Politique

Acceptation sociale : de l’idéal au faisable

Politiste, Chercheur en gestion

L’allocution d’Emmanuel Macron du 12 juillet, annonçant notamment la vaccination obligatoire pour les personnels soignants, offre l’occasion de s’interroger sur la notion d’acceptation sociale. Loin de toute instrumentalisation politique, il est temps de se tourner vers les sciences sociales pour redonner une définition rigoureuse de cette notion très souvent mobilisée par la puissance publique pour expliquer certaines décisions face à la pandémie, notamment pour justifier ou exclure les mesures les plus contraignantes.

Dans un précédent papier publié dans AOC, nous nous interrogions sur la percée de la notion d’acceptabilité sociale dans la novlangue des acteurs politiques et de ceux qui commentent leurs actions. La notion apparaît pourtant dans les années 1980. Elle est utilisée de l’autre côté de l’Atlantique, dans les milieux de l’aménagement et de l’exploitation des ressources naturelles. Les activités des entreprises ont des impacts physiques et socio-économiques forts. Elles génèrent des nuisances environnementales et interrogent la santé publique. Ces préoccupations s’installent et se renforcent dans les années 2000.

En France, des entreprises comme EDF mettent en place des « stratégies d’acceptabilité » territoriales [1]. Elles accompagnent ainsi la montée des revendications environnementales et de la contestation de la société face à un laisser-faire écologique de plus en plus perçu comme dangereux. Mais la résistance croissante aux politiques publiques, la diversification des mouvements sociaux contre de « grands projets inutiles et imposés », la crise de légitimité des représentants et de l’État renforcent encore le recours à la notion dans l’aménagement des territoires et plus largement l’intervention publique.

publicité

Dans le même temps, l’acceptabilité sociale prend place dans la littérature scientifique. En sciences sociales, les disciplines scientifiques qui y ont recours se diversifient : psychologie, sociologie, géographie, économie, gestion [2].  Au cours des années 2010, son usage est devenu courant dans les études sur l’environnement, l’aménagement et les nouvelles technologies. C’est là encore le cas de l’autre côté de l’Atlantique, parce que s’y développent de grands projets de centrale ou d’exploitation minière, par exemple, mais le mouvement est international. Les experts en santé publique et en transport l’intègrent à leur tour dans leur boite à outils conceptuels. Il en est de même pour les études sur l’intégration des nouvelles technologies, à l’exemple du contrôle automatisé des vitesses [3].

Plus récemment, l’acceptabilité sociale passe des sciences sociales au langage courant. Elle s’impose sur les chaines de télévision, sous la plume des éditorialistes et dans le vocabulaire des décideurs français. Dans le langage courant, elle renvoie à l’acceptation des décisions ou des (grands) projets par le public ou le (grand) public. Elle exprime un jugement collectif porté sur un projet (industriel, par exemple) ou une intervention publique (un confinement, un couvre-feu, un programme de vaccination !). Elle renvoie à des valeurs et des croyances partagées à un moment donné.

Elle remplace alors d’autres notions, telles que l’adhésion, l’assentiment, le consentement ou l’approbation qui, en sciences sociales, sont complémentaires mais distinctes. La notion apparait aussi proche, sans pouvoir se confondre, des notions de tolérance, d’obéissance et de légitimité. Un usage croissant, relâché et étendu à de nouvelles arènes publiques rend aujourd’hui la notion et son usage incontournables mais toujours plus ambigus. Son instrumentalisation et la difficulté de lui donner une définition rigoureuse rendent souvent cet usage purement rhétorique et sans réel apport à la compréhension de l’action publique. Comment alors prendre au sérieux le recours à l’acceptation sociale dans la justification de l’action publique ?

De la mesure d’un travail à la quête de l’approbation politique

La notion peut être utilisée avec sérieux, à condition que la mesure ne conduise pas à jeter un voile sur la quête à laquelle elle donne lieu ! L’acceptation sociale renvoie à un état de fait, à une perception a posteriori d’une activité ou d’un programme achevé ; là où l’acceptabilité sociale renvoie à une perception antérieure à la mise en œuvre d’une action publique. Cette dernière figure évidemment un processus non achevé et sur lequel il est possible de travailler.

Il en est cependant de même de l’acceptation sociale. Celle-ci est moins donnée que construite, sur un territoire, dans la continuité comme sur le temps long. Elle est socialement construite par des stratégies, par des actions et le recours à différentes « techniques » : la libre participation, l’enrôlement, l’expérimentation en sont quelques exemples. Le degré d’acceptabilité et aussi d’acceptation est donc bien le résultat d’un travail politique de légitimation de l’action publique ou plus précisément encore le résultat d’une mesure de la réussite d’un travail politique.

Si le travail de construction de l’acceptation est essentiel, il ne doit pas masquer qu’il s’agit d’abord d’une mesure. Le degré d’acceptation peut être mesuré, à partir d’indicateurs montrant le rejet du programme (boycott, manifestations de violence, amendement ou arrêt du programme…), la tolérance (menaces, contournement, développement d’outils de contrôle) ou l’approbation (collaboration avec l’entreprise, gestion conjointe, caution communautaire…) voire l’adhésion.

Mais le plus souvent, l’acceptabilité et l’acceptation sociales sont objectivés par les résultats de sondages d’opinion publique, avec les possibilités qu’il offre (de saisie des représentations, de catégorisation des destinataires, de suivi de cohortes) mais aussi toutes les limites, incertitudes et usages qui peuvent en être faits par les acteurs politiques.

Dans cette logique, l’acceptation peut devenir un but, un objectif à atteindre pour les décideurs politiques et leurs co-gouvernants (les agents d’une entreprise ou de l’administration, par exemple) plus qu’un élément d’évaluation de la réussite ou de l’échec de l’action entreprise. De ce point de vue, qu’elle soit processus ou résultat, la mesure de l’acceptation sociale a une visée clairement instrumentale. Il n’est d’ailleurs pas illégitime que ceux qui fabriquent l’action publique tiennent compte de l’environnement dans lequel ils agissent et cherchent le soutien des différentes parties prenantes. Pour autant, certains y voient une attente toute technocratique : la volonté de « faire accepter » ou faire approuver des choix pré-établis à la population ciblée.

De l’idéal au faisable !

La quête de l’acceptation trahit la prétention de voir les destinataires des politiques publiques se conformer aux attentes des élus et/ou experts. S’interroger sur l’acceptabilité sociale trahit alors un refus de la part des gouvernants et concepteurs de se remettre en cause, d’interroger le dessin et la conduite des projets qu’ils portent. De ce point de vue, si la notion d’acceptation a le mérite d’intégrer le conflit comme une évidence dans l’intervention publique, elle ouvre en même temps à une approche plus gestionnaire. Au-delà de la quête de l’approbation, il s’agit bien de réfléchir aussi à comment (mieux) gérer les actions visant à « rendre acceptable » le projet [4] !

La question de l’acceptabilité ouvre la question de la faisabilité des programmes et celle des moyens d’éviter des mouvements de contestation ou de résistance qui peuvent se révéler paralysants pour l’action publique. L’usage de la notion opère un glissement de sens permettant de passer de l’idéalisme au réalisme ! La notion déplace les interrogations de l’efficacité à la faisabilité de l’action publique. Il s’agit d’envisager ce qu’il est politiquement opportun de faire à un moment et dans un contexte donnés.

Plusieurs mobilisations sociales récentes et fortes (des bonnets rouges aux gilets jaunes), émeutes (à l’encontre du confinement aux Pays-Bas) et arrêt de programmes ambitieux (Notre Dame des Landes) montrent tout l’intérêt, pour les gouvernants, de se préoccuper de l’acceptation des décisions qu’ils prennent ! L’acceptation devient alors autant un instrument de pilotage que l’une des modalités de justification de l’action gouvernementale ou administrative.

On pourrait aller jusqu’à souligner que la quête de l’approbation l’emporte ordinairement sur le souci de mesure. L’acceptation sociale reste le plus souvent envisagée en amont de l’action, pour préparer le lancement d’un programme et anticiper les réactions des parties prenantes. Le rôle de l’acceptation dans la co-construction de l’action publique est ainsi bien plus rarement envisagé, ce qui peut en limiter la portée et l’intérêt, notamment dans la conduite de projets complexes à fort impact social et sociétal.


[1] Arthur Jobert, « Le sens territorial : acceptabilité et dynamiques de professionnalisation de la relation aux parties prenantes à Électricité de France », thèse de doctorat en sociologie, 2020.

[2] Samuel Depraz et al., Acceptation sociale et développement des territoires, ENS Éditions, 2015.

[3] Fabrice Hamelin (dir.), Les radars et nous, L’Harmattan, 2008.

[4] Emmanuel Raufflet et Chantale Mailhot (dir.), « Controverse et acceptabilité sociale des projets de développement économique », Éthique publique, vol.18, n°1, 2016.

Fabrice Hamelin

Politiste, Maitre de conférences HDR en science politique, université Paris-Est Créteil (UPEC)

Olivier Meier

Chercheur en gestion , Professeur des Universités et Directeur de l’Observatoire ASAP (Action Sociétale et Action Publique)

Notes

[1] Arthur Jobert, « Le sens territorial : acceptabilité et dynamiques de professionnalisation de la relation aux parties prenantes à Électricité de France », thèse de doctorat en sociologie, 2020.

[2] Samuel Depraz et al., Acceptation sociale et développement des territoires, ENS Éditions, 2015.

[3] Fabrice Hamelin (dir.), Les radars et nous, L’Harmattan, 2008.

[4] Emmanuel Raufflet et Chantale Mailhot (dir.), « Controverse et acceptabilité sociale des projets de développement économique », Éthique publique, vol.18, n°1, 2016.