 5,25 % des voix à l’élection présidentielle ; un score inégalé, et jamais célébré. Cette fois encore, la satisfaction paraîtrait indécente : « Il n’y aurait rien de plus imbécile que de triompher sur un drame absolu », résume Thierry Brochot.

À la place de la sidération qu’avait suscité la présence de l’extrême-droite au second tour, siègent aujourd’hui la conviction de l’erreur collective – « L’épidémie flambe, on aurait du annuler », reconnaît un cadre –, et la crainte qu’avec le report du deuxième tour et la perturbation des négociations, le parti se retrouve avec « de gros scores qui auront du mal à se transformer en victoires », anticipe un autre. D’autant que le confinement, entre temps décrété, complique les négociations, et que la perspective du second tour s’éloigne chaque jour. Il faudra peut-être tout refaire… Cette fois, ce ne sont plus les militants qui sont dans la seringue, mais les élus. La loi d’urgence a différé l’entrée en fonction des nouveaux vainqueurs, pendant que sortants et reconduits affrontent les conséquences de la mise en état d’urgence sanitaire et s’interrogent sur l’impact de la crise sur les budgets locaux.

Confinés, cadres du parti et candidats encore en lice dédient une part de leur temps à l’analyse des résultats du premier tour. La chose n’est pas aisée, et pas seulement à cause de l’abstention record (44 % de participation, -19,55 points par rapport à 2014) et de son caractère différencié[2]. Comme à chaque élection, le ministère de l’Intérieur a estampillé nombre de listes EELV « divers gauche », pendant que d’autres sont illisiblement noyées dans la masse, particulièrement importante cette fois, des listes « citoyennes ». Plus que jamais, le parti compte sur ses – maigres – forces et ses propres données pour interpréter les résultats.

Sauf que ces dernières remontent mal et lentement des instances régionales vers la direction du parti, et qu’elles restent, comme toujours, parcellaires. Concentrés sur l’analyse des scores dans les villes de plus de 100 000 et de plus de 30 000 habitants, les délégués aux élections du parti agrègent les scores des listes menées par un EELV dûment encarté et celles conduites par un « écologiste » citoyen ou un membre de l’une des formations avec lesquelles EELV avaient passé des alliances – Génération écologie, CAP 21, le MEI, l’Alliance écologiste indépendante et le Mouvement des progressistes. Ils s’interrogent en revanche sur la manière de rendre compte des résultats réalisés par les listes présentées avec le Parti socialiste, le Parti communiste ou la France insoumise, et dont la tête de liste n’était pas revenue à EELV. À ce moment, Bruno Bernard, co-délégué aux élections et tête de liste pour la métropole lyonnaise, peine encore à dire combien de listes écologistes ont été déposées, combien de maires verts (et a fortiori de conseillers municipaux de majorité ou d’opposition) ont été (ré)élus dans les 30 000 collectivités où une liste a emporté le scrutin dès le premier tour, et dans quelles configurations se trouvent les candidats enrôlés, d’une manière ou d’une autre, sous la bannière du parti, dans les 5 000 villes qui attendent le second.

Depuis, l’analyse s’est un peu assurée, même si l’abstention, la géométrie variable des alliances et l’attente des résultats du second tour impliquent de prendre nombre de précautions. Les premiers éléments disponibles témoignent, à défaut d’une « vague verte » qui pourrait avoir, comme le souligne habilement Julien Bayou, le mauvais goût de pouvoir « refluer », d’un ancrage de l’écologie dans de nombreux territoires[3]. L’offre électorale du parti s’est, tout d’abord, élargie. Le nombre total de listes comprenant des membres d’EELV reste encore inconnu mais l’on sait déjà que le parti a présenté plus de listes autonomes (73 listes dans les 251 villes de plus de 30 000 habitants au lieu de 60, le meilleur score en 2001 ; 18 listes dans les 40 villes de plus de 100 000 habitants au lieu de 13 listes dans les 36 villes qui avaient en 2014 plus de 100 000 habitants) et qu’il a, lorsqu’il était allié à d’autres forces politiques, décroché plus de têtes de liste qu’auparavant : 48 têtes de liste sur les 121 têtes de liste EELV présentées dans les 251 communes de plus de 30 000 habitants au lieu de 20 têtes de listes sur les 66 têtes de listes EELV présentées en 2014 dans les communes de cette taille ; 18 tête de liste dans les 40 villes de plus de 100 000 habitants au lieu de 13 listes dans les 36 villes qui comptaient, en 2014, plus de 100 000 habitants. Les résultats en nombre/pourcentage de voix ont, pour leur part, progressé. Dans les villes de plus de 30 000 habitants, près d’un demi-million d’électeurs ont voté pour les listes EELV contre 250 000 en 2014, et les listes conduites par un membre du parti ont remporté 11,1 % en moyenne des suffrages exprimés alors que ce chiffre était de 4,1 % en 2014. Dans les villes de +100 000 habitants, le score des listes EELV est de loin le meilleur de ces dernières années : il est passé de 10 % à 16 % entre 2014 et 2020.

Encore faut-il remarquer que la quantité de voix écologistes reste, dans l’absolu, assez peu conséquente ; qu’une part significative de ces voix étant acquise dans des dynamiques d’alliance, il est impossible de les imputer au seul crédit d’EELV ; que la surprise des bons scores est plus flagrante à Poitiers, Bordeaux ou à Tours[4] que dans l’Est ou en Rhône-Alpes si l’on considère que l’Est est une terre historique de l’écologie et que les élections régionales étaient déjà favorables en Rhône-Alpes (le meilleur score en 2010 avec 17,82 % et l’un des moins pires décrochage en 2015 avec 6,90 %) ; que les scores sont bien meilleurs, dans les villes de +100 000 habitants, lorsque le maire sortant est de gauche (17,2 % en moyenne en liste autonome et 30,7 % en liste d’alliance contre 12,7 % et 21,9 % respectivement lorsque le sortant est de droite) ; et que l’incontestable prime aux sortants, grande leçon du premier tour de scrutin, n’a pas le même sens pour l’emblématique Éric Piolle à Grenoble – seul maire vert d’une commune de +100 000 habitants – que pour d’autres maires de fiefs verts qui, vu le niveau de l’abstention ou l’absence de liste concurrente ne peuvent, comme à Loos-en-Gohelle, tirer aucune conclusion enthousiaste de leur réélection.

Autant de remarques qui permettent de souligner qu’EELV est encore loin d’être majoritaire en France ; que le parti vert est autant en capacité de former des alliances qu’impuissant à gagner seul, et qu’il gagne surtout, tant dans les urnes qu’en première position de liste, contre la gauche, ou pour le dire autrement, contre son propre camp. Par ailleurs, les résultats d’EELV ne sont pas univoques. La diversité du périmètre des alliances et la variété des destins électoraux de ces dernières empêchent de tirer quelque conclusion stratégique à partir de ce scrutin. Et ceci est y compris vrai dans les villes où la prouesse consiste, comme à Bordeaux, dans le fait d’avoir contraint les adversaires à un second tour de scrutin, ou dans celle d’avoir tant mordu sur l’électorat de gauche qu’il serait impossible d’envisager remporter la ville sans passer la ligne rouge de l’alliance avec les candidats de la République en marche.

Illustrant ceci, Thierry Brochot confie aisément que « Paris, Marseille et Lyon sont les trois facettes d’une même réalité : à Paris, EELV n’avait pas d’espace, à Marseille, une écologie plus marquée à gauche a raflé la mise, pendant qu’à Lyon, EELV a pu occuper l’espace de la chaise vide ». Enfin, la question reste entière de savoir si l’ancrage constaté lors de ce premier tour se confirmera au second tour – les grandes villes seront évidemment scrutées à la loupe – et s’il progressera encore aux élections régionales de l’année prochaine.

Un scrutin sans Covid permettrait en effet de savoir de manière plus certaine si les scores d’EELV signent l’installation d’un véritable clivage autour de la crise climatique et écologique. En attendant, le moins que l’on puisse dire est que ce drôle de premier tour municipal n’éclaire pas comme il l’aurait fallu les destinées de l’offre électorale d’EELV, et qu’il ne dit pas grand chose, en tant que tel, de l’avenir de l’écologie politique.

Le jour d’après

Pendant le confinement, la parole est surtout revenue à ceux qui tentaient, irriguant l’espace public de textes plus ou moins prospectifs et de tribunes inégalement mobilisatrices, de donner sens à la pluralité des expériences vécues et de tracer quelques pistes pour le monde d’après. Les pensées foisonnaient, sur ce que l’épidémie révélait de nos mondes, et sur ce qu’elle invitait à transformer.

Derrière leurs fenêtres, les confinés mi-télétravaillaient mi-s’introspectaient ; pas tous à l’abri des pressions, des menaces, des maltraitances, des violences. Au dehors, travaillaient ceux des activités « nécessaires », « essentielles », « indispensables » : métiers de vocation, métiers de réquisitionnés ; en front line au cœur du virus, les horaires de fous sans « pognon de dingue », les risques sanitaires, la dignité et le courage, sous les applaudissements. D’autres, malades psychiatriques, prisonniers, toxicomanes, sans-abri… enfermés du dedans et du dehors, éprouvaient l’effet du Covid-19 sur toutes les facettes de leur précarité.

Chacun se demandait si le monde repartirait comme avant, et en présence de signes contradictoires, était invité à questionner ses désirs, ses indispensables. Parmi tous ceux-là pris ensemble, ceux qui ne votaient déjà plus, ou pas toujours ; ceux dont les écologistes ne partagent pas assez le sort pour les convaincre que leur écologie est « populaire » ; ceux qui se (re)politisaient, et espéraient que s’agrègent vite les refus du retour à « l’anormal ».

À EELV, le ton est resté tranquille, presque en sourdine : « Notre récit politique reste le même, on peut se permettre d’être constants », résumait David Cormand. Lutte contre le changement climatique, préservation des écosystèmes, maîtrise de la densification urbaine, réduction des pollutions, agriculture écologique, limitation des transports polluants, réduction des inégalités, relocalisation de l’économie et des productions, revenu universel, reconstruction des services publics, politique des communs, refondation démocratique… il n’est pas de réflexion à partir du Covid-19 qui n’aboutissait pas, d’une manière ou d’une autre, sur l’une des pages du programme écologiste.

Comme beaucoup, le parti s’est empressé de rassembler et de faire connaître ses propositions pour l’après. Pourtant, la reprise de la campagne électorale s’est avérée aussi délicate que prévu : « On se dirige tout droit vers une sortie de confinement en dents de scie, avec plein de limitations de toutes sortes. Reprendre le porte-à-porte comme avant paraîtrait bizarre ; on fera campagne précautionneusement, comme les hérissons font l’amour » affirmait, non sans malice, un Julien Bayou confiné.

Il est encore trop tôt pour savoir ce que les électeurs du second tour penseront des propositions écologistes et des alliances qu’ils ont construites et qui confirment, sans surprise tant il est ancien, l’ancrage à gauche du parti vert français. Préfèreront-ils le retour des gauches variablement assemblées – et par le passé parfois si décevantes – aux alliances à droite, plus conformes à l’impatience de voir vite rétabli le monde tel qu’ils le connaissaient avant la pandémie ? Opposeront-ils, comme si souvent jusque-là, urgence climatique et crise économique ? Laisseront-ils leurs angoisses de confinés à la porte des bureaux de vote pour exprimer d’autres volontés de changement, peut-être guidées par les solidarités qu’expriment les mobilisations Black lives matter de ces derniers jours ?

Sous les voix collapsologistes apolitiques qui s’élèvent encore pour dire que le Covid-19 était la répétition générale de l’effondrement qui vient, et à contre mots de toutes celles qui ont intérêt à nier les véritables raisons du fatras de crises dans lequel nous sommes, EELV est sommé de tracer, dans l’espace partisan et celui des mouvements sociaux, quelques nouvelles lignes de mire.

Pour autant, les représentants du parti vert se démarqueront-ils de certaines (nouvelles) voix écologistes en affirmant que si la survenue du virus est sans conteste liée aux manières destructrices d’habiter la Terre, seuls les tenants de quelques dérives naturalistes, néomalthusiennes ou écofascistes auront vu dans le recul – par ailleurs très momentané – des émissions de carbone et des pollutions, le signe réjouissant d’une planète qui se régule, ou même se venge, de son trop plein/trop mal d’humains ? Sauront-ils démontrer, alors que la pandémie a odieusement mis en lumière l’inégalité des destins en fonction des genres, des « races »[5], des classes sociales et des territoires, qu’il est possible d’asservir, dans le même temps, la machine économique mondialisée à la satisfaction des besoins essentiels et à la lutte contre le changement climatique ? Clameront-ils haut et fort, alors que l’urgence sanitaire perdure et que les demandes d’État se sont fait entendre, que rien n’excuse les atteintes aux libertés individuelles et le délitement des fondements de la démocratie ? Comment accorderont-ils la défense de leur version de la transition écologique aux géométries variables de leurs alliances, qui les portent tantôt vers le capitalisme vert, quelque version bon teint du Green new deal, ou la tentation de la planification écologiste ?

À défaut d’être écologiste en soi, le Covid-19 a suscité une pluralité d’expériences intellectuelles, matérielles et corporelles qui prouvent que le « devenir écologiste » est inscrit dans les (infra)structures du monde autant que dans les corps, et qu’il doit se comprendre comme une lutte contre les révolutions conservatrices et les brutalismes de toutes sortes. C’est à l’aune de cette expérience étalon qu’EELV doit désormais convaincre les électeurs que le présent ne pose pas d’autres questions que celles auxquelles les écologistes se préparent, depuis longtemps, à répondre. Ou autrement dit, qu’ils sont effectivement prêts à gouverner.

 


[1] Nous empruntons ce terme par commodité, sans ignorer les débats sur l’opportunité d’en employer d’autres (capitalocène, déréglocène, plantationocène, chthulucene…).

[2] Il semble qu’elle a par exemple touché, même si ce n’est pas en premier lieu, une partie des électeurs EELV, parents âgés de 20 à 35 ans, qui auraient eu trop peur du Covid-19 pour se déplacer.

[3] Voir, pour le détails des chiffres, Florent Gougou et Simon Persico, « La poussée (inachevée) des verts : leçons tirées du premier tour des municipales de 2020 », Les Notes de la FEP, n°19 , Mai 2020.

[4] Poitiers (23,89 %, deuxième position), à Bordeaux (34,38 %, deuxième position) ou encore à Tours (35,46 %, en tête).

[5] Au sens de racialisation des rapports sociaux.

Vanessa Jérome

Politiste, Chercheuse associée à l'Université de Victoria (Canada)

Notes

[1] Nous empruntons ce terme par commodité, sans ignorer les débats sur l’opportunité d’en employer d’autres (capitalocène, déréglocène, plantationocène, chthulucene…).

[2] Il semble qu’elle a par exemple touché, même si ce n’est pas en premier lieu, une partie des électeurs EELV, parents âgés de 20 à 35 ans, qui auraient eu trop peur du Covid-19 pour se déplacer.

[3] Voir, pour le détails des chiffres, Florent Gougou et Simon Persico, « La poussée (inachevée) des verts : leçons tirées du premier tour des municipales de 2020 », Les Notes de la FEP, n°19 , Mai 2020.

[4] Poitiers (23,89 %, deuxième position), à Bordeaux (34,38 %, deuxième position) ou encore à Tours (35,46 %, en tête).

[5] Au sens de racialisation des rapports sociaux.