Société

Tournant antilibéral de la laïcité ou retour aux années 1930 ?

Politiste

Certaines mesures contenues dans la récente loi « confortant le respect des principes de la République » se justifient par le choc provoqué par l’assassinat, il y a un an, de Samuel Paty – notamment celles qui renforcent les sanctions contre les discours de haine tenus en ligne, ou bien celles qui protègent davantage les agents de l’État dans l’exercice de leurs fonctions. Mais c’est le « séparatisme », brandi au plus haut sommet de l’État, qui apparaît comme la principale justification d’un texte qui s’avère un tournant historique en matière de laïcité : une rupture avec 1905 et un retour aux années 30.

publicité

Depuis le début de son mandat, plusieurs discours du président de la République à la tonalité de plus en plus martiale ont scandé la gestation de la loi « confortant le respect des principes de la République », entretenant savamment le doute sur son contenu afin de monopoliser le débat et le prolonger jusqu’à la campagne présidentielle de 2022. Saisi de façon extrêmement sélective par des parlementaires, le Conseil constitutionnel a censuré quelques mesures seulement du texte.

Son adoption représente un tournant historique en matière de laïcité, même si elle s’inscrit aussi dans un durcissement impulsé au début des années 2000, comme le prouvent des emprunts à des propositions restées lettre morte et formulées par des gouvernements de droite. Que l’on songe à l’extension du principe de neutralité contenue dans les recommandations du député et vice-président de l’Assemblée nationale François Baroin en 2003, ou encore au « toilettage », pour reprendre un euphémisme d’alors, du régime des associations cultuelles, préconisé dans un rapport commandé en 2005 par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy[1].

Or, par-delà cette continuité, des analogies existent entre des dispositions de cette loi, ainsi que le contexte idéologique qui l’a rendue possible, et les années 1930. Si cette période est le plus souvent invoquée pour ses coups de boutoir contre la démocratie et la République, elle se caractérise également par une reprise en main autoritaire de l’exercice du culte musulman dans les départements français d’Algérie. Malgré le caractère irréductible de la situation coloniale, le contexte actuel nous y ramène inexorablement, au moins à un double titre : l’agitation d’une menace séparatiste qui serait incarnée par des groupements musulmans et, pour y répondre, la réforme du cadre juridique issu de la loi de 1905.

Une loi « attrape-tout »

À travers cette loi, l’exécutif cible tant de sphères sociales qu’il serait fastidieux de toutes les énumérer, mais c’est le


[1] Rapport de la « Commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics » présidée par le professeur de droit Jean-Pierre Machelon

[2] Patrick Weil montre que la « police des cultes » fut utilisée contre les opposants catholiques dès le lendemain de l’adoption de la loi de 1905. Même si elle est tombée en désuétude par la suite, elle est encore adaptée à la situation actuelle et ne demande qu’à être appliquée. Voir Patrick Weil, De la laïcité, Paris, Grasset, 2021, pp. 59-65.

[3] Alfred Le Chatelier, « Politique musulmane. Lettre à un conseiller d’État », Revue du monde musulman, volume XII, n° 9, 1910, p. 78.

[4] Gérald Darmanin, Le séparatisme islamiste. Manifeste pour la laïcité, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2021.

[5] Augustin Eugène-Berque, Le néo-wahabisme. Ses causes, ses réactions, Paris, Éditions du Cerf, 2018.

[6] Augustin-Eugène Berque, op. cit., p. 26 et suivantes.

[7] Gérald Darmanin, op. cit., p. 58.

[8] Gérald Darmanin, Plaidoyer pour un islam français. Contributions pour la laïcité, 2016, p. 5.

[9] Georges Hardy, Le problème religieux dans l’Empire français, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Mythes et religions », 1940, p. 38.

[10] Voir Raberh Achi, « « L’islam authentique appartient à Dieu, l’islam algérien à César ». La mobilisation de l’association des oulémas d’Algérie pour la séparation du culte musulman et de l’État (1931-1956) », Genèses, dossier « La parole est aux « indigènes » », n° 69, décembre 2007, p. 59.

[11] Cécile Chambraud, « Gérald Darmanin pour une départementalisation de l’organisation du culte musulman », Le Monde, 21 mars 2021.

[12] Luc Chatel, « Polémique après la suspension d’un imam dans la Loire », Le Monde, 30 juillet 2021.

[13] Le ministre de l’Intérieur à M. le vice-président du Conseil d’État, correspondance en date du 5 novembre 1934. Dossier « Projet de décret portant modification du décret du 27 septembre 1907 et des décrets subséquents relatifs à l’application

Raberh Achi

Politiste, Enseignant en sciences sociales

Mots-clés

Laïcité

Notes

[1] Rapport de la « Commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics » présidée par le professeur de droit Jean-Pierre Machelon

[2] Patrick Weil montre que la « police des cultes » fut utilisée contre les opposants catholiques dès le lendemain de l’adoption de la loi de 1905. Même si elle est tombée en désuétude par la suite, elle est encore adaptée à la situation actuelle et ne demande qu’à être appliquée. Voir Patrick Weil, De la laïcité, Paris, Grasset, 2021, pp. 59-65.

[3] Alfred Le Chatelier, « Politique musulmane. Lettre à un conseiller d’État », Revue du monde musulman, volume XII, n° 9, 1910, p. 78.

[4] Gérald Darmanin, Le séparatisme islamiste. Manifeste pour la laïcité, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2021.

[5] Augustin Eugène-Berque, Le néo-wahabisme. Ses causes, ses réactions, Paris, Éditions du Cerf, 2018.

[6] Augustin-Eugène Berque, op. cit., p. 26 et suivantes.

[7] Gérald Darmanin, op. cit., p. 58.

[8] Gérald Darmanin, Plaidoyer pour un islam français. Contributions pour la laïcité, 2016, p. 5.

[9] Georges Hardy, Le problème religieux dans l’Empire français, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Mythes et religions », 1940, p. 38.

[10] Voir Raberh Achi, « « L’islam authentique appartient à Dieu, l’islam algérien à César ». La mobilisation de l’association des oulémas d’Algérie pour la séparation du culte musulman et de l’État (1931-1956) », Genèses, dossier « La parole est aux « indigènes » », n° 69, décembre 2007, p. 59.

[11] Cécile Chambraud, « Gérald Darmanin pour une départementalisation de l’organisation du culte musulman », Le Monde, 21 mars 2021.

[12] Luc Chatel, « Polémique après la suspension d’un imam dans la Loire », Le Monde, 30 juillet 2021.

[13] Le ministre de l’Intérieur à M. le vice-président du Conseil d’État, correspondance en date du 5 novembre 1934. Dossier « Projet de décret portant modification du décret du 27 septembre 1907 et des décrets subséquents relatifs à l’application