Médias

Le retournement carnavalesque de la haine des médias à l’heure du coronavirus

Sémiologue

Depuis la rentrée, les anti-masques font parler d’eux, le premier Ministre les rappelant « à l’esprit de responsabilité », une étude de la Fondation Jean Jaurès pointant la dimension « complotiste » de cette mobilisation. Comme au moment des Gilets jaunes, cette méfiance s’exprime contre la parole politique mais aussi contre les médias traditionnels. Pourtant, si les premiers visaient prioritairement les mensonges de l’État et de l’information, les seconds vont plus loin : il ne s’agit plus seulement de nier, mais aussi d’affirmer une vérité fondée sur un retournement carnavalesque des valeurs et des hiérarchies.

Pendant le confinement, le vieux média télévision, dont on prédit la fin depuis quelques années, a semblé connaître une nouvelle jeunesse. Le temps d’écoute quotidien des Français a augmenté de plus d’un tiers et, pour les jeunes, que l’on croyait à jamais perdus pour ce média, cette augmentation a atteint 69 %.  Que les films de Louis de Funès sur France 2 l’après-midi aient eu un rôle fédérateur n’est pas surprenant ; en revanche, on peut s’étonner des scores d’audience des journaux télévisés de 20 h.

publicité

Dans une situation où la confiance envers les médias n’a cessé de s’éroder et où 40 % des citoyens boudent l’information (Baromètre La Croix- Kantar 2020), il n’était pas joué d’avance que les journaux télévisés du soir progressent d’environ 50 % sur les quatre chaînes historiques, atteignant des sommets le 13 avril lors de l’intervention du président de la République avec 7 millions téléspectateurs, soit 96, 1 % de parts d’audience. Qui plus est, alors que l’information est le genre télévisuel qui ordinairement engendre le moins de replays, pendant cette période, les consultations ont été multipliées par quatre ou cinq.

Pendant des années, pour ne pas dire des décennies, certaines catégories sociales ont été ignorées par la télévision. Le baromètre de la diversité publié par le CSA en 2019 constatait, sur l’ensemble des programmes diffusés par l’ensemble des chaînes gratuites de la TNT, une surreprésentation des catégories professionnelles supérieures – 88 % dans le journal télévisé alors qu’elles ne représentent que 27 % de la population – et une absence quasi totale de personnes en situation de précarité (0,7 %).

Ce fossé entre le pays réel et sa représentation a alimenté le sentiment d’injustice et d’exclusion partagé par les Gilets jaunes. Pendant la pandémie, c’est une autre France que nous avons vue dans nos écrans : celle des soignants et des aidants qui se sont dévoués parfois à leurs risques et périls, celle des caissières des grandes surfaces, d


[1] François Jost, Médias : sortir de la haine, CNRS Editions, 3 septembre 2020

François Jost

Sémiologue, Professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle-Paris 3

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] François Jost, Médias : sortir de la haine, CNRS Editions, 3 septembre 2020