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Du darwinisme en sciences humaines et sociales (1/2)

Philosophe, Philosophe, Philosophe

Il y a tout juste 150 ans paraissait The Descent of Man (La Filiation de l’homme), ouvrage dans lequel Darwin applique à l’homme sa théorie de l’évolution, l’inscrivant ainsi pleinement dans le continuum animal. Le cadre évolutionniste darwinien a ainsi donné naissance à de nombreuses approches dans les sciences humaines et sociales, que l’on peut classer en deux grands pôles : les perspectives qui héritent de l’écologie comportementale, comme la psychologie évolutionniste, et celles qui se situent plutôt dans la lignée de la génétique des populations, comme les théories de l’évolution culturelle.

Depuis La Filiation de l’homme, qui fête ses 150 ans cette année, on sait que la biologie de Darwin a des choses à dire sur l’humain. Une large gamme d’approches « évolutionnistes » a progressivement vu le jour[1]: l’économie évolutionniste ou la psychologie évolutionniste, mais aussi la critique littéraire darwinienne et l’éthique évolutionniste. D’autre part les sciences humaines et sociales (ci-dessous et selon l’usage, SHS) sont souvent décrites comme n’apparaissant pas aussi rigoureuses que les sciences de la matière ou de la vie – y compris par leurs propres chercheurs, comme le fait dans ces pages l’éminent sociologue Bernard Lahire. Pour autant, le darwinisme pourrait-il offrir une base d’une rigueur acceptable pour comprendre les activités et faits humains, comme le suggère précisément l’exergue de ce texte programmatique de Lahire ?

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Nombreux sont les exemples d’une telle ambition programmatique unifiante, en particulier depuis le cadre darwinien ; certains marquent justement l’actualité. Ainsi les Américains John Tooby et Leda Cosmides, fondateurs de la discipline qui porte le nom de psychologie évolutionniste, et récipiendaires ce mois-ci du prestigieux prix Jean Nicod, décerné par l’Institut éponyme, haut lieu des sciences cognitives en France, ont conçu un programme de recherche destiné à remplacer la « vision standard » des sciences anthropologiques en général, soit en réalité à remplacer les sciences sociales usuelles.

Ce programme est « naturaliste » au sens où il reconstruit l’anthropologie sur la base des sciences naturelles et leurs méthodes. Le naturalisme impose d’adhérer à la vision darwinienne de l’humain puisque, comme le soulignait l’éminent évolutionniste Theodosius Dobzhansky en une formule régulièrement citée : « nothing in biology makes sense except in the light of evolution » (« rien en biologie n’a de sens si ce n’est à la lumière de l’évolution »). Par exemple, selon ces auteurs et leurs continuateurs, il faudrait accepter que les différences entre les sexes – non seulement les différences d’anatomie, mais aussi les stratégies de choix de partenaire – ont évolué et se sont adaptées tout comme la coquille de l’escargot a évolué et s’est adaptée à son propre environnement.

Mais ce programme est loin d’être la seule manière de « darwiniser » les sciences sociales. L’ambition est presque aussi ancienne que la théorie de Darwin[2], et aujourd’hui de nombreux projets concurrents existent. Une multitude d’entre eux pourraient être rangés sous la bannière « théories de l’évolution culturelle », lesquelles constituent au fond une approche neuve de l’anthropologie, dont on trouve parmi les représentants la mémétique inaugurée par Richard Dawkins, l’épidémiologie des représentations conçue par Dan Sperber, la théorie de la coévolution gène-culture avancée par Richard Boyd et Peter Richerson, auxquels on devrait ajouter la puissante version développée récemment par Cécilia Heyes sous le nom de théorie des gadgets cognitifs… Si l’évolution culturelle n’a pas les ambitions « remplacistes » du programme initial de psychologie évolutionniste, reste que la question darwinienne en SHS est bien plus complexe que le seul affrontement, assez médiatisé, entre psychologues darwiniens et sociologues ou psychologues traditionnels.

Le présent article entend offrir un éclairage sur cette galaxie des humanités darwiniennes, en proposant quelques distinctions et thèses concernant les limites de ces approches. Il vise donc à explorer les perspectives d’une théorie unifiée du social qui intégrerait aussi les apports darwiniens, telle que Bernard Lahire l’appelait ici de ses vœux en souhaitant dépasser le nominalisme – soit, la focalisation sur des études de terrain rigoureuses sans recherche d’un cadre conceptuel commun – qui lui semble caractériser la sociologie d’aujourd’hui.

Les humains : espèce exceptionnelle ?

L’un des aspects les plus importants du darwinisme pour les questions relatives à l’humain est la thèse continuiste : étant un animal, qui comme tout animal a évolué d’espèces ancestrales, l’humain conserve, intacts ou légèrement modifiés, des traits de comportements ou cognitifs propres à ses proches ancêtres. Cette thèse contraint en conséquence les explications des faits humains et sociaux. Si on accepte aisément cette thèse continuiste pour les traits morphologiques, il est alors difficile de la nier dès qu’il est question de comportement ou de cognition, d’autant que, quoi qu’on pense du rapport esprit-cerveau, le substrat de ces comportements et cognitions reste un organe biologique.

Les faits humains ne sauraient donc être intégralement différents de ce qu’on trouve chez leurs proches cousins. C’était déjà la démonstration de L’expression des émotions chez l’homme et les animaux (1872), troisième ouvrage de Darwin, fondateur pour le champ des sciences humaines naturalisées. Il faut par conséquent expliquer pourquoi il y a des différences et, éventuellement, les expliquer par l’évolution de la famille des hominidés.

Ce continuisme est souvent lié à une seconde conséquence, éponyme d’un livre du philosophe Jean-Marie Schaeffer : « La fin de l’exception humaine ». Les normes d’explication du comportement et de la cognition des êtres humains ne sauraient être radicalement différentes des normes d’explication des faits animaux. L’homme fait partie de la nature ; il n’en est pas « maître et possesseur » comme chez Descartes. Et à l’inverse, les animaux non-humains ont une vie interne qui se rapproche étonnamment des émotions humaines : ils peuvent ressentir l’injustice ou la jalousie. Cette conséquence est soulignée, par exemple, par le primatologue Frans de Waal dans des ouvrages bien connus où les singes capucin (Cebus apella) qui reçoivent un concombre pour compléter une tâche se mettent en colère quand il voient leurs compagnes recevoir un raisin pour la même chose[3].

La thèse continuiste implique donc une distance entre l’espèce humaine et les autres espèces bien moins grande qu’on ne le croyait auparavant ; elle contraint simplement la compréhension des faits humains. Ni les traits morphologiques, ni ceux comportementaux et cognitifs ne rendent l’espèce humaine proprement exceptionnelle. Pour autant, personne ne dit qu’il n’y a pas de différences, ni qu’il n’y a pas de différences intéressantes.

Cette thèse continuiste fut en tout cas pour plus d’un siècle un des points les plus controversés du darwinisme. La conclusion que l’humain n’est pas « unique » était vue comme problématique du point de vue des religions monothéistes. Inversement, une stratégie de quelques darwiniens était (et est toujours) de dire que toute résistance à leurs thèses relève d’une résistance au continuisme, d’un exceptionnel attachement à la thèse de l’exceptionnalité.

Néanmoins, on peut reconnaître, sans atténuer la thèse continuiste, qu’il y a des caractéristiques biologiquement et écologiquement singulières concernant l’évolution de l’espèce Homo sapiens. Jusqu’à il y a peut-être 40 000 ou 50 000 ans au moins, Homo sapiens était un prédateur parmi d’autres. Son impact sur les écosystèmes était négligeable par rapport à aujourd’hui. Il était le produit d’une lignée d’espèces hominines, commençant pour certains paléontologues avec Sahelanthropus il y a 7 millions d’années et continuant avec Australopithecus et Homo habilis, la première espèce du genre Homo (2.8 millions d’années avant l’ère commune ou AEC).

Dans ce laps de temps, le cerveau des espèces hominines a grossi, mais de façon assez peu significative. Les cerveaux sont très chers d’un point de vue énergétique, et si Homo erectus a appris à contrôler le feu (1,5 millions AEC), d’autres espèces – les grand chats ou les loups – les dominèrent longtemps en termes de superficie occupée, ou de prédation.

Aujourd’hui, peut-on dire sans polémique, notre espèce n’a plus un impact négligeable. Nous nous occupons davantage (ou nous devrions nous occuper…) de conservation que de chasse, et plutôt de diminuer notre exploitation des ressources environnementales que de l’augmenter. Les enjeux de l’extinction des espèces ou du changement climatique sont bien connus. Mais ces problèmes eux-mêmes, possibles du fait de la globalité de l’empreinte humaine sur le monde, résultent d’une sorte de « succès » évolutif assez unique dans l’évolution. Que s’est-il donc passé ?

Pour comprendre cela, il convient de se tourner vers la biologie évolutive et notamment vers ce concept de « sélection naturelle » qui fait écho à l’idée de « succès » évolutif mais qui renvoie aussi à d’autres notions voisines, comme « la lutte pour l’existence » ou « la survie du plus apte » (survival of the fittest). Ce sont les principes darwiniens d’évolution par sélection naturelle qui aident à expliquer ce que nous sommes devenus depuis les premiers Homo, il y a 2,5 millions d’années.

La sélection naturelle : génétique des populations et écologie comportementale

Si Darwin, avec Wallace, a forgé cette si puissante hypothèse de sélection naturelle, dans les années 1940-1950 le darwinisme se combina à la génétique mendélienne pour produire la théorie évolutive moderne dite « théorie synthétique de l’évolution », selon des modalités analysées entre autres par Jean Gayon. Celle-ci est difficile à définir précisément, car cette « synthèse » autorisait tant de variations et de différends que certains historiens doutent aujourd’hui qu’elle ait été autre chose qu’un fait social.

Cependant, un noyau théorique peut tout de même être défini ainsi, d’après une remarque faite à Ernst Mayr, un des pères de cette « théorie synthétique », par Julian Huxley (le petit-fils de Thomas Henry), dont l’ouvrage de 1942, Evolution: the Modern Synthesis[4], a fourni par son titre le nom de la théorie classique. Huxley en 1954 lui écrit ceci : « Natural selection, acting on the heritable variation provided by the mutations and recombination of a Mendelian genetic constitution, is the main agency of biological evolution[5]. » (« La sélection naturelle, qui agit sur la variation héréditaire produite par les mutations et la recombinaison d’une constitution génétique mendélienne, est l’agent principal de l’évolution biologique. »)

La sélection naturelle est donc la force majeure (« l’agent principal ») qui agit sur un objet, les « populations mendéliennes » (des populations dont l’hérédité est instanciée par les gènes, dont la réplication suit les lois statistiques établies par Mendel), de telle sorte qu’il existe essentiellement des variations héritables entre les individus et que celles-ci sont produites par les mutations et recombinaisons.

Mais il faut ici comprendre qu’autour de ce noyau, la biologie évolutive se subdivise en plusieurs champs qui abordent des questions différentes et accordent une place différente à la sélection naturelle. Ainsi, développée dans les années 1930 à partir des travaux de Ronald Fisher[6], Sewall Wright et JBS Haldane et socle de la théorie synthétique de l’évolution, la génétique des populations étudie le processus même de changement de fréquences géniques[7] dans les populations. Elle explicite en quelque sorte la dynamique de l’évolution par sélection naturelle.

Elle montre que des petites différences d’avantage sélectif (dites aussi de « fitness[8] ») mènent à l’accumulation de petites variations génétiques qui se fixent dans la population les unes après les autres, et finissent par donner de nouveaux morphotypes dans cette population puis (sous certaines conditions écologiques, géographiques, etc.) de nouvelles espèces.

D’autre part, l’écologie comportementale, née dans les années 1950-1960 de l’introduction des méthodes darwiniennes en éthologie et de l’intégration d’outils mathématiques venus de l’économie, étudie, elle, les traits biologiques des organismes comme de possibles résultats de la sélection naturelle, en droite ligne de Darwin mais via des modèles mathématiques qui lui étaient inconnus. Le temps d’approvisionnement (foraging) des animaux ou la taille des couvées sont deux exemples d’objets majeurs d’investigation.

Même si dans les dernières décennies d’autres méthodes plus complexes sont apparues, qui tendent à combler un peu cette séparation qui apparaît ici comme un fossé, pareille différence disciplinaire entre génétique des populations et écologie comportementale peut se concevoir comme l’existence de deux pôles épistémiques ou méthodologiques entre lesquels se répartissent aujourd’hui les approches.

Cette division des pôles est fondamentale car, là où l’écologie comportementale recherche comment les traits des organismes résultent de la sélection naturelle, et donc par rapport à quoi ils sont des adaptations, la génétique des populations considère les populations comme des cibles sur lesquelles agissent quatre forces : la sélection naturelle, mais aussi la mutation, la migration, et un effet stochastique inversement proportionnel aux tailles de population, appelé dérive génétique (voir les analyses classiques d’Elliott Sober en 1984[9]).

Le profil génétique des populations résulte de la combinaison de ces quatre forces : quand la sélection est dominante, alors émerge ce qui intéressait Darwin au premier chef, à savoir des adaptations, c’est-à-dire des traits qui ajustent les organismes à leur environnement. Ces traits sont parfois complexes, quand cette sélection est cumulative : typiquement, l’œil dont la complexité a toujours fasciné et (donc) attiré les penchants théologiques et téléologiques. Mais la génétique des populations conçoit de nombreux cas où la sélection ne l’emporte pas : par exemple, lorsque la population est petite, ce sont souvent les effets stochastiques (autrement dit, qui relèvent du hasard) qui dominent.

Lorsque l’on cherche à définir un noyau théorique de la pensée évolutive, il faut donc se rappeler qu’il y a davantage dans l’évolution que la seule sélection – ou, comme disait Fisher à l’ouverture de son livre majeur, The genetical theory of natural selection (1930) : « natural selection is not evolution » (« la sélection naturelle n’est pas l’évolution »). L’évolution fait référence au changement au fil des générations (« descent with modification »), et la sélection naturelle est une cause de ce changement. Dans la mesure où il existe ainsi plusieurs approches de la manière dont la sélection peut produire l’évolution, il y a aussi plusieurs approches darwiniennes dans les SHS.

La psychologie évolutionniste inspirée de l’écologie comportementale

Le programme dominant de psychologie évolutionniste initié par Leda Cosmides et John Tooby dans leurs articles fondateurs de la fin des années 1980 (pour un résumé, voir ici) relève typiquement de l’écologie comportementale, mais appliquée à l’humain exclusivement : elle ne connaît pas les gènes qui soutiennent les phénotypes qu’elle étudie ; elle commence par concevoir les traits comme des adaptations, et ajoute que ces adaptations ont émergé (au plus tard) au pléistocène car ensuite la période est trop courte pour fixer des gènes[10].

En bon écologue comportemental, le psychologue évolutionniste se demande donc quel avantage la croyance ou la pratique considérée pouvait apporter à son porteur dans l’environnement archaïque, dit Environnement de l’Adaptation Evolutionnaire (EEA, en anglais), dont les sociétés de chasseurs-cueilleurs peuvent nous donner une idée. Pour cela, il peut tenter de deviner le problème écologique précis auquel l’Homo sapiens ancien faisait face, et que cette croyance l’aidait à surmonter mieux que d’autres. À cette fin, il peut utiliser des expériences menées sur des sujets contemporains comme outil pour comprendre ce rôle adaptatif.

Une thèse fort discutée consiste à interpréter les « biais cognitifs », c’est-à-dire les erreurs systématiques que nous commettons en raisonnant, comme des restes d’adaptation à l’environnement du pléistocène. Ainsi, de nombreuses expériences attestent que, face à des problèmes logiques très simples, nous nous trompons majoritairement, mais curieusement, une fois reformulés en termes de dilemmes sociaux (par exemple négation devient tricherie, etc.), ces mêmes problèmes logiques sont facilement résolus.

Une explication naturelle pour ce phénomène est que notre appareil mental fut forgé par la sélection naturelle pour traiter ces problèmes sociaux élémentaires. Les compétences mentales s’avèrent donc des adaptations à l’aspect le plus prégnant, probablement, de l’environnement de nos ancêtres, en tout cas le plus décisif pour les questions de reproduction, à savoir l’environnement social.

Une question controversée émerge alors : dans quelle mesure tout comportement humain peut-il être expliqué de cette manière ? Il est peut-être convaincant de pointer notre passé dans l’EEA pour expliquer pourquoi les humains continuent d’avoir besoin de contact humain pour leur bien-être – un fait amplement démontré pendant les confinements dus à la pandémie de Covid-19. Dans le domaine de la psychiatrie, l’hypothèse que l’environnement moderne est (trop) différent de l’ancien est de plus en plus perçue comme explicative des désordres comme les troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), même si des décennies d’altération de l’environnement par nos produits (pesticides, etc.) ne peuvent qu’avoir eu un effet direct délétère indéniable sur l’expression des gènes et les appareils neuronaux[11].

Jusqu’où faut-il aller avec ce modèle de « stone-age brains in modern skulls », de « cerveaux préhistoriques dans des crânes modernes », pour reprendre le slogan des psychologues évolutionnistes ? Ceci pourrait-il aussi expliquer tous les aspects des choix esthétiques ? Comme illustration concrète, considérons pourquoi (apparement) les femmes ont tendance à s’habiller mieux (« dressed to impress ») en période d’ovulation.

Une hypothèse est que ce comportement a jadis procuré un avantage sélectif puisque la séduction est, en termes de progéniture produite, beaucoup plus rentable à ce moment-là (à supposer du moins que le délai entre séduction et accouplement soit en moyenne assez court – ce qu’on imaginera, au sujet d’un tel environnement archaïque). Il est certes peu probable que Prada ait existé au Pléistocène, mais l’idée est qu’un comportement de mise en valeur de soi plus marqué en période féconde s’est fixé dans les cerveaux féminins de la population grâce à son avantage sélectif et a été hérité jusqu’à nous, la robe rouge décolletée prenant simplement la place des atours à la mode à l’époque de Capitaine Caverne.

Ce genre d’explications évoque un type de programmation, comme si les humains étaient une machine fabriquée pendant le Pléistocène et avant. C’est la fondation de la thèse de la « modularité massive » analysée par Peter Carruthers[12] : la cognition humaine est constituée d’un réseau des compétences discrètes, chacune formée pour traiter un problème social spécifique dans l’environnement ancien. Cette approche darwinienne peut donc susciter de fortes critiques, mais il y en a d’autres à considérer.

Les programmes analogues à la génétique des populations : théoriser l’évolution culturelle

Être darwinien en sciences sociales peut aussi signifier un programme qui s’apparenterait bien davantage à la génétique des populations qu’à l’écologie comportementale, tel qu’il est par exemple présenté dans l’article récent du généticien des populations Marcus Feldman et ses collègues intitulé « Cultural evolutionary theory: How culture evolves and why it matters[13] ».

Ce qui compte ici c’est le processus par lequel certains traits (croyances, pratiques, préférences…) l’emportent sur d’autres dans une dynamique de reproduction et variation. Le modèle forgé par le théoricien intéressé par l’évolution culturelle peut ainsi calculer la fréquence de chaque trait à chaque génération en fonction de sa « fitness » et de la taille de la population, et estimer l’évolution différentielle des valeurs de trait.

Il existe ainsi une multitude d’approches darwiniennes de l’évolution culturelle, qui se distinguent par leurs notions d’entité culturelle et leur interprétation de l’héritabilité comme du succès évolutif (ou « fitness »). La « mémétique » de Richard Dawkins[14], selon laquelle des entités mnémoniques discrètes sont l’analogue des gènes, est connue[15] mais relativement abandonnée ; des modèles de « coévolution gène-culture », initiés par Boyd et Richerson dans Culture and the evolutionary process (1985), tentent de saisir l’articulation entre l’évolution biologique, génétique, et celle des pratiques culturelles, l’ensemble des deux sculptant à la fois les réalités culturelles et une partie du génome.

L’exemple usuel est l’introduction de l’élevage bovin, une innovation certes culturelle qui a induit une pression de sélection[16] en faveur des enzymes synthétisant le lactose, et a ainsi orienté l’évolution biologique vers la fixation des gènes impliqués dans la tolérance au lactose.

Le domaine très large de recherches recouvert aujourd’hui par le label « évolution culturelle » s’intéresse donc davantage à la dynamique des pratiques et croyances, qu’au résultat de l’évolution que l’on trouve dans le cerveau d’un humain occidental contemporain. Il s’agit de modéliser par exemple l’émergence de certaines normes comme la justice, l’altruisme, ou bien des préférences esthétiques, vestimentaires, des choix de rituels…

Dans un second temps, on peut même chercher à modéliser de manière générale la dynamique d’apparition des normes comme telles, de rituels, etc. Mathématiquement on est ici très proche de la génétique des populations ; conceptuellement aussi, puisque, car au lieu de partir de l’hypothèse « adaptationniste », on considère les processus de changements d’une distribution d’entités dans une population (croyances, items culturels, gènes, mèmes, ou tout cela ensemble).

Un exemple simple de compréhension darwinienne d’une certaine évolution culturelle est la théorie darwinienne du progrès scientifique défendue par David Hull dans Science as a process[17]. La lutte pour l’existence dans ce contexte se produit entre idées et théories (cf. Huxley en 1880). Par exemple, certaines théories sont plus à mêmes que d’autres de se laisser adopter par des chercheurs, pour de nombreuses raisons qui peuvent inclure la possibilité de prédire, l’élégance des équations, la portée explicative, la solidité des justifications, etc. De même qu’en génétique des populations la probabilité de survie et de reproduction conférée par un génotype est appelée « fitness », de même ici la probabilité qu’a une hypothèse d’être adoptée est nommée « fitness ».

C’est donc cette valeur qui détermine le succès des hypothèses concurrentes, autrement dit le nombre de copies de chacune dans les têtes des savants. La dynamique darwinienne qui en résulte explique quelles hypothèses et quelles théories (qui sont des ensembles d’hypothèses) vont l’emporter. Les hypothèses s’adaptent à leur environnement – lequel consiste en scientifiques et laboratoires – par un processus de sélection naturelle selon lequel le degré de corroboration de chaque hypothèse entre dans la détermination de sa fitness.

En conséquence, on explique des faits sociaux (ici, la dynamique de la science) sans passer nécessairement par une thèse posant l’adaptation des humains à leur environnement d’humains, ni même par une adaptation du groupe humain. Au contraire, les résultats de cette dynamique évolutive peuvent être indifférents à l’adaptation des sujets humains à leur environnement social ordinaire : on modélise ainsi le progrès scientifique d’une manière parente des modèles de génétique des populations[18].

Les avantages des théories darwiniennes dynamiques de l’évolution culturelle

Généralement parlant, les théories darwiniennes de l’évolution culturelle constituent un domaine plus riche et plus large que la psychologie évolutionniste, mais elles en sont épistémologiquement distinctes, comme la génétique des populations peut l’être de l’écologie comportementale. Non pas qu’elles traitent des gènes – certaines, comme la mémétique, ne font aucune référence aux gènes – mais elles modélisent la dynamique évolutive au cours du temps, plutôt qu’elles ne questionnent son résultat en stipulant un environnement archaïque.

Il y a des chevauchements importants entre l’évolution culturelle et la psychologie évolutionniste, en particulier concernant les biais dans l’apprentissage social. On a ainsi tendance à prêter​​ attention à, et même à imiter les personnes prestigieuses (biais dit « de prestige »), ou à imiter la majorité d’un groupe (biais dit « de conformité »). Ces aspects fondamentaux de notre psychologie sont des heuristiques fréquemment inconscientes.

Néanmoins, il y a aussi des différences. Les théories d’évolution culturelle s’intéressent moins à déterminer et à expliquer des traits de personnalité ou des croyances, comme les différences selon le genre, les préférences morales ou sexuelles. À la place, elles proposent des modèles de dynamiques, où tels traits sont influencés par des processus sociaux. Ceux-ci attribuent une fitness à des entités culturelles, que l’on mesure par rapport à un environnement spécifique, comme dans le cas susmentionné de l’évolution des théories.

Là où la psychologie évolutionniste voit toujours l’adaptation comme une propriété de l’humain qui s’est adaptée à son milieu d’émergence via l’évolution, certaines théories de l’évolution culturelle, à l’instar de l’exemple de Hull, considèrent la sélection comme portant sur les items culturels eux-mêmes – et impliquant parfois une coévolution avec l’évolution biologique.

Dans ces théories, l’environnement ancestral des humains joue un rôle fortement diminué : cet environnement peut influencer les « règles » des dynamiques, mais pas les résultats de ces dynamiques. Les dynamiques peuvent être récentes, ou même simplement des dynamiques possibles, l’exploration du champ des possibles permettant de guider notre compréhension de ce qui a réellement eu lieu.

Ainsi, les généticiens des populations Marcus Feldman et Laurent Lehmann ont proposé en 2008 des modèles de l’évolution de la « bellicosité », soit la fréquence des affrontements inter-groupes au cours de l’histoire des hominidés. Auteur d’avancées théoriques concernant la modélisation de la génétique des populations, Sergey Gavrilets, dans « On the evolutionary origins of the egalitarian syndrome », propose donc un modèle mathématique pour explorer le passage de sociétés inégalitaires structurées autour de mâles dominants, comme le sont la plupart des sociétés de primates, à une société plus égalitaire dont on suppose qu’elle a été un premier stade de l’évolution des hominidés.

Le modèle ne fait aucune référence à un état environnemental originel supposé. Il explicite une dynamique, et montre à quelles conditions cette dynamique mène à l’état inégalitaire qu’il nous faut expliquer. Supposant une héritabilité de capacités cognitives, son modèle suggère que la représentation de sa propre force combinée à celle d’autres permet la formation d’associations qui résistent aux individus dominants, entraînent en retour une évolution supplémentaire de capacités cognitives, en une boucle de rétroaction menant ultimement à une société sans dominants (pour un petit moment ; on connaît la suite).

L’article est singulier en ceci qu’il évite de supposer une parenté génétique forte dans les petits groupes humains, ou bien une sélection pour des propriétés de groupe, qui sont généralement deux vecteurs massifs (souvent incompatibles) d’explication de la coopération dans les théories de l’évolution culturelle. On a un mécanisme possible d’évolution de normes égalitaires, qui aboutit parce qu’il « explore la convergence d’intérêts de beaucoup face à l’exploitation par quelques-uns ».

Le contraste avec la théorie psycho-évolutionniste des adaptations à un monde où détecter les tricheurs constituait une nécessité vitale, initiée par Tooby et Cosmides, est patent, puisqu’au lieu de partir de propriétés d’humains actuels et de remonter à un environnement supposé où ces propriétés seraient apparues comme des réponses optimales à des problèmes (d’appropriation de ressources et de partenaires), on part d’une multitude de situations initiales possibles et on explore les dynamiques subséquentes sous condition de quelques hypothèses simples.

Pareilles théories que nous baptisons « d’évolution culturelle » peuvent certes supposer une hérédité génétique, mais pas nécessairement, et souvent l’hérédité des traits culturels est en elle-même non-génétique (transmission dite « horizontale », d’ami à ami plutôt que de parent à enfant). Le même Gavrilets (avec Aaron Vose en 2006) propose par exemple une coévolution gène-culture pour expliquer l’explosion cognitive des humains et rendre plausible l’hypothèse dite de « l’intelligence machiavélienne » (soit : l’intelligence a évolué pour naviguer les réseaux sociaux complexes et résoudre des problèmes de manipulation des autres). À la différence de la psychologie évolutionniste, du moins dans sa formulation première, ces théories ne requièrent pas que les croyances ou les comportements soient génétiquement héritables, même si elles supposent évidemment une hérédité en général.

Enfin, elles ne supposent pas que la sélection l’emporte. Comprendre que l’évolution culturelle relève davantage de la génétique des populations que de l’écologie comportementale, c’est aussi assumer le fait que la sélection, quelle que soit sa cible – qu’il s’agisse de l’organisme humain, des théories ou des firmes –, n’est pas forcément la cause ou le facteur explicatif majeur.

En génétique des populations, en effet, les cas où la sélection gouverne le processus sont une partie de l’ensemble des cas possibles. Si la population est trop petite, ou l’héritabilité trop faible, ou s’il existe des contraintes génétiques (associations entre gènes, appariement privilégié entre classes d’individus), il se peut que les génotypes ou les allèles qui viennent se fixer ne soient pas les plus adaptés, les plus fit[19]. Par exemple, dans une toute petite population de girafes on peut imaginer que la plus adaptée, celle qui a le plus long cou, tombe dans lac et se noie, de sorte que l’espèce ne verra pas émerger le plus long cou possible.

Les théorisations darwiniennes des productions culturelles proposent des modèles de dynamiques de changements de croyances ou de pratiques menant à des états culturels que l’on trouve dans une société ou une gamme plus ou moins large de sociétés. Comme en génétique des populations, il arrive que sous certaines conditions, que l’on souhaite déterminer, le résultat de ces dynamiques soit essentiellement gouverné par la sélection naturelle.


[1] Robert Richard, dans Darwin and evolutionary theories of brain and behaviour, explicite la naissance et les ramifications de l’idée de darwiniser les sciences de l’esprit.

[2] Par exemple, déjà en 1880, vingt ans après la parution de L’Origine des espèces, Thomas Henry Huxley proposait que « la lutte pour l’existence tient autant dans le monde intellectuel que dans le monde physique ». Huxley, Thomas Henry. 1880. « The Coming of Age of the Origin of Species. » Science os-1 (2): 15–20.

[3] Brosnan, Sarah F., and Frans B. M. de Waal. 2003. « Monkeys Reject Unequal Pay. » Nature 425 (6955): 297–99.

[4] Huxley, Julian. (1942) 1974. Evolution: The Modern Synthesis. 3rd ed. London, UK: Allen and Unwin.

[5] Huxley, Julian. 1954. Evolution as a Process. London: Allen & Unwin.

[6] Fisher, Ronald Aymer. 1930. The Genetical Theory of Natural Selection. Oxford, UK: Oxford University Press.

[7] Plus exactement « allélique ». Les allèles sont les différents variants d’un gène, et ce sont eux dont les fréquences varient en fonction de l’évolution, du fait de l’effet combiné des « forces » évolutives (voir plus bas). Pour simplifier à l’extrême, si un gène affecte la couleur des yeux, il existera en versions qui se distinguent par des différences dans les nucléotides qui composent sa séquence ADN, et chaque version est nommée allèle.

[8] Selon le terme technique d’usage, issu de la locution « survival of the fittest » que Darwin substitue parfois à « natural selection » dans les dernières éditions de L’Origine des espèces, sur la suggestion de Spencer.

[9] Sober, Elliott. 1984. The Nature of Selection: Evolutionary Theory in Philosophical Focus. University of Chicago Press.

[10] Thèse contestée par David Buller dans son important ouvrage critique de la psychologie évolutive, Adapting Minds. Buller, David J. 2005. Adapting Minds: Evolutionary Psychology and the Persistent Quest for Human Nature. Cambridge, MA: MIT Press.

[11] Syme, Kristen L., and Edward H. Hagen. 2020. « Mental Health Is Biological Health: Why Tackling ‘Diseases of the Mind’ Is an Imperative for Biological Anthropology in the 21st Century. » Yearbook of Physical Anthropology 171 (S70): 87–117.

[12] Carruthers, Peter. 2006. The Architecture of the Mind: Massive Modularity and the Flexibility of Thought. Clarendon Press.

[13] Creanza, Nicole, Oren Kolodny, and Marcus W. Feldman. 2017. « Cultural Evolutionary Theory: How Culture Evolves and Why It Matters. » Proceedings of the National Academy of Sciences 114 (30): 7782–89.

[14] Dawkins, Richard. 1976. The Selfish Gene. Oxford University Press.

[15] Et davantage encore, fameuse pour le mot « mème », incontournable dans la culture digitale même si peu connaissent son origin​e.

[16] Forgé par Steven Jay Gould et Richard Lewontin (1979) dans un célèbre article intitulé « The spandrels of San Marco and the panglossian paradigm » : ce terme veut dire que l’on voit les traits avant tout comme des résultats de la sélection naturelle. Ce peut être une affirmation empirique, ou, plutôt et comme ici, un postulat méthodologique.

[17] Hull, David L. (1988) 2010. Science as a Process: An Evolutionary Account of the Social and Conceptual Development of Science. University of Chicago Press.

[18] Même si les items culturels peuvent influencer aussi le succès reproductif des humains qui les portent (via la sélection sexuelle ou bien des avantages apportés à leur groupe dans la compétition entre groupes), de sorte que, si ces items sont hérités (via apprentissage ou imitation) une évolution se joue aussi à ce niveau des humains, ce qui complexifie la dynamique évolutive.

[19] Jonathan Birch montre même qu’un théorème a priori de maximisation est impossible à établir. Autrement dit, même si la sélection n’est pas contrariée par la taille de la population ou d’autres contraintes, elle ne mènera pas nécessairement à fixation les génotypes les plus fit.

Philippe Huneman

Philosophe, Directeur de recherche à l’IHPST (CNRS/Paris-I)

Hugh Desmond

Philosophe, Chercheur postdoctoral à l’IHPST (CNRS/Paris-I)

Agathe Du Crest

Philosophe, Doctorante à l'IHPST (CNRS/Paris-I)

Notes

[1] Robert Richard, dans Darwin and evolutionary theories of brain and behaviour, explicite la naissance et les ramifications de l’idée de darwiniser les sciences de l’esprit.

[2] Par exemple, déjà en 1880, vingt ans après la parution de L’Origine des espèces, Thomas Henry Huxley proposait que « la lutte pour l’existence tient autant dans le monde intellectuel que dans le monde physique ». Huxley, Thomas Henry. 1880. « The Coming of Age of the Origin of Species. » Science os-1 (2): 15–20.

[3] Brosnan, Sarah F., and Frans B. M. de Waal. 2003. « Monkeys Reject Unequal Pay. » Nature 425 (6955): 297–99.

[4] Huxley, Julian. (1942) 1974. Evolution: The Modern Synthesis. 3rd ed. London, UK: Allen and Unwin.

[5] Huxley, Julian. 1954. Evolution as a Process. London: Allen & Unwin.

[6] Fisher, Ronald Aymer. 1930. The Genetical Theory of Natural Selection. Oxford, UK: Oxford University Press.

[7] Plus exactement « allélique ». Les allèles sont les différents variants d’un gène, et ce sont eux dont les fréquences varient en fonction de l’évolution, du fait de l’effet combiné des « forces » évolutives (voir plus bas). Pour simplifier à l’extrême, si un gène affecte la couleur des yeux, il existera en versions qui se distinguent par des différences dans les nucléotides qui composent sa séquence ADN, et chaque version est nommée allèle.

[8] Selon le terme technique d’usage, issu de la locution « survival of the fittest » que Darwin substitue parfois à « natural selection » dans les dernières éditions de L’Origine des espèces, sur la suggestion de Spencer.

[9] Sober, Elliott. 1984. The Nature of Selection: Evolutionary Theory in Philosophical Focus. University of Chicago Press.

[10] Thèse contestée par David Buller dans son important ouvrage critique de la psychologie évolutive, Adapting Minds. Buller, David J. 2005. Adapting Minds: Evolutionary Psychology and the Persistent Quest for Human Nature. Cambridge, MA: MIT Press.

[11] Syme, Kristen L., and Edward H. Hagen. 2020. « Mental Health Is Biological Health: Why Tackling ‘Diseases of the Mind’ Is an Imperative for Biological Anthropology in the 21st Century. » Yearbook of Physical Anthropology 171 (S70): 87–117.

[12] Carruthers, Peter. 2006. The Architecture of the Mind: Massive Modularity and the Flexibility of Thought. Clarendon Press.

[13] Creanza, Nicole, Oren Kolodny, and Marcus W. Feldman. 2017. « Cultural Evolutionary Theory: How Culture Evolves and Why It Matters. » Proceedings of the National Academy of Sciences 114 (30): 7782–89.

[14] Dawkins, Richard. 1976. The Selfish Gene. Oxford University Press.

[15] Et davantage encore, fameuse pour le mot « mème », incontournable dans la culture digitale même si peu connaissent son origin​e.

[16] Forgé par Steven Jay Gould et Richard Lewontin (1979) dans un célèbre article intitulé « The spandrels of San Marco and the panglossian paradigm » : ce terme veut dire que l’on voit les traits avant tout comme des résultats de la sélection naturelle. Ce peut être une affirmation empirique, ou, plutôt et comme ici, un postulat méthodologique.

[17] Hull, David L. (1988) 2010. Science as a Process: An Evolutionary Account of the Social and Conceptual Development of Science. University of Chicago Press.

[18] Même si les items culturels peuvent influencer aussi le succès reproductif des humains qui les portent (via la sélection sexuelle ou bien des avantages apportés à leur groupe dans la compétition entre groupes), de sorte que, si ces items sont hérités (via apprentissage ou imitation) une évolution se joue aussi à ce niveau des humains, ce qui complexifie la dynamique évolutive.

[19] Jonathan Birch montre même qu’un théorème a priori de maximisation est impossible à établir. Autrement dit, même si la sélection n’est pas contrariée par la taille de la population ou d’autres contraintes, elle ne mènera pas nécessairement à fixation les génotypes les plus fit.