Médias

Fusion TF1 / M6 : la grande illusion

Économiste, Avocat

Le 17 mai dernier, le projet de rachat de M6 par TF1 a été officialisé. Une fusion entre « la petite chaîne qui monte » et la première chaîne française qui nous est présentée partout comme inéluctable. À en croire la campagne de communication, il en irait de la survie de ces médias. Dans ce nouveau texte en échos au podcast Public Pride, les auteurs montrent que la réalité est loin d’être aussi simple. Elle peut même légitimement susciter l’inquiétude quand des acteurs publics soutiennent la nécessité de créer des acteurs audiovisuels forts, sans créer les garde-fous qui permettraient de protéger les journalistes face à l’ingérence de l’actionnariat.

Parole aux mastodontes pour commencer, et présentation des acteurs en présence : deux groupes à la capitalisation boursière à neuf zéros : 1,8 milliard d’euros pour le groupe TF1 et 2,2 milliards pour le groupe M6. Ce dernier, contrôlé jusqu’alors par le groupe allemand Bertelsmann, a été mis en vente fin 2020, suscitant de nombreuses convoitises.

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Des candidatures aussi variées que celles de Vivendi (Vincent Bolloré [1]), Czech Media Invest (Daniel Kretinsky [2]), Mediawan (Pierre-Antoine Capton, Xavier Niel et Matthieu Pigasse [3]), Mediaset (Silvio Berlusconi), NRJ Group (Jean-Paul Baudecroux), ou encore Altice (Patrick Drahi [4]) ont été évoquées, laissant au vendeur l’embarras du choix. Au final, c’est donc TF1 qui a été choisi, Bertelsmann ayant annoncé au mois de mai 2021 son souhait de céder 30 % du capital de M6 à Bouygues pour 641 millions d’euros, Bouygues devenant de ce fait l’actionnaire de contrôle [5].

Spécificité très française, la presse s’est fait l’écho de l’opération en précisant que TF1 aurait été « le choix privilégié par l’Elysée ». La ministre de la Culture elle-même a par ailleurs laissé entendre qu’elle serait favorable à l’opération, en arguant de la nécessité de créer des « acteurs forts » dans l’audiovisuel. En France, le contrôle des concentrations ne relève pourtant plus du pouvoir exécutif (ce dont on peut se réjouir), puisqu’en 2008, le Parlement a transféré cette prérogative du ministère de l’Économie à l’Autorité de la concurrence, qui est une autorité administrative indépendante du pouvoir politique [6]. Ce transfert de compétence visait précisément à mettre un terme aux ingérences politiques sur un sujet aussi technique qu’essentiel pour le bon fonctionnement de l’économie, mais certaines vieilles habitudes demeurent.

Il reviendra ainsi à l’Autorité de la concurrence, après avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), de décrypter les arguments avancés par TF1 pour déterminer si cette opération est de nature à affec


[1] Vincent Bolloré contrôle, via sa participation de 27 % dans Vivendi, CNews, Canal+ et C8, et il est sur le point de contrôler, via la participation de 27 % de Vivendi dans Lagardère, Europe 1, Le Journal du Dimanche et Paris Match.

[2] Daniel Kretinsky a récemment acquis Marianne, la quasi-totalité des magazines de Lagardère Active et est également entré au capital du groupe Le Monde.

[3] Xavier Niel et Matthieu Pigasse sont actionnaires du groupe Le Monde via différentes sociétés. Xavier Niel contrôle également notamment France Antilles, Nice Matin, et La Provence.

[4] Patrick Drahi détient via le groupe Altice/SFR, BFMTV, RMC et il contrôle également Libération (via un fonds de dotation).

[5] Contrairement à ce qui avait été initialement envisagé – du moins par les commentateurs – RTL Group conserve au final 16 % du capital de M6, très probablement afin de faciliter les négociations auprès de l’Autorité de la concurrence.

[6] Même si l’Autorité de la concurrence a su faire preuve d’indépendance depuis sa création, il est utile de préciser que cinq des 17 membres de son « Collège », sont désignés directement par le pouvoir exécutif, en l’occurrence son président (qui est traditionnellement un conseiller d’état) et ses quatre vice-présidents.

[7] Le chiffre d’affaires des deux groupes a connu une baisse en 2020 du fait de la baisse des dépenses publicitaires dans le contexte de la crise sanitaire de la Covid-19, mais les chiffres du premier trimestre 2021 montrent que cette situation était purement conjoncturelle (croissance de 3,2 % du chiffre d’affaires du groupe TF1 au premier trimestre 2021, chiffre d’affaires stable pour M6 hors effets de déconsolidation).

[8] Cour d’appel de Paris, 17 juin 1992 : RJDA 1992, n° 843.

[9] L’Autorité de la concurrence estime également que le marché de la télévision payante (sur abonnement comme Canal+) n’est pas substituable à celui de la télévision gratuite (qui fonctionne uniquement avec la publicité comme TF1 et M6). L’Auto

Julia Cagé

Économiste, Professeure à Sciences Po Paris

Benoît Huet

Avocat, Enseignant en droit des sociétés et droit des médias à l'Essec Business School

Notes

[1] Vincent Bolloré contrôle, via sa participation de 27 % dans Vivendi, CNews, Canal+ et C8, et il est sur le point de contrôler, via la participation de 27 % de Vivendi dans Lagardère, Europe 1, Le Journal du Dimanche et Paris Match.

[2] Daniel Kretinsky a récemment acquis Marianne, la quasi-totalité des magazines de Lagardère Active et est également entré au capital du groupe Le Monde.

[3] Xavier Niel et Matthieu Pigasse sont actionnaires du groupe Le Monde via différentes sociétés. Xavier Niel contrôle également notamment France Antilles, Nice Matin, et La Provence.

[4] Patrick Drahi détient via le groupe Altice/SFR, BFMTV, RMC et il contrôle également Libération (via un fonds de dotation).

[5] Contrairement à ce qui avait été initialement envisagé – du moins par les commentateurs – RTL Group conserve au final 16 % du capital de M6, très probablement afin de faciliter les négociations auprès de l’Autorité de la concurrence.

[6] Même si l’Autorité de la concurrence a su faire preuve d’indépendance depuis sa création, il est utile de préciser que cinq des 17 membres de son « Collège », sont désignés directement par le pouvoir exécutif, en l’occurrence son président (qui est traditionnellement un conseiller d’état) et ses quatre vice-présidents.

[7] Le chiffre d’affaires des deux groupes a connu une baisse en 2020 du fait de la baisse des dépenses publicitaires dans le contexte de la crise sanitaire de la Covid-19, mais les chiffres du premier trimestre 2021 montrent que cette situation était purement conjoncturelle (croissance de 3,2 % du chiffre d’affaires du groupe TF1 au premier trimestre 2021, chiffre d’affaires stable pour M6 hors effets de déconsolidation).

[8] Cour d’appel de Paris, 17 juin 1992 : RJDA 1992, n° 843.

[9] L’Autorité de la concurrence estime également que le marché de la télévision payante (sur abonnement comme Canal+) n’est pas substituable à celui de la télévision gratuite (qui fonctionne uniquement avec la publicité comme TF1 et M6). L’Auto