Manifeste pour la science sociale

« Il est intéressant d’observer un talus enchevêtré, tapissé de nombreuses plantes de toutes sortes, tandis que des oiseaux qui chantent dans les fourrés, que divers insectes volètent çà et là, et que des vers se glissent en rampant à travers la terre humide, et de penser que ces formes à la construction recherchée, si différentes les unes des autres, et qui dépendent les unes des autres d’une manière si complexe, ont toutes été produites par des lois qui agissent autour de nous. » (Charles Darwin, L’Origine des espèces, 1859) [1].
Après plus de cent cinquante ans d’existence, force est de constater que les sciences dites « humaines » et « sociales [2] » peinent à être des sciences comme les autres, rendant difficile la tâche consistant à imposer l’évidence de ses résultats ou de ses principaux acquis. On pourrait imputer une partie de la responsabilité de cette situation au (mauvais) traitement politique des sciences sociales ou au caractère tardif et très limité de son enseignement, et l’on n’aurait pas tort. Mais le problème vient d’abord de l’intérieur même de ce domaine de connaissances.
Si beaucoup de chercheurs en sciences sociales sont convaincus de la nécessité de se montrer rigoureux dans l’argumentation et l’administration de la preuve et produisent des travaux robustes tout à fait dignes d’intérêt, bien peu au fond croient que les sciences sociales puissent devenir un jour des sciences comme les autres (sciences de la matière et de la vie notamment), capables de produire de la cumulativité scientifique et d’énoncer des lois générales du fonctionnement des sociétés. Des savoirs sans foi (scientifique) ni lois peuvent-ils être vraiment scientifiques ?
À la fragilité interne de ces sciences, s’ajoutent plusieurs facteurs contribuant à brouiller un peu plus les messages qu’elles peuvent transmettre. Les sciences sociales ont laissé se développer en leur sein une division du travail mal contrôlée qui engendre une multitude de travaux disciplinaireme