Pandémie et recherche française : le nouveau chapitre d’une crise sans fin ?
La déception n’aurait pas pu être plus grande : d’abord, le géant pharmaceutique Sanofi et son partenaire britannique GSK ont dû annoncer en décembre 2020 que leur vaccin candidat commun contre la Covid-19 serait retardé de plusieurs mois. Fin janvier, l’Institut Pasteur et son partenaire industriel américain MERCK ont de leur côté annoncé l’arrêt complet de leur projet de vaccin Covid-19.
On a rapidement lu que ce revers des « deux fers de lance de la filière pharmaceutique française » représentait une crise pour l’ensemble de la recherche française. Mais à y regarder de plus près, ce n’est pas si simple.
Tout d’abord, l’échec du développement d’un vaccin est statistiquement la norme plutôt que l’exception : environ une seule tentative sur 100 de développer un nouveau médicament aboutit à une autorisation de marché.
La pandémie a déclenché une compétition globale pour développer le premier vaccin anti-Covid et dans cette course, le consortium Sanofi-GSK et l’Institut Pasteur étaient tous les deux considérés au départ comme des candidats prometteurs : l’une des plus grandes sociétés pharmaceutiques au monde, possédant une vaste expérience en matière de vaccins, et l’une des institutions de recherche des plus renommées sur les maladies infectieuses. Mais dans les deux cas, les scientifiques ont dû renoncer à leur planning, notamment en raison d’une réponse immunitaire insuffisante lors des essais cliniques.
Au-delà de cette « mauvaise fortune scientifique », il y plusieurs aspects qui pointent vers des difficultés systématiques de l’industrie pharmaceutique française. Partant d’une étude du groupe de réflexion gouvernemental Conseil d’analyse économique (CAE), on peut d’abord résumer trois aspects principaux qui représentent un défi pour la France.
Premièrement, la recherche fondamentale joue un rôle très important dans la mise au point des médicaments : les nouvelles approches thérapeutiques découlent souvent, de manière disproportionnée, des découvertes de la recherche fondamentale, qui doit donc être fortement soutenue.
Deuxièmement, la transformation d’une découverte scientifique en un produit nécessite le transfert d’un résultat de recherche aux entreprises qui est souvent long et difficile (la dite « vallée de la mort »).
Troisièmement, le développement moderne des médicaments repose de plus en plus sur de nouvelles technologies mises au point pendant plusieurs années par des entreprises de start-up. Celles-ci ont besoin d’un capital-risque important et d’investisseurs qui sont prêts à les financer sur une longue période.
Ces aspects sont parfaitement illustrés par la genèse des deux premiers vaccins contre la Covid-19 à avoir été autorisés dans l’Union Européenne (UE). Les deux entreprises à l’origine de ces vaccins – BioNTech (Allemagne) et Moderna (États-Unis) – ont réussi ce processus d’innovation de manière exemplaire : ce sont des spin-offs universitaires, fondés par des chercheurs avec le but de transformer leurs résultats de recherche en produits pharmaceutiques.
Avec l’aide d’investisseurs qui étaient à la fois financièrement solides et prêts à prendre des risques, ils ont développé pendant plusieurs années la nouvelle technologie de l’ARN messager (ARNm). Suite au déclenchement de la pandémie, les deux laboratoires ont entamé une collaboration avec des sociétés pharmaceutiques établies et elles ont chacune mis sur le marché leur tout premier produit : un vaccin Covid-19 [1].
Sanofi-GSK et l’Institut Pasteur, quant à eux, ont choisi la voie classique : pour leurs projets de vaccins les plus prometteurs, ils se sont appuyés sur leurs propres équipes de développement internes et sur des technologies qui avaient déjà montré leur succès pour d’autres maladies. Sanofi-GSK avait déjà développé un vaccin antigrippal très efficace et qui a constitué la base de conception pour le développement du vaccin contre la Covid-19. L’Institut Pasteur, de son côté, avait également choisi d’utiliser sa propre technologie, qui avait déjà connu un grand succès dans la mise au point d’un vaccin contre la rougeole.
Au-delà de leurs projets phares, Sanofi-GSK et l’Institut Pasteur ont d’autres projets de vaccins anti-Covid-19 sur lesquels ils collaborent aussi avec des start-ups de biotechnologie et qui sont en partie basé sur la technologie ARNm. Mais même si leurs développements avaient du succès, ils prendront encore plusieurs mois.
La France dans la société de la connaissance
Cette apparente opposition entre innovation et tradition n’est pourtant pas en soi le signe d’un retard général, régulièrement proclamé en France en période de crise.
Il est vrai que les points soulevés par le CAE – financement abondant de la recherche fondamentale, valorisation de la recherche et investissement de capital-risque – ne font pas nécessairement partie des points forts du système d’innovation français [2]. Mais dans son ensemble, il a parcouru un chemin remarquable dans les vingt dernières années puisque les « manières de faire » en France ne ressemblent historiquement pas au modèle d’innovation propagé aujourd’hui. Il est éclairant de regarder cela de plus près.
Il existe un débat intense autour de la compétitivité internationale et de l’importance du « savoir » depuis au moins la fin des années 1990. Promu par des organisations internationales telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’idée de l’émergence d’une société de la connaissance a de plus en plus prévalu dans les pays industrialisés en manque de ressources naturelles [3]. Il s’agit de l’idée selon laquelle la prospérité future de ces pays proviendra de la production de connaissances (et/ou du savoir, selon l’une ou l’autre approche théorique), c’est-à-dire de la recherche et du développement (R&D) ainsi que l’innovation qui en résulte.
En 2000, dans la stratégie de Lisbonne, l’UE s’est fixé l’objectif de devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». À cette fin, tous les États membres se sont donné le but d’investir 3 % de leur PIB dans la R&D. En France, ce ratio était de 2,1 % à l’époque – supérieur à la moyenne européenne, mais avec une tendance à la baisse.
Une myriade d’analyses européennes et nationales ont mis en évidence d’autres indicateurs inquiétants en comparaison avec, notamment, les États-Unis, mais aussi ses deux pays principaux de référence, l’Allemagne et le Royaume-Uni : la France comptait moins de publications scientifiques et moins de chercheurs par habitant ; le nombre de demandes de brevets diminuait ; les entreprises n’investissaient pas assez en R&D ; les nouveaux champs scientifiques comme les nanotechnologies ou les biotechnologies se développaient trop lentement [4].
À cela s’ajoutait, au milieu des années 2000, notamment via des classements internationaux d’universités comme le classement de Shanghaï, la conviction qu’il fallait des universités dotées de fortes capacités de recherche au centre d’un système d’enseignement supérieur et de recherche performant, les dites world-class Universities (littéralement, « universités de classe mondiale »).
Le succès de cette idée en France (et ailleurs) était dû en partie au succès technologique des États-Unis à l’époque et à la renommée internationale de ses universités phares comme Harvard. Dans cet esprit de comparaison, il a été constaté que les universités en France n’étaient ni assez visibles ni assez compétitives au niveau international, notamment parce qu’elles n’avaient pas la « taille critique ».
Après que les diagnostics de la baisse imminente des performances scientifiques se sont imposés partout en France, au milieu des années 2000, plusieurs lois et engagements financiers ont suivi, accompagnés d’une mobilisation sans précédent des scientifiques qui partageaient largement ces diagnostics (incarnée notamment par le mouvement « Sauvons la recherche »).
Il en a d’abord résulté un processus de concertation, qui s’est ensuite transformé en conflit durci entre gouvernement et chercheurs. Alors que ces derniers voyaient la solution avant tout dans l’élargissement du financement de base et dans l’augmentation des postes statuaires, le pouvoir politique s’est concentré sur les réformes structurelles, dont entre autres la création de l’Agence nationale de la recherche (ANR), et sur la mise en place des aides pour le secteur privé afin d’augmenter ses efforts dans les R&D, notamment par des incitations fiscales ou la réduction des cotisations sociales.
Ce conflit s’est produit dans un climat économique tendu avec une dette publique croissante d’un côté et des perspectives de croissance mitigés de l’autre. Finalement, ni l’une ni l’autre de ces visions n’ont pu s’imposer, mais seulement une sorte de compromis.
Les efforts de réforme ont néanmoins incité des changements importants et, vu de l’extérieur, le système et ses acteurs évoluent. Quelques indices : de nombreuses universités sont aujourd’hui devenues des actrices scientifiques confirmées et visibles au niveau international. L’Université de Saclay, nouvellement fusionnée, a même réussi à se hisser dans le top 20 du classement de Shangaï comme premier établissement français.
La France est de plus en plus considérée comme une « start-up nation ». Les nombreux instruments destinés à faciliter le transfert de la recherche et sa valorisation comme les pôles de compétitivité ont du succès. La question du capital-risque a été reconnue et fait l’objet de négociations au niveau européen, accéléré par les besoins de développement biotechnologique révélés par la pandémie. La participation française aux programmes-cadres européens de recherche (PCRD) a augmenté.
Pour la première fois dans l’histoire de la France, c’est une enseignante-chercheuse, expérimentée en gestion universitaire, Frédérique Vidal, qui occupe le poste de ministre d’un ministère qui englobe l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation dans son ensemble. L’anglais est pratiqué comme langue des sciences et des affaires par les institutions, qui aussi restent fières du français et continuent de le promouvoir comme langue mondiale.
Mais la crise de la Covid-19 a frappé la France au beau milieu de cette transformation. La mise au point de médicaments est un domaine particulièrement axé sur le transfert du savoir entre la recherche fondamentale et les entreprises. Pourquoi cela pose un défi en France plus qu’ailleurs ?
L’État central est réticent à renoncer à son contrôle
En France, l’État central est le garant de la République. Il planifie, il contrôle et il protège. En même temps, il a tendance à réglementer fortement. La recherche fondamentale, quant à elle, nécessite un financement constant sans pouvoir garantir des résultats concrets : les innovations ne peuvent être planifiées. Ainsi, en dehors du fait que l’État doit s’assurer d’un emploi à bon escient des fonds alloués, il faut de la confiance et de la volonté d’ouverture quant aux résultats éventuellement aléatoires dans les rangs des acteurs ministériels.
Toutefois, malgré les changements structurels, la tendance à allouer des fonds en fonction des objectifs de développement définis politiquement et selon le principe de résultats ex ante plutôt qu’ex post n’a pas encore été complètement surmontée.
Ce problème de confiance est aggravé par les pratiques de recrutement de l’État. Ainsi, les candidats aux plus hautes fonctions administratives du pays sont encore majoritairement formés dans des écoles supérieures sélectives, communément appelées grandes écoles. Elles sont le symbole par excellence du principe de méritocratie qui est l’un des fondements de la société française.
En conséquence, une remise en question sérieuse de leur rôle dans le système de l’enseignement supérieur et de la recherche reste difficile, surtout en ce qui concerne la tension entre leur droit de sélection de leurs étudiants et le principe de non-sélectivité de l’accès aux universités. Ce dernier se base sur un autre principe fondateur de la société française, l’égalité. La réponse politique à cette tension a visé surtout les formations universitaires, pour lesquelles les bacheliers doivent être mieux « orientés » pour éviter un échec.
Pour l’instant, ce problème de l’inégalité d’accès aux élites administratives persiste, et les écoles supérieures continuent de contribuer à une sorte de fuite des cerveaux en interne : même si les cursus universitaires deviennent de plus en plus attractifs, ce sont ces écoles qui restent « la voie royale ».
Cette situation pose un problème pour la capacité d’innovation, dans la mesure où l’accès de leurs diplômés aux hauts postes de l’administration restreint l’accès de titulaires de doctorats qui apportent avec eux de nombreuses années d’expérience dans la recherche. Est-ce que ces anciens élèves des grandes écoles, quand ils occupent des postes de responsabilité financière dans les ministères, ont confiance dans les performances du secteur universitaire et de la recherche, qui leur reste largement inconnu ?
Ce manquement a été mis en lumière de manière symptomatique par les différents obstacles financiers et bureaucratiques qu’ont rencontré les scientifiques universitaires qui travaillent sur des solutions à la crise de la Covid-19. Là aussi, les choses bougent et les mentalités changent. La reconnaissance du doctorat s’améliore. Les écoles supérieures multiplient elles-mêmes les initiatives de diversification, avec des résultats mitigés cependant. Et Emmanuel Macron a annoncé la suppression de l’École nationale d’administration (ENA) et – plus important encore – son intention de supprimer trois grands corps de l’État, dont celui de la très influente Inspection générale des finances. Mais au milieu de la crise de la Covid-19, la problématique semble encore persistante.
Un autre aspect est le défi posé à l’État central par la mondialisation. Depuis l’ouverture de l’économie française vers le marché mondial sous François Mitterrand, dans les années 1980, on constate une fracture croissante dans la société [5].
La France est une des plus grandes économies du monde (à la 7e place depuis 2017) et de nombreuses entreprises se sont très bien intégrées dans le marché mondial. Dans son ensemble, le pays a bénéficié de la mondialisation économique. Cependant, plus de la moitié de la population française garde une mauvaise opinion à son encontre. Seule une plus petite partie, notamment les moins de 35 ans, y voit plus d’opportunités que de risques.
Derrière cette attitude critique à l’égard de la mondialisation se cache, d’une part, l’inquiétude de la perte du modèle social français, que l’État promet de protéger, et, d’autre part, le rejet d’une supposée hégémonie anglo-américaine et néolibérale [6]. Il n’est pas improbable que ce scepticisme affecte également la coopération entre les entreprises et le monde scientifique, si important pour le développement de nouvelles solutions et produits. Cette hypothèse nécessiterait une enquête empirique plus détaillée.
Les structures qui ont évolué au fil des siècles ont une grande persistance.
Jusque dans les années 1980, chaque domaine du système d’innovation français remplissait de manière fiable sa mission principale : enseignement supérieur pour la majorité des étudiants dans les universités ; recherche fondamentale et de plus en plus appliquée dans les organismes de recherche tels que le CNRS ; formation de cadres et d’ingénieurs pour l’État et l’industrie dans les écoles supérieures ; développement et mise au marché de nouveaux produits dans les grandes entreprises industrielles.
L’histoire de cette répartition claire des missions remonte au début de l’époque moderne, et c’est ce qui la rend si difficile à surmonter dans la période comparativement courte de vingt ans. Dès cette époque, des institutions de recherche ont été créées à côté des universités auxquelles se sont ajoutées, à partir du milieu du XVIIIe siècle, des écoles supérieures spécialisées pour la formation d’experts dont l’État avait besoin. Parmi les exemples les plus connus, citons le Collège de France, fondé en 1530, ou l’École normale supérieure (ENS), créée en 1794.
Napoléon Bonaparte a ensuite consolidé le rôle des universités en tant qu’institutions centrées sur les lieux d’enseignement supérieur sous le contrôle strict du ministère de l’Éducation – à tel point que ce n’est qu’à la fin des années 2000, dans le cadre des réformes susmentionnées déclenchées par la concurrence internationale, qu’ils ont réussi à élargir significativement leur champ d’action (discuté sous le mot-clé « autonomie »).
Cette division du système existe aussi dans d’autres pays, mais elle reste très prononcée en France. Ceci étant dit, il est utile d’ajouter que la division au niveau institutionnel n’empêche pas l’existence d’une collaboration vivante au niveau des laboratoires publics eux-mêmes.
La division public/privé commence aussi à être surmontée, mais le changement sera de longue durée. En effet, jusqu’en 1999, il était quasiment impossible pour les chercheur(e)s ou les enseignant(e)s-chercheur(e)s du service public, titularisés à vie, de créer une entreprise – et en conséquence, très peu d’entre eux auraient pu y songer à cette époque. Ce sont donc des ingénieurs des écoles supérieures qui travaillaient dans les laboratoires R&D des entreprises, où ils continuent à être prédominants. Ainsi, seuls 12 % du personnel R&D des entreprises ont un doctorat (et donc un parcours, au moins en partie, universitaire).
Une recherche de qualité nécessite un financement adéquat
Le sous-financement de la recherche en comparaison internationale, diagnostiqué depuis la fin des années 1990, n’est que partiellement résolu. Ainsi, le taux d’investissement en R&D du PIB en France n’a jamais dépassé 2,3 %. Depuis 2007, les dépenses françaises en R&D augmentaient plus vite que le PIB lui-même, mais entre 2016 et 2018 cette tendance s’est inversée : alors que le PIB a augmenté de 2 % au cours de ces trois années, les entreprises n’ont dépensé que 1,7 % de plus en R&D, et le secteur public seulement 1 %.
Et même si l’objectif d’investir 3 % du PIB national en R&D est plus ou moins artificiel, il est un fait que la France continue à investir nettement moins que l’Allemagne ou le Royaume-Uni – ce qui a pu avoir un impact particulièrement négatif dans le cas de la technologie des médicaments, comme l’a analysé le CAE. Dans le domaine de la recherche en santé, entre autres, le financement de la recherche fondamentale a été réduit de plus d’un quart entre 2011 et 2018, alors qu’il a augmenté de manière significative en Allemagne (plus 11 %) et au Royaume-Uni (plus 16 %).
Bien que le financement public des projets scientifiques ait été étendu grâce à la création de l’ANR en 2005 et à des programmes d’investissement importants à partir de 2010 (les investissements d’avenir ou « grand emprunt », programme toujours en cours en 2021), ces mesures ne semblent toujours pas suffire. Le taux de sélection des projets pour l’obtention d’un financement de l’ANR, de 16,2 % en 2019 (pour un budget de un milliard d’euros), reste très bas, ce qui frustre les nombreux candidats.
Le tableau complet comprend également le fait que les scientifiques du secteur public continuent d’être mal payés par rapport aux autres pays membres de l’OCDE, ce qui peut poser un problème face à une compétition internationale pour les talents scientifiques, même si, une fois titularisé, le salaire est complété par une grande sécurité d’emploi et sociale. Il est plus qu’anecdotique que deux des entreprises pharmaceutiques qui ont développé avec succès un vaccin contre la Covid-19, Moderna et AstraZeneca, soient dirigés par des Français qui ont tous les deux étés formés dans une prestigieuse école supérieure pour ensuite mener des carrières internationales dans le secteur de la santé.
La stratégie politique d’augmenter les dépenses R&D du secteur privé notamment par des incitations fiscales importantes reste controversée. Ainsi, le Crédit d’Impôt Recherche coûte désormais plus de six milliards d’euros par an – deuxième place au sein de l’OCDE. Et les investissements des entreprises en R&D ont augmenté, mais – là encore – pas de manière significative. D’ailleurs, elles diminuent depuis des années précisément dans… le secteur pharmaceutique.
Le changement prend du temps – et nécessite des financements
Les évènements récents autour de la société de biotechnologie Valneva montre parfaitement la transformation encore à mi-chemin de l’innovation dans la recherche en France : cette entreprise franco-autrichienne, dont le siège est situé à Saint-Herblain, en périphérie de Nantes, est la première en France à avoir réussi à entrer en phase 3 d’essai clinique d’un vaccin anti-Covid-19 mi-avril 2021, étape finale avant la demande d’admission. C’est le premier candidat vaccin à base de virus entier inactif à y arriver.
Alors, enfin un succès français en vue ? Pas vraiment, puisque cette phase 3 sera réalisée entièrement au Royaume-Uni, avec le soutien des administrations britanniques et où les premières doses du vaccin, s’il est validé, seront produites et utilisées. Le site de production se trouvant déjà en Grande Bretagne, on pourrait argumenter que la suite des choses est logique. Mais en y regardant plus près, on peut constater que Valneva a pu se développer, à partir de 2013, notamment par le biais du soutien public à l’innovation en France, grâce à la banque d’investissement Bpifrance – l’État, par cette banque, détient 8 % de la société.
Un investissement public important a donc été réalisé pour permettre à cette jeune entreprise en biotechnologie de se développer. Mais au début de l’été 2020, alors que l’essai à grande échelle de son candidat vaccin anti-Covid-19 est prêt à être lancé, Valneva n’a pas trouvé les fonds nécessaires en France. Une voix du laboratoire souligne la réticence des autorités françaises de s’investir à fond dans cette entreprise relativement jeune à cause de la préférence pour les projets des « champions confirmés » Sanofi et Institut Pasteur.
Les autorités britanniques ont saisi l’opportunité : elles ont confirmé, en été 2020, avant même le lancement de la phase 3 (qui a ainsi eu lieu ce dernier mois), une commande de 60 millions de doses de vaccins et ont financé l’élargissement du site de production. Les prochains mois montreront qui a pris la bonne décision.
La conclusion préliminaire reste alors mitigée : la pandémie mondiale et le besoin rapide de vaccins ont mis à nu les forces et les faiblesses du système d’innovation français sous la forme d’un test de performance en temps réel. Elle montre que les processus engagés n’atteignent pas encore les résultats souhaités dans tous les domaines.
Le changement est lent en raison des racines historiques, mais aussi parce que les efforts financiers consentis jusqu’à présent, notamment dans la recherche fondamentale, ne sont pas suffisants.
Une première version de cette analyse a été publiée en allemand en février 2021 sur le site de l’Université de Leipzig.