Une science sociale ? En réponse amicale à Bernard Lahire
L’ambitieux programme esquissé par Bernard Lahire dans son récent manifeste pour « la » science sociale, présentée au singulier, sonne comme une rupture avec un ensemble de réflexions épistémologiques qui ont marqué les sciences historiques et sociales depuis près d’un demi-siècle. Les remarques qui suivent n’entendent pas porter un jugement sur la fécondité et la faisabilité de ce projet : ses conditions de félicité dépendent selon l’auteur de l’existence de réunions mensuelles d’un groupe privé (le groupe Edgar Theonick, conçu à l’image du groupe de mathématiciens Bourbaki) et du soutien « enthousiaste » d’une maison d’édition, La Découverte. Le lecteur n’en saura pas plus. On ne peut que souhaiter le meilleur à l’entreprise et l’on est curieux de voir ses premiers résultats.

Parmi les points positifs du manifeste, on doit signaler l’ouverture aux sciences cognitives et aux sciences biologiques pour rendre compte du comportement humain en général : il s’agit d’une rupture évidente avec les excès du constructionnisme social et les historicisations excessives qui ont accompagné l’institutionnalisation en France de la sociologie : celles-ci ont servi trop souvent de bréviaire idéologique à des travaux répétitifs et sans imagination. Sur ce point, Bernard Lahire prend, au moins implicitement, ses distances avec un ensemble de positions largement répandues, qu’on pourrait dire « sociocentristes », et qui font du déterminisme social la clé de toutes les analyses.
On peut ajouter le fait que, si l’on veut mettre au jour les invariants du comportement humain dans leur dimension transhistorique, entreprise tout à fait légitime, on est inévitablement conduit à faire passer au second plan la problématique de « l’homme pluriel » que l’auteur a défendu naguère avec succès[1].
Venons-en à la rupture qu’envisage Bernard Lahire. Il enterre en n’en parlant pas deux ouvrages qui ont eu un rôle prééminent dans les sciences sociales au cours des dernières décennies. Le prem